Paris osés sur une industrie émergente

Source: http://www.usinenouvelle.com/
Par par Ludovic Dupin et Manuel Moragues - Publié le 02 mai 2013 





Les ambitions européennes dans l’éolien offshore reposent sur une industrie encore immature. Pour attirer les investisseurs, la maîtrise des risques est le facteur essentiel.


L’Europe mise gros sur l’éolien offshore. Pour arriver à 20% d’énergies renouvelables en 2020, les 27 États membres de l’Union doivent planter des milliers d’éoliennes géantes en mer. Au total, 40 gigawatts (GW) devront être installés à cet horizon. Près de dix fois plus que les 5 GW connectés jusqu’ici. Ce pari ambitieux repose sur une industrie encore immature chargée de mener à bien des chantiers toujours plus grands et plus éloignés des côtes. Face à ce cumul de risques, qui est prêt à investir dans l’éolien offshore ? « Les utilities ne pourront assumer la totalité du financement requis, tranche Emmanuel Nazarenko, le responsable de l’activité énergie du cabinet Boston consulting group (BCG) à Paris. Et attirer des investisseurs privés sera difficile: Le manque de recul place l’éolien offshore parmi les projets d’infrastructures les plus risqués». Selon BCG, il manquera près de 45 milliards d’euros sur les 110 requis. Les industriels et les développeurs de projets sont moins pessimistes: Même si les 40 GW ne seront pas atteints en 2020, de nouveaux investisseurs misent sur l’offshore. Et la croissance accélérée de cette industrie promet de réduire les risques et les coûts. Reste qu’à l’heure où la France lance son deuxième appel d’offres, l’analyse des risques est au cœur des projets. Alors même que le premier appel d’offres doit encore passer la période de levée des risques et décrocher d’incertaines autorisations.

Un recul insuffisant

-1991 Premières éoliennes de 0,45 MW installées en mer,
-2002 Éoliennes de 2 MW, par moins de 10 m de fond et à une distance comprise entre 5 et 7 km des côtes,
-2012 Éoliennes de 4 MW, par 22 m de fond et à 29 km des côtes (moyennes)

Source : EWEA

La construction, phase critique

Le risque de construction est le plus critique. D’abord parce que les projets offshore sont très capitalistiques: Il faut investir 1 à 1,5 milliard d’euros dès le départ, dont 60% à 70% d’endettement. Qu’un problème retarde l’installation des turbines et la rentabilité chute, faute de pouvoir rembourser la dette sur le profit opérationnel du parc. «L’éolien offshore est à l’intersection de deux industries – les turbiniers et l’industrie maritime – qui ne se connaissaient pas et qui n’avaient jamais travaillé ensemble», pointe Jérôme Guillet, à la tête de Green giraffe energy bankers, spécialiste du financement de projets d’énergies renouvelables (EnR). Ces deux mondes se rapprochent. Le leader mondial de l’énergie nucléaire Areva, côté turbines, et le chantier naval STX, pour les fondations, ont engagé un partenariat en décembre 2012. Areva a aussi collaboré au design de l’«Innovation», un navire conçu pour l’installation de turbines mis à l’eau en septembre. Le turbinier le louera à long terme. Siemens a pris, en 2010, 49% de l’installateur danois A2Sea pour développer et opérer des navires adaptés aux grandes turbines. «On dispose désormais de bateaux conçus pour l’éolien. C’est l’un des progrès les plus notables», estime Jérôme Guillet.


Reste une constante de la mer: Le travail y est extrêmement coûteux et toute réparation, in situ, fait grimper la facture. Il faut y ajouter les aléas climatiques qui empêchent les bateaux de sortir. « Des tâches critiques doivent être réalisées dans des fenêtres météo étroites avec des navires spécialisés peu disponibles », résume Vincent Balès, le directeur général de WPD Offshore France. Les turbiniers mettent l’accent sur la réduction des coûts, notamment via des machines plus puissantes. «Il y aura moins de problèmes de financement quand l’offshore sera compétitif», résume un fabricant.


Leader de l’offshore, Siemens passe à la vitesse industrielle: Stratégie de plate-forme, standardisation des modules, montée en puissance des sous-traitants… «Nous enclenchons un cercle vertueux qui devrait permettre de réduire les coûts de 5% par an», pronostique Henrik Stiesdal, le responsable technique de l’éolien chez Siemens Wind Power.






