Le marché carbone européen : comment cela marche?

"...le Marché carbone a rendu le gaz plus compétitif que le charbon, car deux fois moins émetteur ! C’est LA victoire du Marché carbone...."
  Une victoire à la Pyrrhus pour le climat, non?, quand on compare le contenu carbone
d'un kWh électrique :
  • centrale à charbon : 1 000g/kWh
  • centrale thermique à gaz : environ 400 g/kWh
  • photovoltaïque : 55g/kWh
  • éolien : 7g/kWh
  • nucléaire et hydraulique : 6g/kWh
  Et encore, si vraiment victoire il y a. Et ici, le doute est permis :
"... Avec une baisse de 20 % des émissions carbone entre 1990 et 2019, la France est plutôt dans le haut du panier des pays qui réduisent leurs émissions. Pas de quoi crier cocorico cependant puisque cette baisse est globalement de 0,9% par an alors qu’il faudrait qu’elle soit de 1,5% et même de 3,2% par an à partir de 2025 si on veut tenir l’objectif fixé de neutralité carbone en 2050. Pire, révèle le rapport du HCC [Haut conseil pour le climat], les chiffres ne prennent pas en compte les émissions liées aux biens et services que nous importons et consommons en France. Si on les intègre, l’empreinte carbone hexagonale est restée stable depuis 1995. Autrement dit : on délocalise notre pollution..."
Source : Bilan carbone : la France délocalise sa pollution
À suivre...
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Hugo Sancho
Étudiant Ingénieur Mines - Paris-Tech

  45 €/ tCO2 : le marché carbone européen a battu un record de prix aujourd’hui ! Au moment où l’Union européenne s’engage à réduire ses émissions de CO2 de 55% en 2030 par rapport à 1990, voici l'histoire du Marché carbone européen, le principal outil de décarbonation !

Il était une fois...
  Du Sommet de la Terre à Rio en 1992 au Protocole de Kyoto en 1997, l’idée d’une « écotaxe européenne » émerge. Après le sommet de Kyoto, les États européens n’arrivant pas à se mettre d’accord, votent, à l’unanimité, pour des politiques fiscales européennes bloquant toute taxe carbone.   Finalement, au début des années 2000, un consensus est trouvé pour un Marché carbone européen, dont la première phase entre en fonction en 2005.


                                            



Comment fonctionne ce marché carbone ?
  Un plafond fixe le maximum d’émissions annuelles que peuvent atteindre les secteurs couverts par le Marché. Ce plafond baisse chaque année.

 


Quels sont les secteurs sont concernés ?

   Le Marché carbone couvre 40% des émissions de gaz à effet de serre européennes : 
  • l’industrie, 
  • l’électricité 
  • l’aviation, intra-européenne.

 


Que se passe-t-il si une entreprise n’achète pas ses quotas ?
   Dans ce cas, elle doit payer une amende de 100 € / quota et doit toujours payer le quota l’année suivante, ce qui est assez dissuasif par rapport à l’achat initial de quotas. On atteindra donc forcément les objectifs de réduction pour 40% des émissions européennes ! La réduction peut toutefois être douloureuse s’il n’y a pas d’alternatives industrielles bas-carbone. D’autres outils, nationaux, peuvent remplacer ou compléter le Marché carbone : 

  • la taxe carbone, 
  • la norme,
  • la subvention. 
Chaque instrument ayant ses avantages et ses inconvénients.

Les évolutions du marché carbone depuis 2005 !
  Il est intéressant d’observer les courbes d’émissions et de prix, au cours des 4 phases.

 

- Jusqu’à la phase 2, le plafond est resté stable. Puis de 2013 à 2020, il a baissé de 1,74% par an. De 2020 à 2030, il doit baisser de 2,2%, et ce chiffre passera probablement à 5% à partir de 2025 pour atteindre -55% d’émissions en 2030. On voit sur le graphique que les émissions du Marché carbone ont déjà baissé d’environ 40% depuis 2005, hors COVID. C’est beaucoup plus que les transports, les bâtiments et l’agriculture, non couverts par le marché. Le constat partagé par beaucoup est qu’après 2007, les émissions couvertes par le Marché carbone ont baissé principalement à cause de la crise.

