HAUTE-MARNE, LANGRES : IL ÉTAIT UNE FOIS LE COLLÈGE, I

 En souvenir de ma mère, au chevet de laquelle ces pages ont été rédigées.
 
  Les incendies successifs qui ont détruit les archives anciennes de la ville de Langres rendent à peu près impossible l'histoire exhaustive des premières écoles latines et du collège. Les notes suivantes n'ont d'autre ambition que de présenter quelques documents, tirés d'une part du fonds du chapitre de la cathédrale1, d'autre part des copies minutieuses des archives municipales, établies au XIXe siècle par Ernest Jullien de La Boullaye [1809-1892, archiviste bibliothécaire à Langres].2 Ces textes permettent d'éclairer quelque peu les origines modestes d'un collège appelé plus tard à un certain rayonnement, de préciser le nom, la situation et le rôle des premiers maîtres et recteurs et, ce faisant, de rectifier quelques-unes des données du vieux livre de François Gauthier3, souvent adoptées sans autre critique par les historiens postérieurs.4
  Lorsque commence le XVe siècle, la ville semble dépourvue de toute institution scolaire. De l'école cathédrale, née au temps de la réforme carolingienne, il ne subsiste plus de traces; et c'est seulement en 1443 qu'est mentionné pour la première fois le chanoine théologal, chargé de donner des leçons de théologie aux jeunes prébendés, en 1485 qu'est créé l'office de maître des enfants de choeur ou psallette [maîtrise ou école de musique vocale d'une église, Larousse].5 En fait il ne faut pas chercher du côté du clergé l'initiative éducatrice. Comme souvent ailleurs en France à la même époque, ce sont les échevinages, soucieux du rayonnement de leur cité et d'une instruction plus poussée pour les fils de notables, qui donnent l'impulsion nécessaire.6 Ainsi la " chambre de ville " langroise s'efforce-t-elle, tout au long du XVe siècle, d'attirer à Langres un maître réputé en lui octroyant quelques subventions et de trouver un local susceptible d'abriter des élèves. Il lui faut surmonter bien des obstacles avant de cueillir, vers 1525-1530, les premiers fruits de sa politique.
  Le premier document évoquant les préoccupations municipales date de 1413. Le compte d'un maître des réparations de la ville mentionne alors une maison, " En rue Chatin..., en laquelle lon souloit tenir lescole du champ ".7
  Dès cette époque, semble-t-il, le vieil hôtel du Haut-Pas, situé à l'emplacement de l'actuel hôpital, rue de la Charité8, apparait destiné aux écoles de Langres et, plus précisément, à l'école de chant de la cathédrale. Mais en réalité, inhabitable, il set à entreposer les matériaux utilisés pour les fortifications et que l'on désire " mettre à seurté ". Et les chanoines, quand ils organisent plus tard la psallette, préfèrent l'installer à l'intérieur du cloître.
  Les velléités échevinales ne sauraient modifier une situation scolaire, toujours fort médiocre en 1424, si l'on en croit le compte de Jean Berthault, clerc tabellion [archiviste, à l'époque féodale, Au XVIe siècle, notaire, Larousse], collecteur d'une taille de 1 500 livres levée sur les habitants9 :
  " À maistre Remy Gaier maistre des escoles de Lengres dix livres tournois a lui donnees dentree par les bourgeois et habitants dudit Lengres pour remettre sus lesdites escoles qui estoient perdues comme de ceste partie il appert par mandement et quictance dudit Remy cy rendue pour ce...X1. "
  Les notables cherchent donc en 1424 à mettre en place l'établissement scolaire qui leur parait indispensable. Ils favorisent l'installation d'un maître, le premier connu. Remy Gaier réussit-il dans sa tâche? Il est impossible de le dire. Mais en 1438, la chambre de ville tente une autre opération de séduction pour retenir le " maistre d' escole nouvellement venu à Lengres " en le gratifiant de " quatre pintes de vin ".10
  Huit ans plus tard, en 1446, elle paie le loyer de la maison où les enfants sont instruits11 :
  " Pour payé audit Pierre Maublanc pour response faicte a luy par ledit Monin procureur pour maistre Pierre Corroige maistre es ars et grant maistre des escoles de Lengres pour don a lui faict par lesdits bourgeois et habitants en l'an mil IIII C quarante six et ce pour convertir au louyer de la maison en laquelle icellui maistre Pierre et aussi maistre Mathé Amary son compaignon tiennent les escoles audit Lengres par lesd. maistres louee dutit Pierre Maublanc par quictanc dud. maistre Mathé lui faisant fors d'icellui maistre Pierre donnee lan et jour dessusd. pour ce...C s. "