Raccordement, l'épouvantail allemand

C’est un risque qui a été largement sous-estimé et qui va coûter cher à l’Allemagne. Plusieurs raccordements électriques des fermes offshore à la terre, à la charge de l’opérateur de réseau TenneT, ont pris du retard. La bataille entre des exploitants furieux de ne pouvoir écouler leur électricité et Tennet a fait rage en 2012. En jeu, plus de 1 milliard d’euros de pénalités, dont ABB et Siemens, fournisseurs de l’opérateur, devraient écoper pour l’essentiel. Les deux industriels se sont heurtés au double défi de la mise en œuvre d’une nouvelle technologie de courant continu à haute tension (HVDC) en pleine mer. L’éloignement imposait de recourir au courant continu. Entre les parcs retardés et le gel des investissements souvent lié à l’incertitude concernant les responsabilités en cas de retard du raccordement, «c’est tout l’offshore allemand qui a pris un an de retard, résume Vincent Balès. Mais l’Allemagne a réglé rapidement le problème». Le gouvernement a légiféré en décembre pour clarifier les responsabilités et limiter celles de TenneT. Elles sont en partie reportées sur les consommateurs allemands, déjà fortement mis à contribution pour financer l’«Energiewende», la transition énergétique.Autre sujet d’inquiétude: Entre la pénurie de grues-barges utilisées pour installer les stations électriques HVDC de 15 000 tonnes et le peu d’acteurs capables de les fabriquer, le raccordement des parcs dans les temps restera un défi. La France et le Royaume-Uni ne seront pas épargnés si leurs futurs champs s’éloignent des côtes.


Exploitation, faire fi des aléas climatiques

L’exploitation d’éoliennes offshore peut compter sur un vent bien plus puissant et régulier qu’à terre. Mais elle doit composer avec un milieu marin corrosif et une inaccessibilité aux machines en cas de gros temps. Or la disponibilité des éoliennes est le premier risque d’exploitation: Un opérateur ne peut pas se permettre d’avoir une partie de son champ à l’arrêt lors des périodes de vent favorables (35% à 40% du temps). Les retours d’expérience des premiers champs belges, danois, allemands et anglais sont plutôt bons. Selon une étude de Pricewaterhouse Coopers (PwC), les opérateurs affichent un taux de disponibilité de 90% à 97%. Mais ces retours concernent soit des parcs relativement jeunes, soit des sites anciens situés près des côtes et en eaux peu profondes. Beaucoup d’entre eux sont situés dans la Baltique, une mer fermée donc assez protégée. Les conditions de mer et les aléas climatiques qu’affronteront les parcs britanniques et français en Manche et en Atlantique seront plus difficiles.  S’il y a plus de «casse», les périodes possibles pour les maintenances programmées ou fortuites dépendront aussi de la disponibilité des navires. Afin de maîtriser ce risque sur leurs champs en France, «EDF et Dong vont former une société commune qui va acquérir deux ou trois bateaux par parc éolien afin d’avoir le contrôle complet de notre maintenance et de choisir nos priorités», prédit Béatrice Buffon, la directrice du département offshore d’EDF Énergies nouvelles.


Un soutien politique durable?

«L’éolien offshore est frappé par l’instabilité politique et réglementaire, la crise économique et le coût général de l’austérité», affirme Justin Wilkes, le directeur de la European wind energy association. En France, le photovoltaïque et ses tarifs de rachats revus à la baisse font figure d’épouvantail. «Le développement du solaire a été mal maîtrisé, engendrant peu d’emplois. L’éolien offshore créera des emplois pérennes dans la maintenance«, assure Nicolas Goldberg, consultant chez Colombus. En filigrane, cela signifie que l’État est prêt à payer le prix pour une filière nationale. Pour autant, les tarifs de rachat de l’électricité offshore sont voués à baisser dans les trois pays majeurs que sont l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. Déjà, ce dernier vise un prix de 117 euros par MWh d’ici à 2020, alors que les coûts actuels sont estimés à 160-170 euros. De nouveaux investisseurs sont tentés par des rendements de 10% garantis à long terme. Alors que le coût de la transition énergétique occupe une large place dans le débat électoral allemand et que la réforme britannique du marché de l’électricité reste à venir, l’incertitude sur le soutien politique à l’offshore est un frein majeur à son développement. Il renchérit le financement par la dette. «Le coût du risque lié aux banques et aux assureurs a un impact très important sur le coût global des projets», regrette Severine Huten, consultante pour l’énergie chez Sia Partners. Au final, c’est le coût de production de l’électricité qui pourrait grimper face aux pressions à la baisse de ses tarifs de rachat… Pour éviter cette impasse, l’industrie de l’offshore pousse à un développement massif et accéléré, seul à même de générer réductions des coûts et retours d’expérience. «Cette jeune industrie progresse très vite, ce n’est pas le moment de ralentir l’effort mais d’accélérer», prône Louis-François Durret, le directeur de l’activité sur les EnR d’Areva. «Un cercle vertueux s’enclenche aujourd’hui, estime Emmanuel Nazarenko, de BCG. Le moment de vérité interviendra dans quelques années». La nouvelle génération de parcs éoliens en construction n’a pas droit à l’erreur.


Commentaire: «Et vogue la galère»...



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