Haute-Marne : des Langrois dans l'armée royale au sein de la Brigade Irlandaise, épisode I

  L'armée française sous l' Ancien Régime comportait une multitude de régiments ayant des status différents. Il existait une infanterie française et des infanteries étrangères. Même l'infanterie française ne portait pas le sceau de l'unicité puisque l'on trouvait des régiments royaux portant l'uniforme bleu (1) et les régiments nobiliaires qui portaient le nom de leur colonel et avaient un uniforme gris. Parmi les infanteries étrangères, l'une d'elle a particulièrement retenu notre attention depuis quelques années, l'infanterie irlandaise (2). Les régiments irlandais au service de la France sont peu connus dans notre pays alors qu'en Irlande leur souvenir compte parmi les épisodes les plus glorieux de l' histoire militaire du pays.


 


Les six régiments irlandais participèrent à la bataille de Fontenoy   

  Ces régiments irlandais arrivèrent en France à la suite de la Glorieuse Révolution de 1688  qui plaça sur les trônes d' Angleterre d' Ecosse et d'Irlande le Stathouder des Provinces-Unies, le prince d' Orange. Le roi déchu Jacques II trouva refuge en France auprès de son cousin Louis XIV. Le souverain Stuart entrepris de reconquérir ses royaumes en commençant par l' Irlande. En échange de régiments français, Jacques II envoya en France trois régiments irlandais. Clare, Dillon et Mountcashel en 1690.



Débarquement de Guillaume d’Orange à Torbay le 15 novembre 1688. Gravure de William Miller d'après J. M. W. Turner (The Art Journal, 1852).