  Les écoles de Langres disposent donc à cette date de deux maîtres, dont l'un au moins, Pierre Corroige, est gradué de l'université. Elles se tiennent dans une maison particulière, louée à un marchand, Pierre Maublanc, également maître des réparations de la ville.12 Hormis le loyer, la ville ne parait pas verser de gratifications aux maîtres : aucun des comptes des procureurs généraux n'en fait alors mention. Comme ailleurs, les parents doivent certainement payer ceux qu'ils chargent d'instruire leurs enfants. Le contenu de l'enseignement reste inconnu; il s'agit moins sans doute des rudiments, écriture et lecture, assimilés déjà grâce à la fréquentation de quelque pédagogue particulier, que d'une introduction plus poussée au monde de la latinité. Les méthodes demeurent peut-être très traditionnelles, mais elles incluent déjà certaines formes de jeux et de spectacles. Le 18 mai 1492 par exemple, le chapitre cathédral autorise les maîtres des écoles de la ville à faire jouer des " moralités " lors de la fête de saint Nicolas.13
  Un procès de 1495 permet de préciser la situation juridique des maîtres langrois.14 Portant désormais le plus souvent les titres de recteur, pour le maître principal, et de régent, pour les adjoints, ils sont placés sous le contrôle direct de l'un des dignitaires du chapitre cathédral, le chantre [personne qui assure les chants dans les offices liturgiques, Larousse].15 Le chanoine Gérard Guillot 16 défend alors ses droits de nomination et de révocation en faveur de Jean Mollot contre Paris Damisel.
  " Et premierement dient iceulx demandeur compleignant, Gérard Guillot, et adjoinct, Jean Mollot, que ratione cantoris dignitatis de lad. eglise de Lengres led. demandeur et compleignant qui en est chantre a plusieurs beaulx droictz prerogatives et peeminences. Item que entre autres choses prerogatives et droictz a lui appartenant a cause que dessus habet jus et est en bonne possession et saisine de instituer et commectre maistre et Recteur descolles en lad. ville de lengres et par tout le diocese. Item en possession et saisine dicelui maistre descolle destituer et desmectre quant bon lui semble ou quil voyt estre utile et necessaire a la chose publicque. Item en possession et saisine que sans son congie auctorite permission et licence il nest loisible ne permis aud. defenseur et opposant, Paris Damisel, ne a quelque autre de quelque estat quil soit tenir ou exercer escolles publicques en lad. ville de Lengres ne soy dire ou porter illec pour Recteur ou maistre descolle publicque. Item en possession et saisine que depuis que led. demandeur et compleignant a commis ou institue ung Recteur descolles aud. Lengres quil nest loisible aud. defenseur ne a autre quelconque de povoir sans licence ou permission desd. compleignant et adjoinct dresser ou tenir escolle particulière ou autre au prejudice diceulx compleignans et adjoinct... "
  Depuis quand le chantre exerce-t-il ce droit ? L'abbé Roussel, après F. Gauthier, attribue à l'évêque Jean des Prés, 1338-1343, la concession de ce privilège au dignitaire du chapitre. Avec Jacques Laurent, il est permis de se montrer plus circonspect, en l'absence de tout titre de possession.17 Du reste Gérard Guillot n'appuie pas sa thèse sur cette preuve irréfutable, mais sur la tradition. Et il procède encore de la même façon en 1504, lors d'une autre affaire contentieuse, devant la bailliage de Sens18 :
  " Et combien que desd. possessions et saisines dessus baptisees et autres afferens et pertinens a la matiere led. Venerable impetrant et ses predecesseurs chantres de lad. Eglise aient joy et use par ung, deux, trois, quatre, cinq, six, quinze, vingt, trente, quarente, cinquante, soixante, quatre vingtz, cent ans et plus et par tel et si long temps quil nest memoire du commencement ne du contraire et quil souffit et doit souffire quant a bonne possession avoir acquise Icelle garder et retenir. "
  En 1495, Gérard Guillot rappelle qu'il a d'abord donné la licence d'enseigner à Paris Damisel :
  " En usant par icelui demandeur et compleignant de son droit et auctoritate cantorialle. Il avoit puis trois ou quatre ans en ça ou environ eu esgard a l'introduction de e proces, baille la charge et commis au regence desd. escolles de lad. ville de Lengres tant que son bon plaisir seroit led. Damisel defenseur et opposant auquel il en auroit baillé ses lettres patentes pensant qui feust plus diligent et expert quil nest au mestier. Et quil feust homme pour bien les exercer et faire prouffiter ses disciples et les instruyre in bonis moribus et sciencia comme il avoit promis et jure de le faire. Item et au moyen desd. lettres de commission ou institution led. Damisel sest mesle de tenir lesd. escolles par certain temps. "
  Paris Damisel ne songe pas vraiment du reste à contester l'autorité du chantre. Il souligne d'abord qu'il a été " fait cree et pourvu au degré de maistre es ars en l'université de Paris... Que après sa procuration et degre il sen tira en lad. ville de Lengres et illec du consentement de maistre Jacques Gros recteur desd. escolles il obtint...congie de regenter aud. lieu de lengres dud. maistre Gerard Guillot qui se disoit ou dit avoir droit de bailler la charge de regenter. "
