"Les cons ne mènent pas le monde, mais pour mener le monde il faut plaire aux cons. C'est pourquoi tout est fait ici-bas pour eux, c'est pourquoi quiconque ne l'est pas tout à fait se sent en exil chez les crétins, et s'indigne, et pleure..."
François Cavanna, 1923-2014
Ce pays est perdu
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La destruction de notre patrimoine hydraulique au nom de la protection de la biodiversité… mais laquelle ?
Christian LevequeÉcologue, hydrobiologiste, directeur de recherches émérite de l’IRD et spécialiste des écosystèmes aquatiques
09.09.2020
Depuis 20 ans, les gestionnaires de l’eau tentent de répondre à la Directive cadre sur l’eau européenne qui vise à améliorer la qualité écologique et la qualité chimique des cours d’eau pour parvenir à ce que l’on appelle le « bon état écologique ». Ce dernier, pour simplifier, dépend de trois facteurs principaux : les introductions d’espèces, les pollutions, et les transformations de l’habitat du fait des aménagements.
La loi biodiversité quant à elle, parle de reconquérir la biodiversité, mais encore faut-il savoir laquelle… Car au-delà du slogan politique, il aurait fallu préciser ce que l’on attend… Si c’est pour retrouver une biodiversité historique, mais où mettre le curseur ?, ce sera bien difficile, compte tenu des nombreuses espèces qui se naturalisent dans nos cours d’eau.
Les espèces qui se naturalisent
Les introductions d’espèces dans nos systèmes aquatiques sont anciennes, à l’exemple de la carpe. Mais beaucoup d’espèces de poissons ont été introduites depuis le XIXe siècle par le monde de la pêche de telle sorte que nos cours d’eau hébergent maintenant un tiers d’espèces de poissons originaires d’autres régions du monde, parmi lesquels plusieurs prédateurs? truite arc-en-ciel, perche, sandre, black-bass, poisson chat, silure glane, etc..? dont l’impact sur la faune aquatique autochtone n’a jamais préoccupé les ardents protecteurs de la nature… L’introduction récente et sans aucune autorisation, faut-il le rappeler, du silure glane dans l’ensemble du réseau hydrographique pour satisfaire une poignée de pêcheurs, amateurs du « catch and release » [ la capture et la remise à l'eau], n’a donné lieu à aucune sanction, alors que ce grand prédateur n’est pas inactif dans les cours d’eau. Il existe pourtant une police de la pêche qui aurait dû contrôler cette activité totalement illégale… Aurait-elle fermé les yeux ? Sans compter que les déversements massifs de poissons d’élevage, souvent des prédateurs, au nom du soutien des populations naturelles, mais en réalité pour satisfaire les adhérents qui ne rentreront pas bredouilles à l’ouverture de la pêche, bouleverse depuis des décennies la biodiversité aquatique, sans qu’aucune recherche n’ait été menée sur les conséquences de cette activité maintes fois répétée sur les peuplements aquatiques. On sait néanmoins que ces déversements ont modifié la structure génétique des poissons sauvages. Quant à l’impact sur la flore et la faune aquatique, tout scientifique ne peut ignorer que l’introduction de prédateurs n’est pas anodine !
Enfin, nos systèmes fluviaux font partie d’une vaste trame bleue européenne en raison des nombreux canaux qui font communiquer les bassins hydrologiques. L’ouverture d’un canal Rhin-Main-Danube en 1992 a permis à de nombreuses espèces aquatiques du bassin du Danube de coloniser les cours d’eau d’Europe occidentale. Une situation comparable à celle des espèces de la mer Rouge qui ont pénétré en Méditerranée après l’ouverture du canal de Suez. Ce sont essentiellement des mollusques, des crustacés, et des poissons dont quelques espèces de gobies dont l’abondance actuelle dans certains cours d’eau ne laisse pas d’inquiéter. Toutes ces espèces, et celles qui ne manqueront pas de s’installer en raison du changement climatique, font maintenant partie intégrante des communautés biologiques des cours d’eau…. Dans ce contexte, que cherche-t-on à reconquérir ? Quelles rivières sauvages ou naturelles espère-t-on restaurer ? Des cours d’eau débarrassés de toutes ces espèces qui n’y ont pas leur place ? Cette blague ! Les technocrates qui n’ont de cesse de prôner l’éradication de ces espèces ne savent probablement pas que faire disparaître un mollusque, un crustacé ou un poisson d’un système fluvial relève de l’incantation. On met le doigt sur l’incohérence des politiques prônées par des individus porteurs d’une représentation idéologique de la nature mais peu au fait de la réalité du terrain.