  L'entreprise irlandaise s'acheva en octobre 1691 par la chute de Limerick qui tomba au terme de deux sièges. Le traité de Limerick offrit trois options aux soldats irlandais de Jacque II, soit une amnistie et le retour dans leur foyer, soit un engagement dans l'armée de Guillaume d' Orange, soit le passage en France. L'estimation généralement admise est que 19 000 soldats irlandais passèrent au service de la France et qu'un millier passa dans l'armée du prince d' Orange.
  Jusqu'à la fin de l' Ancien Régime, les régiments irlandais s'illustrèrent dans les conflits de nos rois. Ils contribuèrent aux victoires de La Marseille en 1693 et surtout celle de Fontenoy le 11 mai 1745. Même les défaites leur permirent de s'illustrer vaillamment puisque le régiment de Clare prit à l'ennemi le seul drapeau conquis par nos troupes au cours de la bataille de Ramillies en 1706.
  Nous disposons pour la connaissance des soldats d'une source merveilleuse, les registres de contrôle de troupes. Ces registres furent institués par l'édit du 2 juillet 1716 afin de lutter contre la désertion. Ces documents comportent une description succincte du soldat, ses signes particuliers, son lieu d'origine, sa date d'engagement, la date et la cause de son départ. Ces précieux documents sont conservés au Service historique de l' Armée de terre (SHAT) sis au château de Vincennes. En ce qui concerne la Brigade irlandaise, la collection est relativement complète. Dans le cadre de nos recherches personnelles, un dépouillement quasi systématique a été fait. Des modifications dans les conditions de recherches nous contraignirent à modifier les méthodes de dépouillement et à passer à un dépouillement partiel.
  Les régiments au service de la France purent conserver un recrutement irlandais ou au moins en partie irlandais jusque vers 1745, date de la dernière insurrection jacobine en Ecosse. Les effectifs des corps furent complétés avec des hommes originaires de l' Empire, des Pays-Bas Autrichiens, la Belgique et l'actuel Luxembourg, et de France. Parmi ces Français tel ne fut pas notre étonnement de rencontrer des Langrois ou du moins des hommes originaires du bailliage de Langres. Nous nous proposons de présenter ces hommes et de mettre en avant trois cas particuliers.
  Le premier soldat rencontré s'appelait Jean Vincent. Il s'engagea en octobre 1734 dans la compagnie de Cristy Plunkett dans le régiment de Clare (3). Il était né à Langres, âgé de 25 ans, taille de 5 pieds 3 pouces, 1.70m. Ses cheveux et ses yeux étaient bruns, un visage régulier et une fossette au menton. Il fut congédié en mai 1738. Cet engagement eut lieu au cours de la guerre de Succession en Pologne [Conflit qui opposa la France, alliée de l'Espagne, de la Sardaigne et de la Bavière, à la Russie et à l'Autriche (1733-1738)] et tous les régiments recrutèrent plus largement pour combler les vides causés par les morts et les désertions.
  Un autre soldat s'engagea plus tardivement dans le régiment de Clare. Jean Gerbigny entra dans la compagnie de Macraith du régiment de Clare en septembre 1748 (4). Il venait aussi de Langres mais nous trouvons la mention "capitale du Bassigny". Ce soldat était âgé de 20 ans et mesurait 5 pieds3 pouces et 6 lignes, 1.71m. Ses cheveux étaient blonds, ses yeux bleus, visage rond et plein, marqué de taches de rousseurs. Il déserta et fut contumacé le 5 novembre 1749. Le terme contumacé signifie qu'il fut jugé et condamné par un tribunal militaire. La sentence nous est inconnue mais il est sûr qu'elle ne fut pas appliquée puisque nous n'en avons aucune mention. La désertion ayant lieu en temps de paix, ce soldat avait une chance sur trois d'être condamné à mort et deux tiers des chances d'une condamnation aux galères.
  La guerre de Succession d' Autriche, 1741-1748 [conflit qui opposa la Prusse, la France, la Bavière, la Saxe et l'Espagne à l'Autriche et à l'Angleterre de 1740 à 1748, et qui eut pour principal enjeu les terres héréditaires des Habsbourg d'Autriche et la succession au trône impérial] fut particulièrement dure pour les régiments irlandais au service de la France. Cinq autres hommes originaires de Langres ou de sa région s'engagèrent dans ces corps au cours de ce conflit.
  Le plus gros contingent de Langrois, se trouve dans le régiment de Lally. Ce corps est particulier puisqu'il est celui qui eut la durée de vie la plus brève au sein de la Brigade irlandaise. Il fut créer le premier octobre 1744 et le commandant en fut confié à Thomas Arthur, comte de Lally. Le régiment fut réformé, c'est-à-dire dissous, par l'ordonnance du 21 décembre 1762 à la fin de la guerre de Sept ans. Il n'a été conservé qu'un seul registre de contrôle daté de 1746. Le régiment fut envoyé en 1757 aux Indes et ses effectifs doublés. Il est regrettable de ne pas disposer du ou des registres de cette époque.
  Le premier à s'engager dans ce corps fut Jean Maréchal, natif de "Fouvan, juridiction de Langres". Il s'agit en réalité de Fouvent-le-Haut qui était de la généralité de Champagne, bailliage et élection de Langres (5). Il était âgé de 30 ans, mesurait 5 pieds 4 pouces et 6 lignes, 1.75m, cheveux châtains, les yeux gris, le visage plein et marqué de petite vérole, le nez long, bien fait, taille fine et petite hanche. Il s'engagea le 12 avril 1747. Les grenadiers formaient une compagnie d'élite dans chaque bataillon d'infanterie. Seuls les soldats les plus beaux et les plus grands y étaient admis.
  Deux soldats s'engagèrent le même jour dans la compagnie de Browne. Jean Cousin "natif de Bal en Champagne juridiction de Langres âgé de 25 ans taille de 5 pieds et 2 pouces, 1.60m, cheveux bruns clairs, les yeux gris, le visage plein et uni marqué de petite vérole, bien fait et corseté". Dominique Parents, "natif de Lenglé en Champagne, juridiction de Langres, âgé de 23 ans, taille de 5 pieds et 4 pouces, 1.73m, cheveux bruns châtains, les yeux bruns, le visage rond pale et bien fait". Ces deux hommes s'engagèrent le 29 octobre 1747. Les lieux de naissance donnés par ces soldats sont problématiques. Il n'existe aucun Bal, la solution de Balesmes est la plus probable. Il nous a été impossible de retrouver ce Lenglé. Il a existé une ferme dénommée Langlé-Martin sur le territoire de Semoutiers (6). Cette solution est cependant impossible puisque Semoutiers appartenait à la généralité de Bourgogne, bailliage de Châtillon-sur-Seine (7). Ce soldat était plus probablement originaire de Leuglay qui se trouvait dans l'élection de Langres (8). N'oublions pas que des problèmes de communications pouvaient exister dans ces corps. Les officiers chargés du travail administratif, le major ou l'aide major, étaient des Irlandais et nos Langrois avaient certainement un accent difficilement compréhensible (9). L'engagement de ces deux hommes est assez facilement explicable. Le 2 juillet 1747 la bataille de Lawfeld eut lieu. Ses combats furent particulièrement meurtriers pour la Brigade irlandaise puisque sur ses six régiments elle perdit 800 hommes (10). Les régiments avaient donc besoin de recruter un maximum d'hommes pour combler leurs pertes. Le lieu de recrutement ne nous est malheureusement pas connu. Jusqu'à la fin de la guerre de Sept ans Paris fut le plus grand marché de recrues. Il n'est pas non plus possible d'exclure qu'un recruteur du capitaine Browne soit passé par la région de Langres.
  Enfin le dernier soldat à s'engager dans le régiment de Lally fut Pierre Henry natif de Piepape. Ce soldat était âgé de 23 ans et mesurait 5 pieds 1 pouce et 6 lignes, 1.66m. Ses cheveux et sourcils étaient noirs, ses yeux gris. Son visage était plein, son nez gros. Il avait de bonnes jambes. Il s'engagea le 26 décembre 1747 dans la compagnie de Bourke.
   Le régiment de Berwick accueillit aussi au cours de ce conflit un soldat du pays de Langres. Clément Boisbien "né à Grenan en Champagne près de Langres. Âgé de 30 ans, taille de 5 pieds 4 pouces, 1.73m. Cheveux sourcils et yeux noirs, le nez mince la bouche médiocre". Il s'était engagé le 25 novembre 1747 et obtint son congé absolu le 23 décembre 1749 (11). Le fusiller Boisbien, venait donc de Grenant dans l'actuel canton de Fayl-Billot. Le nom de ce soldat est assez étonnant et fait penser à un nom de guerre. Dans l'infanterie française, les soldats portaient très souvent des noms de guerre, c'est-à-dire des surnoms. L'âge de ce soldat permet d'échafauder une hypothèse. Il pouvait s'agir d'un ancien soldat de l'infanterie française qui après avoir obtenu un congé, ou une désertion, se serait réengagé.