  Pendant six ou sept ans, il a ainsi pratiqué son métier et instruit les enfants, " tam in moribus quam in scientia, sans aucun contredit ou empeschement et sans quil y ait eu aucun plaintif desd. enfans ne de leurs parens ".
   À ce tableau flatteur, le chantre oppose des accusations graves.
  " Item et ne vault ce que led. defendeur dit au contraire quil est homme idoyne et suffisant pour exercer lesd. escolles et quil a lettres de institution et commission dud. demandeur et compleignant. Car quant a parler de l'idoneyte et souffisance dud. defenseur et opposant, il desplaist aud. demandeur y entrer... Item par apres plusieurs plainctes et doleances faictes aud. demandeur et compleignant par les gens et amis des jeunes enffans de lad. ville qui ne povoient plus tollerer l'indiscretion et insouffisance dud. defenseur et opposant. Et que huius clamore commotus Icelui demandeur a este contrainct en enquerir Il a trouve la verite estre telle comme rapporte lui estoit de l'insouffisance dud. demandeur et opposant mesmement  quil estoit tres negligent et incurieux envers ses disciples. Car ilz perdoient leur temps par ce que le plus souvent il ne frequentoit point lesd. escolles Mais alloit jouer et passer temps parmy les champs et habandonnoit sesd. escoliers qui perdoient leur temps... item et puis qui le fault dire dont il desplait aud. compleignant et demandeur. Il a este raisonnablement meu a destituer et desmectre led. defendeur Encores quant toutes les causes dessusd. neussent en lieu. Car apres plusieurs grandes folyes commises par led. defenseur durant le temps de sa regence et plusieurs libelles diffamatoires par lui et escriptz de sa main a lencontre de plusieurs notables personnaiges tant deglise que laiz il a este a la Requeste dung chanoine de Lengres poursuivy pardevant l'official dud. Lengres en action d'injures pour cause dung libelle diffamatoire contre luy faict par led. defenseur. Et cum cause cognitione en a este actainct et convaincu et condemne par sentence definitive a en faire amende honorable aud.Sr d'eglise, laquelle a genoulx et nue teste il a faicte judicialement en presence dud. official et de plusieurs notables gens illec assistans. Et par ce moyen a encouru infamye et na este des lors et nest capable ad honores  et dignitates : infmibus enim porte dignitatis patere non debent. "
  Ainsi Damisel, régulièrement nommé régent sous l'autorité du recteur Jacques Gros, s'est montré indigne de sa tâche. Mauvais maître, il a manqué aussi de retenue et s'est attiré la vindicte des notables de la ville. C'est pourquoi le chantre lui a demandé sa démission, " laquelle demission descharge et destitution led. defendeur a eue pour aggreable la louee et approuvee verbo et facto ".
  Sur ce, Gérard Guillot a confié la charge de recteur à Jean Mollot, " plus meur, rassis et mieulx morigene pour le prouffit et utilite des enffans dicelle escolle..., qui autreffoiz a regente aud. Lengres et est homme daage meur et rassiz souffisant et ydoine a ce faire..., tres homme de bien et grand personaige aggreable ausd. habitans de lad. ville ".
  Ayant accepté son éviction, Damisel " supplia et requist ou feist supplier et requerir icelui Molot adjoinct que son plaisir feust le louer et affermer pour ung and pour estre subalterne ou second maistre soubz led. Mollot et comme son serviteur mercenaire et loue. Et en ceste qualite auroit icelui defenseur servy demy an ou environ led. adjoinct moyennant le sallaire qui pour ce lui auroit et a este promis et paye par led. Mollot adjoinct... Led. defenseur puis demy an en ça eu regard au commencement de ce present proces, de son autorite privee et en venant directement contre sa foy et promesse faicte a Icelui adjoinct sest voluntairement party de luy et de sond. service. Et non contant de ce sest ingere dresser certaine telle quelle forme descolles publicques en lad. ville de Langres En soy efforcant nommer et porter principal maistre descolle de lad. ville de lengres ou du moins maistre descolle apres led. principal maistre sans avoir sur ce lettres de commission, congie ou permission desd. demandeur et adjoinct en les troublant et empeschant par ce moyen en leurs droictz possessions et saisines a tort sans cause indeuement et de nouvel. "
  Une école concurrente se dresse donc face à l'école officielle. Paris Damisel s'en explique tout simplement : Jean Mollot est un parfait incapable, " parce quil nest homme lectré expert ne souffisant en science pour instruire et endoctriner lesd. enffans ".
