Les métaux rares : tel est pris qui croyait prendre...

  "C'est dormir toute la vie que de croire à ses rêves."
Proverbe chinois

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Tout comprendre des métaux rares : pourquoi nous en avons besoin (1/3)

François Jolain

  Les métaux rares sont d’une étonnante complexité dans notre société. Pourquoi en avons-nous besoin ?

 
Photo by Jakub Skafiriak on Unsplash - https://unsplash.com/photos/AljDaiCbCVY — Jakub Skafiriak

  La réalité des métaux rares est loin des idées reçues ! Aborder ce sujet est d’une étonnante complexité. Or, nous assistons à une simplification voire une confusion dans la presse.
  Nous allons donc tenter d’y remettre de l’ordre avec ce dossier en trois parties :
  Pourquoi avons-nous besoin des métaux rares ? Quand sont-ils apparus dans nos vies ?
  La géopolitique des métaux rares. Études de cas sur les moteurs, les batteries et l’électronique.
  Le futur des métaux rares. À la conquête des métaux sur Terre, mer et ciel. En avons-nous réellemen besoin ?

Pourquoi avons-nous besoin de métaux rares ?

  Les métaux et les hommes ont une histoire vieille de plusieurs millénaires.
  Il y a eu l’Âge du cuivre en 4000 av. J.-C. Puis, l’Homme a découvert l’étain durant l’Âge du bronze, lequel est un mélange de cuivre et d’étain, en 3000 av. J.-C. S’ensuivit l’Âge du fer en 1000 av. J.-C.
  La présence des métaux dans les sociétés humaines ne date donc pas d’hier, mais jusqu’à l’époque moderne, l’humain se contentait de sept métaux, l’or, l’argent, le cuivre, l’étain, le mercure, le plomb et le fer, sur les 86 métaux que possède la nature.
  Le décollage de la science et de l’industrie a révélé le potentiel métallurgique de notre planète.   L’industrie s’est par exemple intéressée aux caractéristiques mécaniques des métaux, à commencer par un alliage très résistant : l’acier, qui est un mélange de fer et de carbone.
  De nouvelles méthodes de fabrication sont apparues au XIXe siècle. Elles ont fait drastiquement baisser son coût de production et sont devenues le moteur de la révolution industrielle.
  Puis d’autres métaux peu connus ont été utilisés : le tungstène, découvert en 1781, plus solide que l’acier et par conséquent utilisé dans les machines-outils pour usiner l’acier ; ou encore l’aluminium découvert en 1807, dont la légèreté lui a permis de trouver sa place dans l’aviation.

L’électronique et les terres rares
  Mais c’est surtout l’électronique qui a entraîné la course aux métaux rares. D’abord pour leur qualité de conduction électrique, comme le cuivre, l’or ou l’étain. Puis pour leur qualité de semi-conducteur dont le plus célèbre : le silicium découvert en 1823 qui est à la base de toute l’informatique. D’autres sont utilisés par l’industrie pour leurs propriétés chimiques.
  Le Français Gaston Planté a inventé la première batterie rechargeable au plomb en 1859. Cette technologie a été supplantée par le nickel en 1967. Aujourd’hui, le lithium, découvert en 1817, s’est imposé comme le meilleur métal pour les batteries.
  Ici, nous devons faire un point sémantique : il existe les métaux, dont ceux abondant comme le fer ou le cuivre, puis les métaux rares moins abondants comme le lithium ou le cobalt et enfin les fameuses terres rares qui sont une sous-catégorie des métaux rares.
  Tous possèdent des caractéristiques similaires entre eux, l’industrie les utilise pour leur propriété magnétique. Pour une même taille, les aimants en terre rare sont 100 fois plus puissants que les aimants à base de fer.
  L’yttrium découvert en 1787 a été le premier à arriver dans nos foyers, il était utilisé dans les écrans à tube cathodique.
  Autre exemple, la néodyme découverte en 1885 est massivement utilisée dans nos moteurs électriques depuis 1982.
  Des millénaires pour trouver et utiliser sept métaux, et seulement trois siècles pour trouver les 79 autres restants. Toute notre avancée technologique repose sur l’existence de ces métaux rares aux noms imprononçables : europium, terbium, cobalt, holmium, thulium, lithium, etc.
  Chaque métal dispose de propriétés mécaniques, électriques, magnétiques ou chimiques exceptionnelles, devenues indispensables à notre société. Ainsi, avec votre iPhone vous tenez 36 métaux dans le creux de votre main.
  Maintenant que la Terre entière tourne aux métaux rares, la production se transforme en conflit géopolitique aux multiples facettes. Dans le prochain article, nous remonterons la filière de trois composants : les moteurs électriques, les batteries et les microprocesseurs pour comprendre les stratégies autour des métaux rares.

