Pour gagner "notre" neutralité carbone, polluons chez les autres II

" (...) les promoteurs de la voiture électrique s’appuient sur des performances inexistantes."
  Et qu'importe alors pour les enfants gâtés, activistes verts des pays occidentaux que LEURS solutions pour lutter contre le réchauffement climatique engendrent une infernale course aux métaux qui empoisonne et tue les populations d'Afrique, d'Amérique du Sud et d'ailleurs.
 "L'art de la guerre, qui est l'art de détruire les hommes, comme la politique est celui de les tromper."
Jean le Rond d'Alembert, 1717-1783



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Derrière la voiture électrique, l’empire des GAFAM

Célia Izoard (Reporterre)
3 septembre 2020 



  Pour vanter son supposé caractère écolo, les promoteurs de la voiture électrique s’appuient sur des performances inexistantes. Surtout, ils la placent au cœur d’un système de mobilité centré sur la voiture autonome, donc l’intelligence artificielle.
   Cet article est le troisième et dernier de notre enquête consacrée à la voiture électrique. Le premier volet s’intéresse aux émissions de gaz à effet de serre : « Non, la voiture électrique n’est pas écologique » ; le second à la dépendance aux métaux : « La voiture électrique cause une énorme pollution minière ».
  On l’a vu, les véhicules électriques sont loin d’être un substitut magique permettant de limiter la catastrophe environnementale. Leur fabrication émet environ deux fois plus de gaz à effet de serre que leurs équivalents thermiques et génère beaucoup plus de pollutions toxiques du fait de la quantité bien supérieure de métaux qu’ils contiennent. Et comme leurs batteries ne durent qu’une dizaine d’années, qu’on les utilise ou non, il s’avère compliqué d’amortir toutes ces pollutions. Il faut que les véhicules aient de petites batteries, et donc ne servent qu’à des déplacements locaux. Que leur usage soit intensif, sans quoi la batterie perd de sa puissance avant même d’avoir servi à polluer moins — donc, que les véhicules soient partagés, au lieu de passer 95 % de leur durée de vie en stationnement. Il faut que la recharge de ces batteries s’effectue en mode lent, et ne crée pas de pics de consommation d’électricité ; que les métaux de ces batteries soient recyclés ou, au minimum, que les batteries soient massivement réutilisées pour stocker de l’électricité solaire ou éolienne.
  Le projet de faire des véhicules électriques le socle d’une mobilité plus écologique repose donc moins sur le tableau d’ensemble actuel que sur une série d’hypothèses suspendues à des progrès futurs. Exemple cocasse : l’entreprise Tesla, dans son dernier « rapport d’impact », c’est-à-dire le document censé renseigner les dommages environnementaux de ses véhicules, n’hésite pas à argumenter en s’appuyant sur des performances à venir : « Quelles seraient les émissions de CO2 par mile [1.609 m] d’une Tesla Model 3 si elle était utilisée en autopartage sur un total d’un million de miles et rechargée uniquement à partir d’énergie solaire ? »
  Pour Jean-Louis Bergey, expert en économie circulaire à l’Agence de la transition écologique, anciennement Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, Ademe, faire un tel pari semble de toute façon nécessaire : « La technologie des véhicules électriques n’est pas encore aboutie, mais ce n’est qu’en les diffusant dans la société qu’ils vont s’améliorer, explique-t-il. Car ce n’est qu’en massifiant les procédés industriels qu’on peut valoriser et financer la recherche, qui, à son tour, va permettre d’obtenir de meilleurs véhicules. » Bref, fabriquons des voitures électriques en masse en tablant sur le fait qu’elles s’amélioreront demain. Mais n’est-ce pas ce genre de raisonnements, fondés sur la confiance dans le développement technologique, qui nous ont amenés dans l’impasse écologique actuelle ? Il y a cinquante ans, au moment du lancement du parc nucléaire, ne semblait-il pas tout aussi évident que les avancées de la science permettraient de neutraliser ses déchets encombrants ? À l’heure du basculement climatique et de l’effondrement des écosystèmes, peut-on se le permettre ? Et plus pratiquement, comment le fait de renouveler prématurément un parc automobile en état de marche pour le remplacer par des véhicules qui risquent d’être obsolètes dans quelques années pourrait-il limiter les dommages environnementaux ?
  Mais pour les professionnels du secteur de l’automobile et des nouvelles technologies, le véhicule électrique ne peut être considéré isolément, il n’est qu’une facette d’une « révolution » imminente, résumée par un acronyme à la mode : ACES, autonomous, connected, electric and shared - shared, partagé. « Il ne fait plus de doute que le véhicule connecté, zéro émission [électrique] et 100 % autonome sera une réalité dans un horizon proche », affirme ainsi le regroupement d’entreprises, Uber, Engie, Blablacar…, qui a soumis au gouvernement ses propositions pour « réinventer la mobilité à l’horizon 2030 » [1]. Car, du fait de leur motorisation et de leurs batteries, les véhicules électriques favorisent la transition vers des véhicules sans conducteur, pilotés par des capteurs et des algorithmes, dont ils sont l’une des briques technologiques.