 Devant cette médiocrité, ajoute Damisel, " la pluspart des escoliers lont suyvy ".
 Il est évidemment impossible, à travers ces accusations réciproques, de pénétrer au coeur du problème. S'agit-il d'un conflit entre un maître médiocre mais fort de son diplôme universitaire, et un maître sans grade mais riche d'expérience ? S'agit-il d'une querelle entre tenants de méthodes éducatives différentes ? Parents et écoliers semblent en tout cas partagés. Et quelle qu'en soit l'issue, ce procès ne parait guère servir la cause de l'enseignement à Langres. En effet, lors d'une assemblée générale des habitants, tenue le 20 mars 1503, 1502 vieux style, à sept heures du matin au couvent des Jacobins, sous la présidence du bailli ducal, Pierre de Giey [vers 1445 - avant 1506; Seigneur de Briaucourt, de Roucourt, de Marnay et de Verseilles] écuyer, licencié es lois, conseiller du roi, les assistants évoquèrent la médiocre situation des écoles langroises19 : " Aussi que par ce que aud. Lengres n'a maison pour y tenir les escoles, lon ne trouve maistre descole qui vueille venir illec demeurer, qui est au grant dommaige desd. habitans a cause que leur est force envoyer leurs enfans a Chaumont et ailleurs. "
   En 1503, l'état des écoles est donc à peu près le même qu'en 1424. Aussi l'assemblée manifeste-t-elle le désir de trouver une solution :
  " Quant a la maison pour led. maistre descole, a esté advisé deliberé et conclud que led. procureur et huit commis ausd. communes affaires y pourvoiront soit par acheter, avoir a cense lad. maison ou ayder a remaisonner celle ou anciennement lon souloit tenir lesd. escoles. Et en parleront a Monsieur le chantre qui a dit et declaré quil ayderoit a remaisonner icelle maison. "
  En réalité, en 1504, le problème du local n'est toujours pas résolu. Un nouveau procès entre le chantre Gérard Guillot et le maître Louis Le Moine fait apparaître que l'enseignement est encore dispensé dans une maison particulière. L' hôtel du Haut-Pas sert toujours d'entrepôt. Le sergent du bailli de Sens, Simon Privey, le constate en mai20 :
  " Et led. vingt deuxiesme jour a lad. heure de sept heures ou environ, Nous transportasmes au devant de lad. maison du Hault-Pas. Et semblablement y vint et comparut led. impetrant et complaignant et aussi led. maistre Loys adjourné. Et pour ce que nous trouvasmes que led. escolles ne se tenoient plus en lad. maison du Hault Pas mais se tenoient en la maison de feu messire Jehan Robin du consentement dicelluy adjourné, nous nous transportasmes au devant de lad. maison Robin ou de present se tiennent lesd. escolles. "
  Le procès de 1504 est du même type que celui de 1495. Il vise à maintenir les droits des nominations du chantre et le monopole de l'enseignement au recteur qu'il a désigné, " lequel a faculté et puissance de contraindre tous ceulx generalement qui se meslent et entremectent de tenir escolle et instruire jeusnes enfans en lad. ville a venir en son escolle et y amener ou envoyer lesd. enfans sans ce quil leur soit loisible faire ne tenir escolle a part ne particuliere pour faire quelque acte scolastique ne autrement en quelque maniere que ce soit sans son congé ou licence. "
  Tout enseignement se trouve donc ainsi subordonné au recteur qui possède seul la faculté de  " prandre, recepvoir et percepvoir...le droit de rectorie accoustumé et dicelluy faire et disposer a son plaisir et volunté... Ce neantmoins icelluy Venerable complaignant qui puisnagueres a fait collation desd. escolles a ung nommé maistre Aymé Sarrazin recteur dicelles, estant en possessions et saisines dessus baptisées, led. maistre Loys Le Moinne adjourné puis an et jour en ça sest efforcé vouloir tenir escolle particuliere et de fait a tiré a soy et emmené de lescolle ou il se tenoit avec led. maistre Aymé a present recteur plusieurs escolliers jusques au nombre de quarante ou plus quil a fait aler en sa maison disant quil feroit et tiendroit escolle particuliere contre le grey et volonté desd. chantre et recteur. "
  Une nouvelle fois donc, un conflit de maîtres aboutit à l'ouverture d'une école dissidente. Une nouvelle fois le chantre défend victorieusement ses droits. Aimé Sarrazin meurt recteur des écoles en 1515.21 Son successeur, — peut-être point dans l'immédiat, — est Jean Richier, recteur en 1522, qui sollicite alors une indemnité de la chambre de la ville.22
