Haute-Marne : des Langrois dans l'armée royale au sein de la Brigade Irlandaise, épisode II et FIN

  Les derniers soldats originaires de Langres s'engagèrent au cours de la guerre de Sept ans, 1756-1763. Deux régiments accueillirent ces hommes, Berwick et Bulkeley.
  Le 18 novembre 1760, Denis Murteau s'engagea dans la compagnie de Cullen du régiment de Berwick (12). Cet homme était "natif de Treschateau en Champagne dans la juridiction de Langres". Il était âgé de 19 ans, taille de 5 pieds 2 pouces, 1.68m, cheveux, sourcils et yeux noirs, le nez court et la bouche médiocre, le visage rond, plein et uni. Il déserta le 9 avril 1761. Treschateau est une forme ancienne de Til-Châtel qui se trouvait aussi à l'époque dans la généralité de Champagne, bailliage et élection de Langres (13). Nous disposons dans ce registre de l'identité des parents, Denis et Anne Bezar. La désertion rapide de ce soldat peut indiquer plusieurs choses. Tout d'abord une inadaptation à la vie militaire ou un engagement sur un coup de tête. Ce soldat peut aussi avoir été un billardeur. Le billardage était une pratique hautement répréhensible puisqu'elle alliait plusieurs délits, le vol, l'escroquerie et la désertion. Le billardeur s'engageait afin de toucher l'argent du roi, la prime d'engagement, puis désertait et recommençait son crime dans un autre régiment.
  François Diard et Nicolas Thomas s'engagèrent tous les deux dans la compagnie de Caroll, ci-devant lieutenante-colonelle le 10 octobre 1761. Ces deux hommes avaient un parcours parallèle puisqu'ils avaient déjà servi dans la même compagnie, Viart, du régiment du Dauphin [ titre attribué à sa naissance au fils aîné du roi de France régnant. À l'origine c'était le surnom, puis le titre, des seigneurs du Dauphiné de Viennois, comtes d' Albon-Viennois. En 1349, le Dauphiné fut rattaché au royaume de France et le titre fut porté désormais par le fils aîné du roi de France] et ils en désertèrent en 1759. En se réengageant ils bénéficièrent d'une amnistie. François était "né à Langres en Champagne, fils de François et de Jeanne Pinard, paroisse Saint-Nicolas âgé de 21 ans, taille 5 pieds 4 pouces, 1.73m, cheveux et sourcils bruns, les yeux noirs, le nez long et gros, la bouche grande, le visage ovale marqué de petite vérole, un seing au front". Il s'engagea pour 3 ans et passa aux grenadiers le premier mars 1762.
  Nicolas Thomas "né à Langres en Champagne, fils de Jean-Baptiste et Claude de Todinaut ou Jodinaut, paroisse Saint-André, âgé de 19 ans taille de 5 pieds 2 pouces 6 lignes, cheveux et sourcils noirs, les yeux bleus, le nez et la bouche médiocre, le visage rond et uni, engagé pour 3 ans. Désertion le premier avril 1764". Nous reviendrons ultérieurement sur ces deux hommes.
  Enfin le dernier corps à accueillir un homme de la région de Langres fut celui de Bulkeley. François Foureau s'engagea dans la compagnie de James Kearney (14). Il fut le plus haut gradé puisqu'il atteignit le grade de caporal et qu'il était noté comme tel dans le registre. Il était " natif de Cont juridiction de Lancre en Champagne, âgé de 32 ans, taille de 5 pieds 2 pouces, 1.68m, les cheveux châtains, les yeux noirs, le visage maigre et fort basané, le nez court, les narines ouvertes, les sourcils bruns et fournis, un porreau [en Suisse, un poireau ; verrue] sur la joue droite. Engagé le 7 septembre 1755 pour 3 ans". Bien évidemment il s'agit de Cohons, juridiction de Langres. Nous reparlerons aussi de cet homme.
  Les registres de contrôle des troupes forment une source formidable, pour la connaissance des hommes de l' Ancien Régime. Nous disposons d'une description physique qui devait permettre de rechercher les déserteurs. Il ne faut cependant surestimer les possibilités données par cette source. Des historiens estimèrent possible de faire des statistiques sur la taille moyenne des soldats. Nous ne savons pas comment se passait le passage sous la toise et même si la recrue y passait ou si sa taille était estimée à vue de nez. La mesure de la taille se faisait-elle pieds nus ou avec les chaussures ou les sabots? De même nous ne savons pas ce que recouvraient exactement les descriptions des cicatrices, des traces de petites véroles et toutes les affections cutanées comme les "porreaux" ou les "seings". De plus ces registres nous font entrer dans un monde de perception personnelle, celle du major ou de l'aide major. Le major du régiment X n'avait pas la même perception des couleurs et de leurs nuances que le major du régiment Y. Au cours de nos recherches nous avons rencontré des couleurs de cheveux ou d'yeux exceptionnelles. Ainsi un soldat était décrit comme ayant les cheveux bleus. Il s'agissait assez probablement d'une chevelure d'un noir très foncé ayant des reflets bleus. N'oublions pas la légende de Barbe bleue.