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Tout comprendre des métaux rares : la géopolitique des métaux (2/3) 

François Jolain




Photo by Magnus Engø on Unsplash - https://unsplash.com/photos/W4lcqyH9r8c — Magnus Engø,

  La géopolitique des métaux rares. Études de cas sur les moteurs, les batteries et l’électronique.
  La réalité des métaux rares est loin des idées reçues ! Ils sont d’une étonnante complexité dans notre société. Or on assiste plus à une simplification voire une confusion dans la presse. Nous allons donc tenter d’y remettre de l’ordre avec ce dossier en trois parties :
  Pourquoi avons-nous besoin de métaux rares ? Quand sont-ils apparus dans nos vies ? (1/3)
  La géopolitique des métaux rares. Études de cas sur les moteurs, les batteries et l’électronique. (2/3)
  Le futur des métaux rares. À la conquête des métaux sur Terre, mer et ciel. Avons-nous vraiment besoin de métaux rares ? (3/3)
  Les métaux rares sont devenus indispensables à notre industrie. À mesure que l’on embrasse le numérique et l’électrique, on accroît notre besoin en ces métaux. Ils sont présents dans nos batteries, nos éoliennes, nos voitures, nos smartphones ou notre télé. Leur approvisionnement est maintenant au centre d’un combat géopolitique mondial.
  On aimerait tout simplifier comme on l’entend souvent : « La Chine détient tous les métaux rares. Ils sont méchants et très chanceux. » C’est beau, simple, ça a le mérite de créer une sensation d’injustice et de peur dans la population.
  Il n’en est rien. Chaque métal a sa géopolitique, car il a sa répartition géographique, sa rareté, ses usages, son industrie. La Chine n’a pas la main sur tous les métaux rares. Elle est certes partie en bonne position grâce à ses ressources naturelles, mais sa domination actuelle est le fait de patience.  Nous allons donc analyser trois marchés différents pour comprendre la stratégie chinoise.

Métaux rares et moteur électrique
  Les moteurs électriques sont composés de cuivre et de fer, mais surtout de néodyme, une terre rare permettant la fabrication de super-aimants. Ce métal peut être vu comme un monopole chinois injuste : 80 % des réserves et de la production sont chinois. Dans ce cas, la Chine n’a pas eu besoin d’aller très loin. Elle a réalisé un coup à trois bandes parfaitement exécuté pour s’accaparer le marché et la valeur ajoutée.

  • Première étape : on casse les prix

  La Chine a bradé sa production en réalisant un dumping économique et écologique pour extraire n’importe comment le minerai le moins cher possible. En 2002, le métal était tombé à 6,67 dollars/kg.

  • Deuxième étape : remonter la chaîne de valeur

  Une fois les mines étrangères coulées par une concurrence déloyale. La Chine a freiné drastiquement l’exportation, le prix a atteint 467 dollars/kg en juillet 2011. Les industries qui veulent résister vont devoir délocaliser leurs usines en Chine. Il faut rendre cette délocalisation agréable en continuant le dumping sur le marché interne, conserver un marché du travail à bas coût et favoriser les joint-venture entre entreprises chinoises et étrangères.

  • Troisième étape : pillage

  Une fois que l’entreprise chinoise a pillé les propriétés intellectuelles de l’étrangère, on fait émerger une entreprise concurrente 100 % chinoise.
  C’est ainsi que les Américains, producteurs de néodyme et d’aimants ont détruit leur industrie. En 2002 la mine Moutain Pass, principal gisement américain de néodyme, ferme. Puis en 2006, l’usine du fleuron des aimants américains Magnecquench est délocalisée en Chine. C’est ainsi qu’en 2012, Lockheed Martin a dû reconnaître qu’il avait des super-aimants chinois dans son F-35 1.Les aimants provenaient de ChengDu Magnetics en Chine.