  " A Messieurs de la Chambre de ceste Ville de Lengres. Expose vostre humble serviteur Jehan Richier, Recteur des Escoles ceste dicte ville de Lengres que depuis ung moys en ça luy a esté ordonné par vous Messieurs ne exerce office descole pour aulcun peril de peste lors eminent. Lequel ne contrevenant aucunement a ladicte ordonnance y a obéyr et obtempérer. Et pour ce que ledict exposant vient a grant interest de perte de ce que pour a present ne regente point et que aussi ne pourra de long temps ramassez ses escoliers. Aussi considere que desja  a eu grant dommaige des maladies que dernierement regnoient en cest yver passé par quoy a perdu la plupart de ses escoliers. Et luy a convenu et convient faire les fraiz et despens pour entretenir ladicte escole qui montent a grant pris, l' entretenement dun second maistre et les droys accoustumez pour lesquelz avoir faict il demeure en grant debte et redevance. Supplye humblement quil vous plaise a vous Messieurs avoir regart a sa perte et dommaige et le recompenser ainsi quil sera advisé par vostre bon conseil et delibération. En quoy faisant luy donneres couraige de mieulx en mieulx vous servir et faire son debvoir. "
  En 1522, les écoles langroises restent donc bien fragiles. La maladie fait fuir les écoliers, le danger de peste conduit les autorités à interdire toute espèce de rassemblement. Et pendant ce temps le recteur doit vivre, subvenir aux besoins de son adjoint et à l'entretien de la maison qui l'abrite. Sollicitée, la ville accepte le principe d'une aide financière :
  " Veue la presente et pour consideration du contenu en icelle l'on ordonne au procureur général de ladicte ville payer audict suppliant la somme de soixante solz tournois. Et en rapportant ces presentes avec quictances dudict suppliant la dicte somme luy sera allouee en ses comptes sans difficulté.  Faict en l'hostel de ladicte ville le XXIe jour daoust mil Vc XXII. M.Bouchu. J.Genevoiz, Girault. C.Chabut.
G.Genevoiz. De Vaucouleurs. G.Petit. Maignen. "
  Le 25 août 1522, Jean Richier signe la quittance attestant le versement de la subvention municipale que le procureur général note dans son compte de 1521-1522 23 :
  " A maistre Jehan Richier recteur des escolles de lad. ville de Lengres, soixante solz tournois et ce pour consideration de l'ordre pat luy tenue du temps de la peste qui a regne en lad. ville lannée de ce present compte. "
  Manifestement les notables sont satisfaits du recteur Richier. Ils lui témoignent à nouveau leur reconnaissance en 1526. À cette date, il a quitté ses fonctions, mais il semble avoir remplacé le recteur en titre fuyant les misères qui s'abattaient alors sur la ville. Le compte de Pierre Genevois, receveur du grenier à sel, permet de le supposer :
  " A maistre Jehan Richier nagueres recteur des escolles dud. Lengres la somme de dix livres tournois a luy ordonnee estre baillee et payee pour ses peines davoir servi en lad. ville a enseigner et endoctriner les enffans depuis ce temps que maistre Jehan Thibault sen alla et pour plusieurs pertes dommages et interestz quil a supportez et souffers tant durant le temps  de la guerre que de la peste qui a regne aud. Lengres en ensuyvant la requeste par luy baillee et presentee, le 22 octobre 1526, decretee par mesd. Srs les procureur et commis de lad. ville. "
  Sans aucun doute, Jean Richier a bien servi par son courage et sa présence la cause des maîtres d'école. Il avait peut-être de qui tenir. Il est possible en effet qu'il ait eu des liens de parenté avec autre Jean Richier, maître des enfants de choeur de la cathédrale en 1495 et mort avant le 22 décembre 1498.24 Ce ne serait par le premier exemple d'une vocation enseignante née de la contagion familiale.
  L'attitude de Jean Richier, n'est certainement pas étrangère au changement de situation qui s'opère à partir de 1526 au profit du recteur des écoles. La ville décide alors de verser à ce dernier une pension annuelle de quarante livres tournois. Ce paiement attesté pour les années 1526, 1527, 1528, 1533, 1534, 1535, 1536, porté sur les comptes des receveurs des octrois sur le sel, tel celui de Pierre Genevois pour 1526-152725 :
  " Audict Hugues Thomassin recteur des escolles de lad. ville de Lengres la somme de dix livres tournois et ce sur et en deduction de sa pension de quarante livres tournois quil a par chacun an de lad. ville pour tenir et regenter en escolles et endoctriner les enffans dicelle ville. "
  Cette pension améliore sensiblement les revenus du recteur qui doit continuer de percevoir par ailleurs les droits versés par les parents. L'on comprend que dans son fameux Panegyricus de civitate Lingonum, publié à Paris en 1531 et dédié au cardinal de Givry, [Claude de Longwy, 1481-1561 ;  cardinal de Givry en 1533; évêque de Langres de 1528 à 1561; duc et pair de France, 1528; seigneur de Fontaine-Française, Côte-d'Or, vers 1540-1550; il faisait partie des personnages influents du royaume; grand amateur d'art, son mécénat se fait ressentir à Langres durant son épiscopat] Jean Thomassin souligne l'ardeur des Langrois à rétribuer les maîtres de leur jeunesse, aussi grassement payés que les médecins.26 