 

 

 Le vrai effet du Marché carbone a eu lieu depuis 2017 dans le secteur de l’électricité, grâce à la remontée du prix autour de 20-25 €/ tCO2. Tandis que les émissions industrielles ont stagné, l’électricité s’est fortement décarbonée. En effet, en parallèle des subventions aux énergies renouvelables qui ont développé l’éolien et le solaire, le Marché carbone a rendu le gaz plus compétitif que le charbon, car deux fois moins émetteur ! C’est LA victoire du marché carbone.

 

 

 



Comment est-ce que le prix est remonté et a eu cet impact? Comment le prix va évoluer à l’avenir, peut-il donner un signal clair aux acteurs économiques ?
   Le prix sur un marché peut varier fortement avec la spéculation. Le marché carbone n’offre donc pas la même prévisibilité qu’une taxe carbone. Mais la réserve de stabilité du marché corrige depuis 2015 cette imprévisibilité pour assurer un prix suffisamment élevé. Au début des années 2010, le prix est au plus bas, autour de 5€ / tCO2. Un surplus de quotas non utilisés s’est accumulé suite à la crise de 2008 et à la baisse des émissions. Ce prix n’incite pas à baisser ses émissions. L’Union européenne décide donc d’instaurer une réserve de stabilité, où sont placés chaque année une partie du surplus. Les quotas pourront être supprimés définitivement avec le temps ou réinjectés s’il venait à en manquer dans le marché.

 

 

   Ce mécanisme complexe dope le prix du CO2, ce qui entraîne l’inversion de la compétitivité entre gaz et charbon dans la production d’électricité expliquée précédemment, et rend enfin utile ce marché.  Aujourd’hui supérieur à 45€/tCO2, il est probable que ce prix continue à augmenter car même avec le COVID, un surplus de quotas n’est plus envisageable à moyen-terme avec la réserve de stabilité. La baisse plus rapide du plafond d’émissions, en ligne avec les -55% d’émissions en 2030, soutiendra également la hausse du prix. L' European Roundtable on Climate Change and Sustainable Transition (ERCST) projette -5,31% du plafond par an à partir de 2025. Par exemple :

 

Bilan :
  - peu d’effets jusqu’en 2017 
  - Accélère fortement la sortie du charbon, au profit du gaz et des énergies renouvelables dans l’électricité depuis 2017.

Quels sont alors les défis à venir ?
   Il y aura trois grands défis au cœur de la révision du marché carbone prévue en 2021 :
  1. on a déjà abordé le premier, c’est l’alignement du plafond sur la trajectoire de :  moins 55%
  2. Faut-il étendre le marché au transport ou aux bâtiments ? Ça mériterait un article à part entière, mais retenons deux choses : 
 - les ONG craignent que ça n’affaiblisse les régulations sectorielles, a priori plus efficaces pour faire baisser rapidement les émissions des voitures ou des bâtiments. 
 - ces deux secteurs, dont les prix / tCO2 évités sont plus élevés, pourraient former un 2ème Emission Trading Scheme (ETS), système communautaire d'échange de quotas d'émission, comme le propose le think tank Bruegel.

Comment faire face aux fuites de carbone ?
  Les fuites de carbones, c’est le CO2 lié à notre consommation qui est émis à l’étranger puis « importé » dans nos produits. En effet, la baisse des émissions européennes depuis 1990 est plus modeste lorsqu’on considère les émissions de nos consommations :

 

 

   Si le prix du CO2 augmente, certaines industries pourraient délocaliser leur production hors d’Europe. Pour y faire face, les entreprises exposées bénéficient de quotas gratuits, mais ces quotas gratuits freinent leur décarbonation !Il monte donc dans le débat l’idée d’un ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne, qui imposerait aux entreprises exportant en Europe d’acheter des quotas pour leurs émissions.

 

  Cela pourrait mettre fin aux quotas gratuits tout en s’attaquant aux émissions importées, mais la mise en œuvre est complexe sur les plans technique et géopolitique. Il faudra donc suivre avec attention le débat politique européen dans les prochains, car cela influera sur les 10 prochaines années et créera ou non les outils nécessaires à la décarbonation de l’économie européenne.

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