Métaux rares et batteries
  Une batterie repose essentiellement sur le lithium, et dans un second temps sur le cobalt et le nickel. Tous ont quasiment la même abondance. Le nickel est bien reparti, la Chine détient 4 % de la production. Le lithium est concentré en Amérique latine, Argentine, Chili, Bolivie, Brésil, en Australie, la Chine dispose de 6 % des réserves. Actuellement l’Australie s’accapare la production avec 55 % de l’extraction. Le principal problème est donc le cobalt. La République Démocratique du Congo détient 72 % de la production et 50 % des ressources.
  Dans ce cas, il faut aussi jouer des partenariats et remonter la chaîne de valeur. La Chine, par l’entreprise China Molybdenum, détient par exemple 80 % de Tenke Fungurume, principale mine de cobalt en RDC. Ensuite, elle est devenue leader dans le raffinage du cobalt avec 63 % de parts de marché, à noter que l’Europe à 19 %.
  La Chine qui détenait déjà des ressources en lithium et nickel a ainsi récupéré une place stratégique sur le cobalt. Avec tous les métaux prêts à l’usage chez elle, il suffit de favoriser la délocalisation des industries par le dumping puis les restrictions d’exportations et enfin les partenariats. Et ainsi nous voyons des entreprises chinoises arriver sur le marché des batteries avec le meilleur de la technologie telle CATL en 2011 ou sVOLT.

Les circuits électroniques
  Le silicium, métal semi-conducteur, à la base de toute l’électronique et l’informatique, est le matériau le plus abondant sur Terre après l’oxygène, il constitue 25 % de la croûte terrestre. Envisager une captation du marché est impossible.
  Comme avec le cobalt, la Chine a récupéré le polluant raffinage que l’Occident ne souhaite pas avoir chez lui. Mais détenir du silicium raffiné ne vaut rien dans la chaîne de valeur. Entre le silicium pur et votre microprocesseur, il y a une technicité colossale détenue uniquement par quelques acteurs tels que Samsung, Qualcomm, Intel et le leader TSMC. Tous sont asiatiques à l’exception de Intel, qui envisage d’utiliser les usines de TSMC. Ces entreprises sont les seules capables de fabriquer des concentrés de technologies comme les microprocesseurs, les antennes 5G ou les écrans.
  En plus de nécessiter une expertise technique rare en Europe, cette industrie consomme beaucoup de capitaux. Les composants sortent de méga-usines qui ne sont rentables qu’avec de grandes économies d’échelle. Comme l’usine de Samsung à Pyeongtaek en Corée du Sud pour un investissement de 14 milliards de dollars.
  Un pays revient souvent : Taïwan. Cette petite île est d’une importance vitale pour le reste du monde. Elle dispose des entreprises les plus qualifiées telles que TSMC, mais aussi les usines les plus perfectionnées à Hsinchu, Tainan et Taichung. Devant cette place stratégique, la Chine compte bien agir et se l’accaparer. Elle s’entraîne au débarquement depuis des années pour récupérer Taïwan et son savoir-faire.
  En attendant l’action militaire, comme toujours la Chine s’est gentiment dévouée comme usine de monde pour Samsung, Sony ou TSMC. Puis des concurrents 100 % chinois sont arrivés comme Huawei, Xiaomi ou ZTE.

Bonus patriotique : le Hufrium
  La France a son pré carré : le hufrium. C’est une terre rare utilisée pour réguler les réactions physiques dans les centrales nucléaires. Elle est le premier producteur.

L’arrogance occidentale

  L’Occident a préparé sa chute. Depuis la découverte du Nouveau Monde et ses mines de cuivre et d’argent, nous aimons chercher les ressources à bas prix chez les autres, puis réaliser la grosse valeur ajoutée de retour chez nous, avant de revendre nos produits au reste du monde. Nous avons transformé le coton en vêtement, les diamants en bijoux, l’uranium en électricité, le cacao en chocolat, le pétrole en essence et plastique.
  Nous laissons aux autres le soin de polluer en minant, raffinant et fabriquant à bas coût. Nous nous concentrons sur la haute valeur ajoutée et la vente, ainsi résumé par Apple : Designed in California. Made in China. C’est un modèle qui a fonctionné parfaitement en Amérique du Sud, en Afrique et au Moyen-Orient. Nous pensions l’exporter en Asie, mais la Chine vient de sonner la fin.
  Elle a vu dans notre mondialisation notre plus grande faiblesse. La haute technologie, joyau de l’Occident, nous rend vulnérables à la pénurie des métaux rares. La Chine vient de trouver le talon d’Achille de l’Occident, elle vient de nous faire passer de prédateur économique à proie.
  À nous de contrecarrer dans le chapitre suivant. 

1. La guerre des métaux rares, Guillaume Pitron. Chap. La course aux missiles intelligents. Sect. Déni d’accès en mer de Chine Méridionale.

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