Vitrail représentant Claude de Longwy, cardinal de Givry et évêque de Langres. Paris : BNF Département des Estampes et de la photographie

 
Fontaine-Française : visitez le château

   Forts de cette assertion, la plupart des historiens de Langres et du collège ont fait de Jean Thomassin le premier recteur humaniste des écoles langroises. Le responsable de cette erreur est, semble-t-il le père Vignier.27 Le bon Gaultherot, chantant l'humanisme des recteurs du XVIe siècle, cite bien Thomassin, mais se garde de lui donner un prénom : il se montre pour une fois plus prudent que son redoutable censeur.28
  Ce qui reste des archives municipales ne permet aucun doute. Le bénéficiaire de la pension allouée au recteur des écoles, on ne parle pas encore de collège, il faut le souligner, est, dès 1526, Hugues Thomassin et non point Jean Thomassin. Pas une seule fois le nom de ce dernier n'apparaît dans les comptes des responsables financiers de la ville, mais toujours celui de Hugues Thomassin. En 1540, ce dernier est toujours recteur des écoles : en effet, le 3 février en l'église Saint-Pierre, est baptisée Françoise, " fille de Hugues Thomassin, recteur d'escolles, et Edmondine sa femme ".29 Et en 1546-1547, le même Hugues se fait recevoir, avec sa femme Raymonde, confrère du Saint-Sacrement et confrère de Saint-Pierre.30 Hugues Thomassin est marié à Raymonde Fagotin, dit veuve en 1576, alors qu'elle vend à la ville sa maison pour servir, avec celle du Haut-Pas, au collège enfin installé : un ancien inventaire des archives de la ville en 1606 fait en effet mention de " lettres d'acquisition de maisons faictes pour ledict collège, sçavoir de la maison de dame Remonde Fagotin vefve de feu me Hugues Thomassin vivant recteur des escolles du IIIIe juing mil Vc LXXVI Signees Sirejehan et Milleton. "31
  D'Hugues Thomassin, l'on ignore à peu près tout. Jean Thomassin, originaire d' Andelot, a bien un frère portant le prénom d'Hugues et auteur du volume imprimé à Troyes sous le titre Hugonis Thomassini Andelocensis Epigrammatum Libellus.32 Mais dans la préface de cet ouvrage, Jean Thomassin précise que son frère est décédé, âgé de vingt-cinq ans. Le recteur de Langres, en fonction pendant vingt ans au moins, n'a pu mourir qu'à un âge relativement plus avancé; à moins que l'on admette une autre hypothèse et l'existence de deux recteurs portant le même nom et le même prénom. Quel qu'il soit, Hugues Thomassin reste le premier recteur dont se souviennent les Langrois : un siècle plus tard, un Gaultherot  peut encore évoquer son savoir étendu, son humanisme fervent, la forte impression laissée à ses élèves. Contemporains de Givry, Hugues Thomassin appartient sans doute à cette pléiade de bons esprits qui participent à Langres au grand mouvement de la Renaissance.
  Tels sont les trop rares documents qui permettent d'avoir une petite idée de la vie scolaire à Langres à l'aube des temps modernes. Dès les premières années du XVe siècle, les notables souhaitent la création d'écoles capables de former leurs héritiers. Mais les circonstances restent longtemps défavorables; la guerre en particulier impose à cette ville frontière de très lourdes charges. L'hôtel du Haut-Pas, destiné dès le début à héberger les écoliers, demeure en réalité jusqu'en 1576 un entrepôt militaire. Les maîtres doivent donc louer des maisons particulières dont l'aménagement reste certainement rudimentaire. Leurs seules ressources sont longtemps les droits versés par les écoliers. Après 1526, ils bénéficient d'une pension annuelle versée par la chambre de ville. Dès lors l'enseignement s'améliore. Il faut cependant attendre les années 1570-1580 pour que les écoles latines se transforment en véritablement en collège d'humanités : alors seulement le local prévu commence à recevoir les aménagements indispensables; des ressources nouvelles sont trouvées, d'une part la prébende octroyée, — de mauvais gré,— par le chapitre cathédral, d'autre part les revenus du prieuré Saint-Gengoulph pris en charge par la ville. Une ère de relative prospérité semble s'ouvrir pour le collège de Langres. 
 
