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Une solution d'attente était encore nécessaire. Échevins et chanoines estimèrent que le plus simple consistait à prolonger le mandat de Sanrey. L'évêque ne l'entendit pas ainsi. Le 28 octobre 1628, il fit sommer le recteur de rejoindre immédiatement sa cure d'Aubepierre :
" Soit à la requeste de Reverend Pere en Dieu Monseigneur Mre Sebastien Zamet esvesque de Lengres pair de France signifié à Mre Benigne Sanrey curé d' Aulbepierre, qu'il ayt incessamment se retirer aud. Aulbepierre et desservir lad. cure in divinis faulte de quoy quil sera proceddé contre led. Sanrey suivant les decretz et status sinnodaulx dud. Seigneur Evesque."62
Aux notaires qui lui présentaient cette réquisition, Sanrey opposa la volonté des deux autres "corps" :
" Lequel a faict responce quil est tres humble et obéissant serviteur de Monseigneur de Lengres en toutes choses quil luy plaira commander. Mais que cydevant lui a esté signiffié ung arrest de Nosseigneurs de la Cour et mesme aujourdhuy en suite dicelluy enjoinct et signiffié à peyne de tous despens dommages et interstz et dadjournement à la Cour, quil ayt à continuer la charge et exercice du college de Lengres, comme par effect il exerce et faict leçon aux escoliers dud. college en la première classe et dont il nous a requis acte."63
Que voulait exactement l'évêque? Il semble bien que, sans attendre l'accord officiel du roi, il désirait placer, dès la rentrée 1628, le collège sous la tutelle officieuse du supérieur de la résidence langroise des jésuites. Il fallait donc écarter un maître trop influent pour confier le titre, mais non la réalité de la charge, à une sorte de prête-nom. Réussit-il dans son entreprise? Il ne semble pas, du moins dans l'immédiat, et B.Sanrey resta sans doute en place au cours de l'année 1628-1629. Par contre, à l'été 1629, ayant entrainé le chapitre, Zamet obtint ce qu'il souhaitait : l'avocat Jean Paultheret, régent depuis de nombreuses années, fut officiellement nommé principal.64 Il devait, le 28 mai 1630, remettre les clés du collège entre les mains des jésuites. Son rôle avait été de simple transition.
Malgré les règles établies par l’ordonnance d'Orléans et la tradition, le choix du recteur du collège de Langres fut donc souvent malaisé. Les discussions passionnées qu'il provoqua manifestent l'importance que les notables attachaient à l'instruction de leurs enfants. Le meilleur maître restait toujours à leurs yeux celui qui joignait à un savoir étendu les capacités requises pour le transmettre à son auditoire.
La virulence des polémiques traduit également l'intensité de la vie politique à l'intérieur de la cité. Aussi bien lors de la guerre civile qu'aux temps agités des débuts du règne de Louis XIII [fils d'Henri IV et de Marie de Médicis, 1601-1643 ; père de Louis XIV ; roi de France de 1610 à 1643 ; "...Son règne a associé la grandeur de l'État et la misère du peuple, la puissance extérieure et la fragilité intérieure, avec la détresse financière, la précarité économique et les troubles sociaux. Son action, conjuguée à celle de Richelieu, a été décisive : elle a porté la France au premier rang en Europe, transformé l'absolutisme doctrinal en absolutisme pratique et renforcé l'unité du royaume...", Larousse], les clans se heurtèrent violemment. Et la nomination des responsables des écoles s'intégra pleinement dans ces conflits, car il s'agissait pour tous d'un choix essentiellement politique.
Louis XIII, roi de France, couronné par la Victoire. CHAMPAIGNE Philippe de (1602 - 1674)
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec
Responsable en partie de la formation morale des jeunes langrois, le principal devait contribuer à leur inculquer une foi inébranlable, mais aussi le sens de l'Etat, le respect des hiérarchies sociales et de l'ordre établi. Mais sur tous ces points, des conceptions très différentes s’affrontaient, à Langres comme dans le reste du royaume. Aux "politiques" soucieux de la toute-puissance de l'Etat, tenants d'un gallicanisme de plus en plus affirmé, respectueux des subordinations sociales, s'opposaient les "dévots" pour qui primaient les principes doctrinaux du catholicisme romain, les normes morales édictées par le concile de Trente, la réalisation d'une société chrétienne plus juste. Faut-il s'étonner, dès lors, des difficultés rencontrées lors de chaque élection au rectorat?