Les pollutions
La qualité de l’eau est primordiale pour la vie aquatique. C’est le grand point noir de la DCE qui fait le constat, quelle surprise…, qu’au-delà des mesures législatives la réaction des systèmes écologiques prend du temps… Autrement dit nous avons été trop optimistes en pensant que cette question pouvait être résolue dans des délais raisonnables, ce qui inquiète les gestionnaires ayant des comptes à rendre à la DCE
Il est incontestable que des progrès importants ont été réalisés dans le contrôle des pollutions. On a pu montrer par exemple que la richesse en insectes dans les cours d’eau s’est améliorée. Néanmoins toutes les pollutions sont loin d’être entièrement maitrisées, en particulier au niveau des estuaires qui sont des lieux de passage obligés des poissons migrateurs. Et si les eaux ne sont pas saines il est évident, quoiqu’on fasse, que les espèces aquatiques ne reviendront pas. L’eutrophisation, liée à des apports en excès des éléments nutritifs, affecte toujours l’ensemble de nos eaux continentales. Les pollutions diffuses résultant des pratiques agricoles restent problématiques. Mais des événements récents ont montré que les pollutions industrielles ne sont pas en reste, sans compter les pollutions urbaines et les pollutions émergentes résultant des résidus médicamenteux, mimétiques hormonaux, dont nous sommes tous responsables. Imaginer que l’on va retrouver partout des eaux claires et pures est donc une utopie, mais on peut encore améliorer la situation sans aucun doute.
L’habitat
Reste l’habitat qui fait maintenant l’objet d’une fixation des services gestionnaires depuis que le dogme de la continuité écologique des cours d’eau est devenu une préoccupation principale des projets de restauration à l’issue du Grenelle de l’environnement de 2009. On peut penser que devant la difficulté évoquée plus haut d’atteindre le bon état écologique, on a trouvé un bouc émissaire car il y a manifestement surinterprétation de la part des gestionnaires des directives européennes. On peut aussi penser que selon la tradition des ingénieurs hydrauliciens, c’est un moyen d’évacuer plus vite certaines pollutions vers les estuaires et la mer…. et de traiter ainsi le problème !
L’hypothèse selon laquelle on pourrait retrouver le bon état écologique des cours d’eau en supprimant tous les obstacles est portée de manière conjoncturelle à la fois par des mouvements militants, qui rêvent de retrouver des rivières sauvages, des ingénieurs gestionnaires, pour qui détruire des ouvrages c’est enfin du concret, et d’un groupe de pêcheurs sportifs qui espèrent le retour de leurs poissons favoris.
Cette hypothèse que l’on peut qualifier au mieux de théorique, mais à consonance idéologique, reste une hypothèse qui n’a pas été démontrée sur le terrain, ce qui n’a pas empêché de déclencher un grand programme de destruction systématique de notre patrimoine fluvial, bâti et naturel. Des décrets récents vont encore faciliter l’accès des bulldozers…. On pourrait rappeler cependant que les premiers arasements de barrage dont celui de Maison Rouge sur la Vienne n’ont pas apporté d’amélioration quant au retour des migrateurs dont les populations continuent de décroitre. Et les travaux menés pendant une trentaine d’années par l’ EPTB EPIDOR sur la Dordogne, dont on ne peut douter du sérieux, n’ont pas réussi à rétablir des populations viables de saumon. Dans la majorité de rivières françaises les populations de saumon sont actuellement issues de l’alevinage.