Premiers maîtres, recteurs et régents des écoles de Langres 
  • Remy Gaier, maître des écoles, 1424;
  • Pierre Corroige, maître es arts et grand maitre des écoles et Mathé Amary, son compagnon, 1446;
  • Jacques Gros, recteur, vers 1490;
  • Paris Damisel, maître es arts, régent, vers 1490-1495;
  • Jehan Mollot, recteur, 1495;
  • Aimé Sarrazin, recteur, vers 1500-1515;
  • Loys Le Moinne, régent, puis maître particulier, 1504;
  • Jehan Richier, recteur, 1522 - 1525-1526;
  • Jean Thibault, recteur, vers 1525;
  • Hugues Thomassin, recteur, 1526-1547. 
  À suivre...
 
1. Archives de la Haute-Marne, A.H.M, sous-série 2 G, en particulier les liasses 2 G 94, consacrée au chantre de Saint-Mammès, et 2 G 110-111, consacrée au collège de Langres.

2. Bibliothèque municipale de Langres, B.M.L, Ms. n°169 à 217, en particulier les numéros 190 et 217.

3. François Gauthier, Notice historique sur le collège de Langres, Langres, 1856.

4. Voir entre autres : abbé Roussel, Le diocèse de Langres, Histoire et statistique, t. II, Langres, 1875, p. 344-347 ; Louis-Emmanuel Marcel, Le cardinal de Givry, évêque de Langres, 1529-1561, t. II, La Renaissance, s.l., 1926, p. 264-270 ; Edouard Dessein, Un grand maire de la Renaissance, Jehan Roussat, 1543-1607, Paris, 1939, p. 29-32 ; Jacques Laurent et Ferdinand Claudon, Diocèses de Langres et de Dijon, Archives de la France monastique, Abbayes et prieurés de l'ancienne France, t. XII, province ecclésiastique de Lyon, 3e partie, Paris, 1941, p. 494-498 et 503-507.

5. Cf. Michel Le Grand, Le chapitre cathédral de Langres de la fin du XIIe siècle au concordat de 1516, Paris, 1931, p. 89-91.

6. Cf. Roger Chartier, Dominique Julia, Marie-Madeleine Compère, L'éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, 1976, p. 153.

7. B.M.L., Ms. n° 198, Extraits du compte de Nicolas Morrellot de Buxereulle et de Gaultier Erart de Coiffy, maitres des réparations de la ville, 1411-1413 ; cf. Ernest Jullien de La Bouillaye, Inventaire-Sommaire des archives communales de Langres antérieures à 1790, Troyes, 1882, n°935, p. 115-116.