IV - RECTEURS ET RÉGENTS
Il n'est point facile de connaitre avec quelque précision l'existence des maîtres langrois, non plus que de juger de leurs compétences réelles. Certains marquèrent profondément la jeunesse de leur temps, et le bon Gaultherot, parlait encore avec émotion "des Thomassins, des Charpis, des de Lestres, des Udinets, des Demongeots, qui ont par la parfaicte connoissance qu'ils avoient des langues grecque, latine et mesme hébraïque, rendu le collège de la ville tant célèbre".65
Source : Biographie du département de la Haute-Marne, chez la veuve Bouchard, Chaumont, 1811. p. 133-134
Choisis d'abord parmi les nobles laïques de la cité, les recteurs furent, après 1575, généralement recrutés dans le monde des clercs, conséquence logique de la place prépondérante occupée par l'évêque et les chanoines au sein de l'assemblée chargée de leur élection.
1. - Les premiers successeurs d' Hugues Thomassin
En place depuis 1526 et jusqu'en 1547 au moins, Hugues Thomassin abandonna sa charge sans doute vers le milieu du siècle. Mais nous ignorons tout de son successeur immédiat. L'abbé Roussel évoque bien le nom de Jacques Berthaud, alias Bertaut ou Bertauld. Mais il parait difficile de le suivre et de ranger ce poète parmi les maîtres langrois. Gaultherot le cite, non point avec ceux-ci, mais avec les Langrois qui surent "paroistre parmy le monde dans une eslevation non médiocre de leur sçavoir, vertus et mérite". Et le Père Vignier suit la même voie en le rangeant "parmi les doctes Lengrois".66
Le premier recteur connu avec certitude, après Thomassin, est François de Lestre. Selon Gauthier, il aurait été institué par le chantre Simon de Saint-Belin en 1560. Nous ne savons sur quel document s'appuie l'historien du collège. La seule attestation que nous ayons retrouvée apparait plus tardive : un mémoire capitulaire de 1575 rappelle en effet que François de Lestre fut élu par les trois corps le 25 juillet 1564. "Homme lay et marié", ce dernier donna sa démission le 19 octobre 1569. Licencié ès lois et avocat, il reçut, le 10 mars 1571, une somme de 101 livres 13 sols que lui devait la ville depuis le 8 juin 1565, partie de ses gages peut-être.67
À ces certitudes, il est possible d'ajouter quelques conjectures. D'abord il parait certain que le recteur appartenait à une famille solidement implantée dans le terroir et jouissant d'une belle notoriété. Ni le Père Vignier, ni Charlet ne doutent de cette parenté. Le baron de l'Horme [Édouard-Étienne-Arthur, 1871-1945 ; capitaine au corps puis détaché à l’état-major de la 77ème division de l'Infanterie - Campagne dans les Vosges, en Champagne et Belgique - Croix de guerre et chevalier de la Légion d'Honneur ; ses œuvres], généralement très sûr, n'hésita pas à faire de François de Lestre, alias Delestre, Delettre, Delaistre, de Laistre, de l'Estre, le fils de Jacques de Lestre et le père d'Hugues de Lestre.68
Comme ceux-ci, le recteur de Langres serait seigneur de Riaucourt en partie et de Provenchères [devenue Provenchères-Colroy, janvier 2016, Vosges]. Comme eux, il se distinguerait par son érudition. Jacques de Lestre avait composé quelques épigrammes latines. Hugues de Lestre, docteur en droit, conseiller au présidial de Chaumont, remplit les fonctions d'avocat général auprès du parlement royaliste de Châlons avant de revenir à Langres comme lieutenant général, 1608. Il rédigea en particulier le Premier plan du Mont de Piété françois consacré à Dieu dédié à la Reine régente, Paris, 1611, 1140 pages in-4°. Il mourut à Paris le 17 août 1616.