À suivre...
Guillaume Vautravers, des Langrois dans l'armée royale, le cas de la brigade irlandaise, Société historique et archéologique de Langres (SHAL), Bulletin trimestriel, n°356, 2004,
pp. 397-401.

1. Il faut mettre à part le régiment des Gardes-françaises qui était un régiment royal qui faisait partie de la maison militaire du roi.

2. Guillaume Vautravers, Le régiment de Rooth, Roscommon et Walsh. 1718-1790, mémoire de maîtrise sous la direction de Madame Jeannine Fayard-Duchêne, Professeur des Universités, Université de Bourgogne. La Brigade Irlandaise au service de la France, mémoire de DEA sous la direction de Madame Christine Lamarre, Professeur des Universités, Université de Bourgogne, 1999. Doctorat en cours de réalisation sur le même sujet à l' Université de Bourgogne sous la direction de Madame Christine Lamarre et de Thomas O'Connor, Lecturer à la NUI, National University of Ireland, Maynooth.

3. SHAT., 1 Yc 259-1, le registre de contrôle des troupes du régiment de Clare, 1737-1742.

4. SHAT., Yc 259-2, le registre de contrôle des troupes du régiment de Clare, 1744.

5. SHAT., Yc 437, 1746, compagnie d' Heguerty, Fouvent, Haute Saône, arr. Gray, c. Champlitte. Voir Roussel, Abbé, Le Diocèse de Langres, Histoire et statistique, tome III, Langres, 1878, page 368, §1231.

6. Emile Jolibois, La Haute-Marne ancienne et moderne, réédition de 1967, page 298

7. Emile Jolibois, La Haute-Marne ancienne et moderne, réédition de 1967, page 500.

8. Roussel, Abbé, op.cit., note 5, tomme III, page 57, § 693. Côte-d'Or, arr. Montbard, c. Reccey-sur-Ource.

9. De plus nous ne connaissons pas la langue employée dans ces régiments. Les régiments étrangers employaient leur langue d'origine pour les commandements. Dans le cas de la Brigade Irlandaise nous ne savons pas s'il s'agissait de l' anglais ou du gaélique.

10. Eoghan O'Hannrachain, "The Irish Brigade at Lafelt 1747 : Pyrric victory and aftermath" in Journal of the Cork Historical and Archaelogical Society, Cork, volume 102, 1997, page 1.

11. SHAT., 1 Yc 141-1, registre de contrôle des troupes du régiment de Berwick, 1749, compagnie de Ryan.









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