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"Asscavoir que ledict sieur Oudinet present comme dict est promect et soblige par ces presentes de bien et fidellement faire la fonction et charge de recteur principal du College de cest dicte ville de Langres pour l'instruction des enfants dicelle ville en bonnes lettres tant grecques que latines et bonnes mœurs, y commettre telz regentz suffisans quil advisera pour la necessité et nombre des escholiers qui seront audict College à ses fraiz et avec le plus grand soing et diligence qui luy sera possible.
"Item dire ou faire dire et celebrer par chacun jour une Messe où assisteront les escholiers conformement à la fondation et intention du feu sieur Flabemont et pareillement faire tous les dimanches une Instruction et Cathechisme. Et le tout pendant le temps et terme de six ans consecutifz commencez dès le jour de feste sainct Remy premier doctobre dernier passé et qui finiront à pareil jour lesdictz six ans revoluz et accompliz.
"Moiennant quoy seront tenuz et promettent lesdictz Sieurs maire et eschevins de faire jouyr le Sieur Oudinet par chacun desdictz six ans des maisons et bastimens tant dudict college que dudict prieuré Sainct Gengon ensemble des fruictz revenuz et emolumens dudict prieuré sans aulcune chose en réserver et comme ledict Sieur Facenet cy devant principal dudict College en a jouy, et en outre de paier audict Sieur Oudinet par chacun desdictz six ans la somme de cent cinquante livres tournois scavoir moicitié audict jour de feste Sainct Remy et laultre au jour de feste de Pasque charnel dont les premiers paiemens commanceront esdictz jours prochains et ainsy à continuer d'An en an ausdictz termes jusques en fin desdictes six années pour la celebration de ladicte messe fondée par ledict deffunt sieur Flabemont, demeurans neantmoins à la charge desdictz sieurs Maire et eschevins les reparations et entretenemens des bastimens tant dudict College que dudict prieuré Sainct Gengon.
"Seront aussy lesdictz Sieurs Venerables de leur part tenuz de faire jouyr ledict Sieur Oudinet de la prebende collegiale pour le revenu de laquelle il se contentera de la somme de cinq cents livres tournois par chacun an comme ses predecesseurs principaux dudict college ont faict.
"Plus jouyra pareillement ledict sieur Oudinet oultre tout ce que dessus pendant lesdictz six ans de trois solz par chacun mois quil percevra desdictz escholiers forains desquelz toutefois seront exemptz les nepveux et serviteurs domestiques desdictz sieurs venerables comme les enfans de la ville. Se chargeans oultre plus lesdictz Sieurs venerables Maire et eschevins de ladicte ville dempescher quil ne se face en icelle ville aulcune leçon publique en la langue latine ou grecque fors audict College pendant le temps du present contract et le tout à peine de tous despens dommages et interrestz.
"Car ainsy a esté traicté stipulé et accepté par et entre lesdictes parties lesquelles ont promis respectivement entretenir ce que dessus et y satisfaire chacun en droict soy soubz l'obligation reciproque, Scavoir lesdictz Sieurs Venerables du revenu temporel de ladicte Eglise, lesdictz Sieurs maire et eschevins les biens communs de ladicte ville et ledict Sieur Oudinet les siens tant meubles que immeubles presens et advenir, soubmectans et renonceans etc.
" Faict et passé audict Langres en la maison Episcopalle dudict Langres ledict jour Vendredy sixiesme jour de mars mil six cens vingt environ les quatre à cinq heures après midy, presences Nous notaires, royaulx audict Langres soubsignez avec les dictes parties lecture faite après que lesdictz notaires ont déclaré ausdictes parties le présent contract estre subject à estre scellé deans trente jours et aux peines de l' eedict. Ainsy signé sur la notte de cestes : Perrenot. Voinchet. J.Oudinet. M.Noblesse.M.Gastebois. F.Vallette.P.Guerey. Bergeret et Richard notaires royaulx soubsignez. Richard." 22
Le contrat rappelait donc l'intervention nécessaire des trois "corps" dans le choix du nouveau recteur. Il confiait le collège à ce dernier pour une durée déterminée, six ans en l’occurrence ; mais ce chiffre de six ne correspondait ni à une règle écrite ni à une tradition. Les diverses rémunérations du principal étaient soigneusement énumérées :
- revenus du prieuré Saint-Gengoulph,
- rente du Châtelet
- prébende préceptorale
- "mois" versés par les écoliers.