Affirmer qu’assurer le retour du saumon dans les cours d’eau c’est assurer la protection de la biodiversité est une contre-vérité. Les poissons sont certes emblématiques, mais ne sont pas des intégrateurs de la biodiversité aquatique. C’est ignorer tout simplement une loi de base en écologie : quand on cherche à favoriser une espèce, c’est au détriment d’autres espèces. C’est le sens du dicton paradoxal : protégez un arbre, mangez un castor !
Les aménagements réalisés depuis des siècles, s’ils ont modifié le système fluvial, ont aussi créé des systèmes écologiques nouveaux, variés, qui abritent une flore et une faune diversifiée ! Les zones humides associées aux annexes des moulins et aux queues d’étangs, les biefs anciens devenus souvent des bras morts latéraux du cours d’eau, hébergent par exemple des batraciens qui ne vivent pas en eau courante et n’apprécient pas les poissons qui sont leurs prédateurs, ainsi que beaucoup d’espèces d’insectes et de végétaux des milieux stagnants. Les retenues et biefs, ayant de bons volumes d’eau par rapport à la rivière courante, sont riches en espèces d’eau stagnante et en poissons qui profitent à des oiseaux ou à des mammifères. Ces retenues jouent un rôle de zones refuges en période de sécheresse ce qui, dans les conditions climatiques actuelles, est appréciable. Mais en réalité tous ces milieux annexes pourtant fort riches sont mal connus car, dans l’état d’esprit actuel, on a tendance à considérer qu’un milieu artificiel a peu d’intérêt. Peu importe que de nombreuses espèces de batraciens soient actuellement menacées du fait de la perte de leurs habitats ? Ou que l’on détruise, en évitant surtout d’en faire état, des populations de la mulette perlière, ce mollusque protégé et lui aussi fortement menacé, comme ce fut le cas lors de l’arasement du barrage de Maison-rouge sur la Vienne ?
Une démarche scientifique consisterait à faire un état de la faune et de la flore avant toute intervention comme c’est le cas en milieu terrestre, et d’anticiper à la fois les gains et les pertes probables résultant de la destruction des seuils. Une opération jamais réalisée en milieu aquatique ! Aurait-on peur qu’elle apporte la preuve de la richesse de ces milieux ? Quelles vont être également les conséquences des arasements sur les systèmes écologiques terrestres adjacents ?
Sans compter une dimension incontournable qui est la qualité des paysages, et le cadre de vie des riverains. Une démarche systémique totalement étrangère à la vision sectorielle de la continuité écologique. Pourtant, l’écologie des cours d’eau a montré que les zones d’inondation avec leurs annexes fluviales jouent un rôle majeur dans la dynamique du système. S’il y a une priorité ce serait de retrouver des espaces de liberté transversaux… mais la presque totalité de ces zones inondables a été urbanisée et leur reconquête est difficilement envisageable. Ce qui veut dire que le projet de retrouver des rivières sauvages est tout simplement utopique. On s’acharne donc sur un élément secondaire…
Bien entendu je ne plaide pas pour le statu quo, ce qui serait tout aussi dogmatique… Il est évidemment possible d’examiner au cas par cas la question des seuils dans le cadre d’une concertation entre partenaires, notamment dans la perspective de mener des expérimentations sur le terrain. Cette proposition avait été faite par les associations de propriétaires de moulins, mais notre administration jacobine n’a pas jugé bon de lui donner suite!
On ne peut pas tenir de doubles discours : se présenter en tant que protecteur d’une nature dégradée par l’homme et que l’on veut restaurer tout en participant à des destructions à grande échelle qui modifient considérablement des systèmes écologiques fonctionnels. C’est entrainer la nation dans des opérations onéreuses qui profitent beaucoup plus aux opérateurs de travaux publics qu’à la biodiversité.
La transition écologique dans ce contexte est bien mal partie si elle consiste à imposer des mesures mal vécues par les citoyens et destinées en réalité à répondre à des lobbies qui cherchent à s’approprier l’espace public dans le but de satisfaire leur intérêt ou de réaliser leurs fantasmes. Toutes ces questions sont exposées plus en détail dans un ouvrage collectif qui vient de paraître.
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