Source : https://www.lirecestpartir.fr

  Nous ne savons pas toujours à quoi correspondent exactement les juridictions données dans les registres. Dans le cas des Irlandais, la juridiction la plus évidente est le comté [ subdivision administrative. 32 comtés, 4 provinces : Ulster, Connacht, Munster et Leinster ]. Dans le cas de nos Langrois, il s'agissait très certainement du bailliage ou de l'élection puis de la province.
  Les registres étaient renouvelés assez régulièrement. En fin de période de couverture, le registre était généralement mal tenu. Cette mauvaise tenu explique l'absence de suivi des soldats. Ils apparaissent puis ne sont plus présents dans le registre suivant. Nous ne savons pas ce qu'il est advenu d'eux.
  Nous nous proposons maintenant de mettre en avant les trois derniers soldats que nous avons croisés.
  François Diard et Nicolas Thomas se disent originaires de Langres. Or les paroisses données, Saint-Nicolas (15) et Saint-André n'existaient pas à Langres. Il existait plusieurs régiments du Dauphin, un d'infanterie, un de cavalerie, un de dragons et le dernier Dauphin Étranger. Dans aucun de ces régiments, il n' y eut en 1759 ou avant de compagnie Viart (16). Il est possible qu'il y ait eu une mauvaise transcription du nom de la compagnie. Dans ce cas, les seules compagnies de Viart ou Viard qui existait à cette époque se trouvaient dans deux régiments d'infanterie, Lorraine (17) et Talaru (18) et dans le bataillon de milice de Mantes (19) dans la généralité de Paris. Il semble peu probable, voire impossible, que ces deux hommes puissent provenir du régiment de Lorraine. En 1759, ce corps se trouvait aux Indes et participait à l'expédition du comte de Lally qui commandait un régiment irlandais de son nom (20).
  Il existe donc un doute sur l'identité et le parcours de ces deux hommes. Soit ils étaient véritablement Langrois mais fournirent des renseignements sur leurs parcours antérieurs faux. Soit ils n'étaient pas Langrois et d'une généralité inconnue. La vérification des trois registres de contrôles des troupes pourraient s'avérer intéressante afin de comprendre le parcours de ces deux hommes. Dans les deux cas, une question se pose. Pourquoi? Pourquoi mentir sur le parcours militaire supposé? Pourquoi se dire originaires de Langres?
  Le caporal Foureau fut retrouvé fortuitement. Il continua sa carrière militaire. En 1775, la Brigade Irlandaise fut réformée et ne conserva que deux régiments sur les cinq. Le régiment de Clare absorba le régiment de Berwick mais le corps ainsi créé prit le nom de Berwick. Bulkeley absorba Dillon mais encore une fois, le nouveau régiment prit le nom de Dillon. L'on retrouve François Foureau dans ce nouveau corps (21). La graphie du nom diffère sensiblement puisqu’il se nomme Fourreaux mais la description correspond. Il mourut à la Grenade le 12 août 1780. La présence aussi tardive de cet homme est assez étonnante. L'article 3 d'une ordonnance de janvier 1763 sur les recrues des infanteries allemande, irlandaise et italienne ordonnait de donner son congé à tout sujet du roi s'y trouvant (22). Le caporal Foureau disparut tout simplement des registres. Il faut probablement y voir une conséquence de cette ordonnance. Le major ou l'aide major falsifièrent certainement son identité afin de le garder dans le corps. Ils le transformèrent en Wallon ou en Flamand.
  Des Langrois s'engagèrent donc dans des régiments d'infanterie irlandaise. Le plus étonnant est très certainement cette présence relativement importante. En valeur absolue l'on trouve plus de Langrois que de Dijonnais. Il faut sans doute y voir une conséquence de l'économie locale. La pauvreté était le meilleur recruteur de l' armée.
  Le décret du 21 juillet 1791 de la Constituante mit fin à l'existence des infanteries étrangères au service de la France. Les régiments suisses restèrent au sein de l'armée royale jusqu'en septembre 1792 et le pouvoir révolutionnaire leur proposa de rester au service de la France mais le massacre des Gardes Suisses le 10 août précédent eut un effet très néfaste et les corps retournèrent en Suisse.