Le recteur bénéficiait du monopole de l'enseignement du latin et du grec. Il s'engageait pour cela à utiliser les services de régents, choisis par lui, en nombre suffisant, payés par lui. Au-delà de l'apprentissage des belles-lettres et de l'instruction religieuse, il recevait mission d'éducation ; les "bonnes mœurs" des jeunes gens de Langres relevaient de sa compétence.
Ainsi se trouvait minutieusement défini le rôle des maîtres des écoles. Depuis 1561, conjuguant les exigences de l'ordonnance d'Orléans, la fidélité à la tradition diocésaine et le désir de donner les meilleurs recteurs à leur collège, les notables langrois avaient mis sur pied un ensemble de procédures destiner à placer chacun devant ses responsabilités. Des problèmes nombreux se posèrent cependant et rares furent finalement les élections sans contestations.
Trop de conflits opposaient entre eux évêque, eschevins et chanoines pour ne pas demeurer sans conséquence sur le choix des recteurs. Mais ce furent surtout les attitudes politiques adoptées lors des guerres religieuses et de la Ligue [Sainte Ligue ou Sainte Union ou Ligue ; Mouvement religieux et politique créé par les catholiques après la paix de Monsieur, 6 mai 1576, qui a mis fin à la cinquième guerre de Religion ; " Une trêve est conclue quelques jours après l'abjuration d'Henri IV, 25 juillet 1593, qui amorce le ralliement. Le 22 mars 1594, Paris, bastion de la Ligue, ouvre ses portes au roi. En province, les chefs ligueurs se soumettront les uns après les autres, 1594-1598", Larousse], et prolongées bien au-delà du règne d’Henri IV, qui provoquèrent les plus violents affrontements, menaçant l'existence même du collège. La personnalité des candidats, leur science reconnue ne suffirent pas toujours pour vaincre certaines réticences.
Henri Ier de Lorraine, 3e duc de Guise, dit le Balafré. La Ligue se donne pour chef le duc de Guise, qui obtient l'appui financier et militaire de Philippe II d'Espagne, traité de Joinville, 1584.
Avant les années 1580, il ne semble pas que le choix du recteur ait provoqué trop de difficultés. Si les trois "corps" manifestent quelques hésitations, tel le chapitre en 1569 qui pencha d'abord pour un certain Nicolas Thybault avant de se prononcer pour Simon Charpy 23, l'accord se réalisa rapidement sur le nom des plus qualifiés, désignés par leur propre renommée ou à la faveur d'un concours public. Ainsi se succédèrent François Delestre, 1564-1569, Simon Charpy, 1570-1572, Jean Rose, 1572-1575 et Noël Facenet, 1575-1585.
Les vrais problèmes commencèrent alors, liés pour l'essentiel au désir des échevins de maintenir le collège hors de l'influence des ligueurs. Le remplacement de Facenet se posa, semble-t-il dès 1582. D'une part ce maître manifestait des sentiments politiques très favorables à la maison de Guise.24 D'autre part le chapitre cherchait à se l'agréger. Après une première tentative avortée en 1582, le recteur devint effectivement chanoine de Saint-Mammès le 19 septembre 1584.25 Sa promotion ne signifiait pas forcément son départ du collège. Mais elle manifestait son désir de prendre un peu de champ et de s'assurer une solide position de repli, en cas de nécessité.
Des noms de successeurs éventuels furent alors avancés :
- François Petit, par le chapitre, en septembre 1582, 26
- Pierre Constant, par l'évêque, en juillet 1585. 27
En réalité, Facenet conserva son poste jusqu'au jour où la peste l'en chassa. Celle-ci s'abattit sur la ville à partir de l'été 1585, désorganisant la vie de la cité jusqu'en 1587 28, entraînant la fermeture du collège 29, provocant la fuite d'une partie des habitants.30 Facenet garda peut-être son titre et les revenus correspondants, peut-être resta-t-il à l'intérieur des remparts 31, mais il n'eut plus l'occasion d'exercer sa charge.
Lorsqu’au début de l'année 1588 les notables songèrent à la réouverture du collège, le chanoine refusa d'en prendre la direction. Fidèle à ses options politiques, il devait certainement ressentir tout l'inconfort de sa situation dans une ville dont la municipalité affichait un royalisme chaque jour plus vigoureux. Il n'était pas le seul, et de semblables oppositions, exacerbées sans doute par les difficultés des années de peste, séparèrent les habitants en clans rivaux. La suspicion des échevins s'étendit à une bonne partie des clercs. Pendant dix ans, il fut presque impossible de se mettre d'accord sur le nom d'un recteur. Tout ou presque devin prétexte à contestation.