 

Un prototype de voiture sans chauffeur d’Uber à San Francisco, en novembre 2016.

  Ainsi, demain, imaginent leurs promoteurs, grâce à l’avènement des véhicules autonomes, les plateformes comme Uber pourront faire baisser le prix des courses en supprimant le coût du chauffeur, ce qui incitera tout un chacun à ne plus posséder de voiture personnelle. Il suffira d’en appeler une depuis son smartphone. On pourra également envoyer son véhicule autonome chercher ses voisins pour partir travailler en covoiturage grâce à une appli dédiée. Grâce à la généralisation de la 4G et de la 5G, les feux rouges, les panneaux et les routes communiqueront avec les voitures, qui pourront aussi s’échanger des informations, ce qui fluidifiera le trafic et rendra la conduite plus économe en énergie.   Après cette révolution des véhicules connectés et autonomes favorisant l’autopartage, les problèmes inhérents aux véhicules électriques seront résolus par la main invisible de l’intelligence artificielle et des réseaux. Le chaos de la motorisation individuelle fera place à un ballet silencieux et ordonné.
  Mais si tel est l’horizon qui se dessine en arrière-plan du passage à la voiture électrique, quelles conséquences écologiques pourraient résulter du fait de placer la mobilité sous le grand ordonnancement du big data et des réseaux ? Par exemple, quelle quantité d’émissions de CO2 serait générée par l’énergie nécessaire pour faire circuler toutes ces données, si tous les véhicules étaient connectés en 4G ou 5G, et échangeaient constamment des informations entre eux et avec l’infrastructure routière ? L’équipe du Shift Project a montré que la part du numérique dans les émissions de CO2 était déjà en 2018 de 3,7 %, soit plus que le transport aérien, 2, 5 %. La consommation d’énergie induite par les data centers, les terminaux et les réseaux a augmenté de 9 % par an depuis 2015. Et le Shift Project rappelle qu’un data center moyen, d’une superficie de 1.000 m² et d’une puissance d’1 MGW, consomme autant d’énergie qu’une ville de 10.000 habitants [2]. Or la « smart mobility » s’apprête à faire exploser le volume du trafic sur les réseaux et dans les data centers. Comment cela n’effacerait-il pas les gains issus de la rationalisation des mobilités obtenue par la connectivité ?



Un centre de stockage des données, « data center », en région parisienne.