François de Lestre aurait épousé vers 1538, toujours selon le baron de l'Horme, Guillemette Girard, veuve de Claude Deschamps et fille de Jacques Girard d'Auxonne et de Jeanne Vion. Les registres de baptême de Saint-Martin de Langres attestent que la femme de François de Lestre se prénommait effectivement Guillemette : elle était marraine de Nicolas Plusbel le 5 mars 1573 et de Guy Gissey le 13 janvier 1577. François de Lestre mourut avant le 16 mars 1586 : à cette date, "Dame Guillemette", marraine de Girard Richard, était "vefve de feu maistre François de Lestre, docteur ès droictz".
Ce dernier semble avoir établi des liens étroits avec la Lorraine. Selon le baron de l'Horme, il aurait rempli, avant son mariage, la charge de conseiller du duc Antoine. Le même serait devenu professeur de droit à l'université de Pont-à-Mousson après 1580 Il publia, en 1582, un hommage au duc Charles III ; Francisci Laestraei Lingonensis in Academia ponte Mussana professoris publici oratio dicata Carolo tertio Lotharingiae duci. Les comptes ducaux pour l'année 1584 attestent effectivement la présence d'un François de Lestre à Pont-à-Mousson :
"A Mre François de Lestre docteur régent en lad. université, trois cens quarante escus sols pour ses gages d'une année qui escherra au dernier de mars que l'on compte 1586".69
Selon l' abbé E.Martin, F. de Lestre, adjoint du célèbre Guillaume Barclay , serait mort en 1585, ce qui correspondrait aux données du registre baptistaire de Saint-Martin de Langres.70 Rien donc n'empêche de confondre le recteur de Langres et le maître de Pont-à-Mousson, le chantre du duc de Lorraine et l'auteur d'un poème en l'honneur de l'évêque de Langres, Pierre de Gondi, écrit en 1567 : Enconium D.Petri Gondi Episcopi Lingonensis, demeuré manuscrit et, aujourd'hui, perdu.
Selon Charlet, François de Lestre était "très versé dans le grec et les belles lettres". Son séjour près de Barclay, l'un des théoriciens de l'absolutisme monarchique permet de penser qu'il partageait sur ce point les idées du maître mussipontain. Le souvenir qu'en gardait Gaultherot incline à croire que F. de Lestre manifesta non seulement de réelles capacités, mais également des sentiments politiques conformes à ceux de la majorité des notables langrois.
Il en fut certainement de même de son successeur, Simon Charpy, recteur de 1570 à 1572, à la suite du concours public où il l'emporta sur Valérien Roussat.71 Comme son prédécesseur, le nouveau maître des écoles appartenait à une vieille famille bourgeoise de la cité : un Laurent Charpy remplissait la charge importante de maître des œuvres de la ville en 1472-1479.72
Petit-fils de Guillaume Charpy et de Lucotte des Molins, fils d'Antoine Charpy et de Marie Millot, Simon Charpy était l'époux d'Anne Heudelot, fille de Richard Heudelot, seigneur d'Esnoms, et de Catherine Genevois. Anne Heudelot figure sur les registres des confréries du Saint-Sacrement et de Saint-Pierre, à la date de 1572, comme femme de Simon Charpy, "maistre des escoles de Langres" et avocat.73 Deux enfants devaient naître de cette union : un garçon, Antoine, mort jeune, une fille, Claire, mariée à Etienne Cordier.74
Charpy donna toute satisfaction et ne fut point oublié après sa démission. Dès 1575, les notables avançaient de nouveau son nom, et l'avocat Nicolas Deschamps invitait les chanoines à le choisir pour remplacer Jean Rose. En 1590, on évoqua une fois encore les capacités pédagogiques de l'avocat. Le lieutenant enquêteur, Pierre Constant, le proposait au choix des échevins ; un autre estimait nécessaire de mettre à la tête du collège "ung homme de gravité comme Mr Charpy". Une très large majorité se dégagea en sa faveur, preuve que son autorité demeurait considérable.