Pour remplacer Facenet, les grands vicaires, par lettre du 11 janvier 1588, convoquèrent les représentants du chapitre et de la ville à une réunion commune fixée le lendemain 12 janvier. Pris de court, le maire Jean Roussat et les échevins sollicitèrent un délai de réflexion en même temps qu'un autre lieu de réunion : "Ont dict et déclaré quilz estoyent tous prestz de sassembler avec les sieurs depputez des Sieurs evesque et chappitre en la maison du Roy pour là proceder en lelection d'un maistre des escolles conformement aux eedictz et ordonnances de Sa Majesté, nayantz rien lesdictz Maire et eschevins en plus grande recommandation après la conservation de la ville que l'instruction de leur jeunesse et, daultant que ladicte election est de poix et de consequence, demandent delay pour y adviser de quinzaine pendant laquelle ilz feront assembler les plus notables de ladicte ville pour y adviser et deliberer, ne pouvant ledict Sieur Maire y vacquer à cause des assizes esquelles il fault administrer soir et matin la justice."32
Le délai de réflexion n'était certainement pas superflu, encore que le départ de Facenet soit assuré de longue date. Mais la demande d'un autre lieu de réunion trahissait d'autres préoccupations. La demeure épiscopale paraissait, aux yeux des "politiques" ou "royalistes" de l'échevinage, le symbole de la "trahison des clercs" et de leur passage au service de la Ligue, moins peut-être celui de l'évêque lui-même, absent et louvoyant entre les partis, que celui des chanoines, sans cesse accusés de pactiser avec l'ennemi. En opposant la maison du Roi, c'est-à-dire le siège du tribunal royal, à l'hôtel épiscopal, Jean Roussat provoquait ouvertement les ecclésiastiques.
Ceux-ci ne cédèrent pas. La réunion eut bien lieu le 12 janvier et dans l'endroit indiqué. Les représentants du chapitre y soutinrent la candidature de Jean Heudeley, maître es arts, avocat en la cour de parlement de Paris, de "bonne vie, mœurs, religion catholique, apostolique et romaine, science, expérience et bonne conversation". En l'absence de Jean Roussat, la maison de ville était représentée par l'avocat Jean Regnier. Celui-ci protesta contre le lieu de réunion, estima trop limitées les capacités de Jean Heudeley. Le maire, précisa-t-il, avait écrit au doyen du chapitre, Gabriel Le Genevois, alors à Paris, pour le prier de "choisir et eslire ung personnaige suffisant tel quils le recognoistroient et jugeroient pour l'envoyer en ce lieu" ; il convenait d'attendre donc d'attendre sa réponse. Mais le chapitre avait reçu des nouvelles négatives de Paris. on convint cependant d'un délai de huit jours pour procéder au choix définitif.
Le 19 janvier, nouvelle réunion. Les ecclésiastiques persistèrent dans leur première attitude et soutinrent encore une fois encore Jean Heudeley. Les échevins présentèrent un autre candidat, Lupian Demongeot, médecin, "homme docte et de bonnes mœurs et religion catholique". Les chanoines se récrièrent en choeur : ce dernier était " valetudinaire [personne dont la santé est chancelante, délicate, qui est souvent malade] et pulmoniaque, ne pouvant supporter la peine et faix supportable par ung recteur des escolles à cause de sa débilité et petite complexion." Les grands vicaires et les prébendés avaient la majorité : Heudeley fut officiellement élu, nommé par le grand vicaire Nicolas de Giey, institué par le chantre Tabourot.33
L'échevinage ne s'avoua pas vaincu. Il porta l'affaire devant le tribunal royal, où il comptait, bien évidemment, de très nombreux amis. Anselme Collin, lieutenant en second, suivit les conclusions du procureur du roi et rendit son arrêt le 29 janvier, au terme d'une procédure particulièrement rapide :
"Avons par advis dudict conseil ordonné par provision quil sera advisé de l'idonéité et suffisance de ceulx qui se rendront compétiteurs et vouldront aspirer au regime et gouvernement dudict college par lectures publicques qui se feront suyvant le theme qui sera donné tant en lectres humaines grecques et latines qu'en poesye. Sur lequel theme lesdictz competiteurs seront tenuz de respondre trois jours apres quil leur sera donné. Et pour juger de la suffisance diceulx, ordonnons que lesdictz sieurs Evesques, du chappitre, maire et eschevins de la ville, conviendront deans trois jours de six hommes de doctrine et experience qui assisteront ausdictes lectures et en feront rapport pardevant nous."34