 





Source : Un régiment Irlandais au service de la France 1691-1790

FIN.

Guillaume Vautravers, Des Langrois dans l'armée royale, le cas de la brigade irlandaise, Société historique et archéologique de Langres (SHAL), Bulletin trimestriel, n°356, 2004, pp.401-404.

12. S.H.A.T., 1 Yc 139-1, registre de contrôle des troupes du régiment de Berwick, 1756.

13. Alphonse Roserot, Dictionnaire topographique de la Côte d'Or, Paris, 1924, page 392. Roussel, abbé, op.cit., note 5, tome III, page132. Til-Châtel, Côte-d'Or, arr. Dijon, c. Is-sur-Tille.

14. S.H.A.T., 1 Yc 224-2, registre de contrôle de troupes du régiment de Bulkeley , 1761.

15. Il existait cependant à Langres une commanderie Saint-Nicolas qui dépendait de l'ordre de Malte. Cette maison de l'ordre de Malte dépendait du point de vue canonique de la paroisse Saint-Martin. Voir Roussel, abbé, tome II, Langres, 1875, page 337-8, § 329. Cet élément n’ôte pas à ce soldat son caractère extrêmement douteux en ce qui concerne son origine et son parcours militaire.

16. André Corvisier, Les registres de contrôles des troupes de l'Ancien Régime, Vincennes, 1970. Pour Dauphin Infanterie tome 2, pages 296 à 298. Dauphin Étranger, cavalerie, tome 3, page 57-8. Dauphin Cavalerie, tome 3, page 135. Dauphin Dragons, tome 3, page 212.

17. André Corvisier, ibidem, tome 2, page 57, compagnie de Viart du second bataillon du régiment de Lorraine.

18. André Corvisier, ibidem, tome 2, page 255-6, compagnie de Viard, troisième bataillon du régiment de Talaru en 1759 et second bataillon pour le contrôle de 1762.

19. André Corvisier, ibidem, tome 3, page 400, compagnie de Viard du bataillon de milice.

20. Pierre-Antoine Perrod, L'affaire Lally Tolendal, Service de reproduction des Thèses, Lille, tome 1, page 56.

21. S.H.A.T., 1 Yc 305, registre de contrôle du régiment de Dillon, 1776-1786, second bataillon compagnie de Kelly.

22. S.H.A.T., MR 1772, pochette Irlandais.

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