  De plus, le véhicule autonome est à peu près l’inverse de la sobriété. Pour passer d’un « simple » véhicule actuel à un véhicule autonome capable de se conduire et de se garer tout seul, il faut une quantité non négligeable d’équipements supplémentaires : caméras, lidars, radars et des centaines d’autres capteurs permettant de remplacer la perception et la conduite humaines. En plus des conséquences écologiques de la production très intensive en métaux et en produits chimiques de cette électronique de pointe, il faudra alimenter ces voitures en électricité. « Tout le monde est d’accord sur le fait que les véhicules autonomes seront très voraces en électricité, écrit Lance Eliot, expert étasunien en intelligence artificielle et directeur du Cybernetic AI Self-Driving Car Institute. Pour décrire leur consommation, certains la comparent à un nombre approximatif d’ordinateurs portables. Imaginez qu’il y ait à l’intérieur de votre véhicule autonome 50 ou 100 ordinateurs fonctionnant à pleine puissance. Cela vous donne une idée de la quantité d’électricité nécessaire pour alimenter les seuls systèmes d’intelligence artificielle et de conduite autonome dans un véhicule de ce type. »
  De ce fait, même si l’efficacité des batteries de voitures électriques s’améliorait prodigieusement, même si l’on parvenait à rendre leur production moins polluante, il en faudrait de plus grosses et de plus puissantes pour alimenter les véhicules électriques « autonomes ». « C’est ce qui s’est passé avec les smartphones, poursuit Lance Eliot. Les premiers smartphones avaient de petites batteries peu performantes. On a amélioré leur efficacité. Mais dans le même temps, les fonctions des téléphones ont été démultipliées, si bien qu’ils consomment maintenant beaucoup plus d’électricité. [3] » 


Un monde plus sobre ou un univers de surmobilité et de surconsommation ?
  Autre problème : on a constaté que les véhicules électriques, silencieux et confortables, peuvent inciter à multiplier les déplacements en voiture au détriment de la marche ou des transports collectifs.   Plusieurs études ont montré que les véhicules autonomes risquent de provoquer des effets rebonds bien plus spectaculaires. Ce que souligne le gouvernement dans sa synthèse sur les voitures autonomes, dont la dernière loi d’Orientation des mobilités a pourtant acté le déploiement : « L’amélioration du confort de conduite devrait améliorer significativement l’attractivité du mode automobile (individuel), en soi et par rapport aux transports collectifs. [Elle] pourrait générer une augmentation de la congestion pour les trajets domicile/travail et un renforcement de l’étalement urbain. [4] »
  On peut donc se demander si une « mobilité du futur associant véhicules électriques, services de mobilité et véhicules autonomes » correspond réellement au « cercle vertueux », décrit avec optimisme par l’Ademe [5]. Des modes de transport fondés sur la fusion entre la voiture, le smartphone et le robot ont-ils la moindre chance de nous amener dans un monde plus sobre — ou vont-ils achever de nous propulser dans un univers de sur-mobilité et de surconsommation ? Est-il possible de lutter contre le réchauffement climatique en subventionnant l’industrie automobile et les start-up du numérique ? Non ?   Alors il est encore temps de prélever quelques milliards du plan de soutien à l’automobile pour, par exemple, développer la recherche sur les mobilités low tech, subventionner les réparateurs de vélos et réhabiliter les vieilles lignes de train, dont l’infrastructure est déjà en place et amortie depuis des décennies.


[1] -Mobility Nation : réinventer la mobilité urbaine et périurbaine à l’horizon 2030, livre blanc à l’initiative du Boston Consulting Group, 2017.
[2] -Shift Project, Pour une sobriété numérique, 2018.
[3] « Power Consumption Vital for AI Self-Driving Cars », AItrends.com, 28/09/18.
[4] « Développement du véhicule automatisé. Orientations stratégiques pour l’action publique », 2018.
[5] « Les potentiels du véhicule électrique », Les avis de l’Ademe, avril 2016.

Lire aussi : La voiture autonome ? Une catastrophe écologique

Source : Célia Izoard pour Reporterre

Photos :
. chapô : des voitures du constructeur Tesla sur le port de Southampton, en Grande-Bretagne, le 20 avril 2020. © Adrian Dennis/AFP
. Nissan : Wikipedia (Norbert Aepl/CC BY 3.0)
. data center : © Mathieu Génon/Hans Lucas/Reporterre

Documents disponibles

« Pour une sobriété numérique », The Shift Project, 2018.
« Développement du véhicule automatisé. Orientations stratégiques pour l’action publique », 2018. 

  « Mobility Nation : réinventer la mobilité urbaine et périurbaine à l’horizon 2030 », 2017.

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