Le juge ordonnait donc un concours public entre les postulants, précisant du même coup, pour les historiens, les conditions de sa réalisation, matières, durée de préparation, composition du jury. Il donnait en même temps satisfaction aux notables de la maison de ville, assurés de faire triompher leur candidat grâce à une "claque" bien organisée. Déjà, au cours de l'audience du tribunal, ces mêmes notables avaient obtenu du magistrat qu'il donnât la parole à l'avocat Simony, représentant des écoliers langrois. Dans une belle envolée de rhétorique, le porte-parole de ces derniers avait souligné leur volonté de suivre les leçons du meilleur maître, qui ne pouvait être Jean Heudeley :
"Sont contrainctz de dire que Me Jehan Heudeley peult avoir du latin emprunté. Mais quil yait salué la langue grecque plus avant qu'à la porte, non. Aussy le feront toujours paroistre ses conferences et propos, sa reponse aux interrogatz, les discours, themes et plaidoiries et tout ce qui partira de luy que la langue grecque ne fut jamais logée en son cerveau... Que syls tomboient soubz la main dudictz
Heudeley ce seroit estranger la langue grecque du pays."35
Il est facile d'imaginer ce qu'aurait pu donner dans ces conditions le concours public décidé par le juge royal. Mais ni l'évêque ni le chapitre n'entendaient se soumettre à la décision d'un tribunal auquel ils déniaient - avec quelques raisons - toute compétence. Pour eux, Heudeley demeurait le seul recteur légal. Il devait remplir sa charge.
Malheureusement pour lui, les échevins disposaient d'un moyen très efficace pour l'empêcher de travailler :
À suivre...
Georges Viard, Le collège de Langres avant l'installation des Jésuites, seconde moitié du XVIe siècle - début du XVIIe siècle, , Bulletin de la Société historique et archéologique de Langres (SHAL), n° 262, tome XVII, trimestriel-I, 1981, p. 409 à 426.
22. B.M.L., Ms 190, copie Jullien de La Boullaye, XIXe siècle. Cf. A.D.H.M., 2 G 499, acte de protestation du chapitre à l'encontre du maire Voinchet au cours de cette séance de signature du contrat : "Que la qualité que ledict sieur Voinchet maire sassure de garde des clefs de ladicte ville ne leur puisse nuire ny préjudicier..." Le chapitre en effet qui s'était longtemps battu pour empêcher le procureur syndic des habitants de prendre le titre de maire, refusait toujours de reconnaitre à ce dernier le titre de lieutenant à la garde des clefs.
23. A.D.H.M., 2 G 13, f° 173, 17 novembre 1569 ; f° 184 v°, 25 février 1570.
24. Cf. G. Viard, "Propagande politique et campagnes d'opinion à Langres au temps de la Ligue", Les Cahiers Haut-Marnais, n° 138, 3e trimestre 1979, p. 121-133.
25. A.D.H.M., 2 G 15, f° 351 v°- 352 v°, 9 mars - 11 avril 1582 ; f° 421, 19 septembre 1584.
26.Ibid, f° 368. L'abbé Roussel, op. cit., t. II, p. 346 ; t. IV, p. 243, parle pour 1582, de l'élection d'Hudelet. Nous n'en avons retrouvé aucune trace.
27. Ibid., f° 436. Il s'agit sans doute du fameux poète et propagandiste royaliste ; l'évêque se rangeait alors aux côtés d' Henri III.
28. Cf. J.-N. Biraben, Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, 2 vol., Paris, La Haye, 1975 - Dr. M.Brocard, La grande peste de Langres au XVIIe siècle. Comment se soignaient nos pères, Langres, 1926.
29. C'est ce qu'affirment les vicaires généraux le 12 janvier 1588 : "La contagion qui a par cidevant esté cause de faire cesser les escoles". A.D.H.M., G 46.
30. Le secrétaire du chapitre mentionne, à la date du 2 juin 1586, que les délibérations auxquelles il n'a pas assisté à cause de la peste ne figurent pas au registre. A.D.H.M., 2 G 15, f° 459 v°.
31. Le nom de Facenet n'apparait pas sur le rôle des aumônes versées par les chanoines au bureau de charité en 1587. A.D.H.M., 2 G 508.
32. B.M.L., Ms 190, exploit de Manassès, Mailley, sergent au bailliage deLangres, copie XIXe.
33.A.D.H.M., G 46.
34. A.D.H.M., 2 G 110.
35. Ibid.
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