8. Cf. Léon Guyot, Les maisons de Langres, t. III, p. 290, Bibliothèque de la Société historique et archéologique de Langres, Ms. n° 79c.

9. B.M.L., Ms. n° 198 et 217 ; cf. Inventaire..., n° 500, p. 58-59.

10. Cité par Ferdinand Claudon, Histoire de Langres et de ses institutions municipales jusqu'au commencement du XVIe siècle, Dijon, 1955, p. 103.

11. B.M.L., Ms. n° 216, Extraits du compte de Monin de Buxières, procureur général des habitants ; cf. Inventaire..., n° 904, p. 103-104 ; cité par F. Claudon, op. cit., p. 103.

12. Pierre Maublanc est maître des œuvres vers 1435 : cf. Inventaire..., n° 937, p. 116.

13. A.H.M., 2 G 7, f° 9v°, Cf. Bernard Populus, L'ancienne maîtrise de Langres, Langres, 1939, p. 58, même délibération capitulaire du 22 mai 1495. La fête de la Translation de saint Nicolas est fixée en réalité le 9 mai dans les anciens calendriers langrois.

14. A.H.M., 2 G 110.

15. Cf. M. Le Grand, op. cit., p. 43-44.

16. Licencié es lois, Gérard Guillot  est chanoine depuis 1483 et chantre de 1489 à 1505. Cf. abbé Roussel, op. cit., t. IV, p. 94 et 153.

17. Cf. F. Gauthier, op. cit., p. 9 ; abbé Roussel, op. cit., t. II, p. 344 ; J. Laurent et F. Claudon, op. cit., p. 497.

18. A.H.M., 2 G 94.

19. A.H.M., G 44. Cf. F. Claudon, op. cit., p. 103.

20. A.H.M., 2 G 94.

21. B.M.L., Ms. n° 217.

22. B.M.L., Ms. n° 190 ; cf. Inventaire...,  n° 1390, p. 173.

23. B.M.L., Ms. n° 217 ; cf. Inventaire..., n° 908, p. 106.

24. Cf. B. Populus, op. cit., p. 14.

25. B.M.L., Ms. n° 217 ; cf. Inventaire..., n° 909, p. 106.

26. Joannis Thomassini Panegyricus de civitate Lingonum, Parisiis, excudebat C. Wechel, 1531, in-8°, 64 p. B.N., 8° LK7 3406. Cf. L.-E. Marcel, op. cit., p. 188-189.

27. "Jean Thomassin, principal et premier régent du collège de Langres, récita et fit imprimer un beau panegyrique latin a l'honneur de la Ville, l'an 1531". Jacques Vignier, Décade historique du diocèse de Langres, éd. 1894, t. II, p. 320.

28. "La memoire nous est encore fresche des Thomassins, des Charpis, des de Lestres, des Udinets, des Demongeots, qui ont par la parfaicte connoissance qu'ils avoient  des langues grecque, latine et mesme hebraïque, rendu le college de la ville tant celebre et en telle reputation que les Allemands, les Lorrains, les Bourguignons et Champenois y  accouroient de toutes parts"... Denis Gaultherot, L'Anastase de lengres tiree du tombeau de son antiquité, Langres, 1649, p. 147.

29. Ville de Langres, Registres de l' Etat-Civil, Paroisse de Saint-Pierre, 1539-1544.

30. B.M.L., Ms. n° 66, Registre de la confrérie de Saint Pierre et Saint Paul, original, f° 36v° ; Ms. n° 67, Registre de la confrérie du Saint Sacrement, original, f° 6v°.

31. B.M.L., Ms. n° 217.

32. Hugonis Thomassini Andelocensis Epigrammatum Libellus, Impressum Trecis i, mpensis, Johannis Lecoq in vico di, vae Ma, rie commorantis. Troyes, s.d., petit in-8°, B.N., Rés. p. Yc. 1663. Publié peut-être en 1525, d'après A. Cioranesco. Dédié à Jacques Hilarien, maître des requêtes du duc Antoine de Lorraine.

 Georges Viard, Aux origines du collège de Langres, Notes sur les écoles de la ville, de 1413 à 1547, Bulletin de la Société historique et archéologique de Langres, SHAL, n° 254, tome XVII, trimestriel-I, 1979, pp. 197-206.

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