Charpy enseigna donc pendant quelques mois, à la fin de l'année 1590 et au début de 1591.75 Mais il semble qu'il ait été finalement victime des évènements et du véto des ecclésiastiques. Par sa femme, il était apparenté à une famille, celle des Heudelot, dont certains membres basculaient dans le protestantisme. Peut-être manifestait-il une trop grande tolérance et des sentiments trop farouchement anti-guisards. Il fut définitivement écarté de toute responsabilité scolaire.
Jean Rose, recteur de 1572 à 1575, devait au contraire présenter toutes garanties de catholicité et de fidélité aux Guise.
À suivre...
Georges Viard, Le collège de Langres avant l'installation des Jésuites, seconde moitié du XVIe siècle - début du XVIIe siècle, Bulletin de la Société historique et archéologique de Langres (SHAL), n° 262, tome XVII, trimestriel-I, 1981, p. 409 à 426.
Georges Viard, Le collège de Langres avant l'installation des Jésuites, seconde moitié du XVIe siècle - début du XVIIe siècle, Bulletin de la Société historique et archéologique de Langres (SHAL), n° 265, tome XVII, 4° trimestre, 1981, p. 489 à 504.
62. A.D.H.M., G 61.
63. Ibid.
64. A.D.H.M., 2 G 28, f° 6, 31 août 1629.
65. D.Gaultherot, L'Anatase de Lengres..., Langres, 1649, p. 147.
66. Ibid., p. 147. J.Vignier, La décade historique du diocèse de Langres, publiée par la S.H.A.L., Langres, 1891, t. II, p. 321. Abbé Roussel, Le diocèse de Langres, Langres, 1873-1879, t. II, p. 346. Chanoine Bresson, Bibliothèque langroise, manuscrit de la Bibliothèque du Grand Séminaire de Langres, Ms 341/1, t. I, p. 79.
67. Archives du département de la Haute-Marne, A.D.H.M., 2 G 13, f° 169 ; 2 G 110. Bibliothèque municipale de Langres, B.M.L., Ms 217, copie XIXe. F.Gauthier, Notice sur le collège de Langres, Langres, 1856, p. 15.
68. A.D.H.M., 22 J 6, Fonds de L'Horme, dossier 247. Bibliothèque de la S.H.A.L., Manuscrits Charlet, Ms 113, Hommes illustres..., p. 164 : Ms 114, Langres savantes..., p. 66. J.Vignier, op. cit., t, I, p. 320.
69. Archives du département de Meurthe-et-Moselle, B 1201, f° 222 v°.
70. E.Martin, L'Université de Pont-à-Mousson, Paris, Nancy, 1891, p. 42 et 431. Curieusement et, sans doute, parce qu'il suit le récit du P.Abram, Mgr Martin appelle notre professeur Jacques Lestrée ; il en fait un prêtre d'origine chaumontaise. C.Collot. L'école doctrinale de droit public de Pont-à-Mousson, Paris, 1965, p. 9, redresse l'erreur sur le prénom et tait toute allusion à une éventuelle prêtrise. Les archives ducales et universitaires, D 1, p. 3, 5, 7, 15, 19, 21, 23, ne permettent aucun doute sur la traduction française de Franciscus Laestraeus : François de Lestre(s) est au moins écrit deux fois en toutes lettres. Les mêmes archives ne mentionnent nullement l'appartenance de Lestre au monde des ecclésiastiques. Enfin l'ouvrage latin, mentionné dans les Bibliothèques du P.Lelong et de Dom Calmet, indique bien l'origine langroise de l'auteur.
71. Rappelons que le chapitre, après la démission de François de Lestre, avait désigné pour le remplacer un certain Nicolas Thybault, dont nous ignorons tout et qui fut rapidement écarté.
72. Inventaire-Sommaire des archives communales de Langres, Troyes, 1882, p. 116-117, n° 938-939.
73. B.M.L., Ms 66, Saint-Pierre, et 67, Saint-Sacrement.
74. A.D.H.M., 22 J 3, Fonds de L'Horme, dossier 121. Cf. J.Vignier, op. cit., t. II, p. 340-341. Il y avait à Langres, en cette fin du XVIe siècle, deux Simon Charpy. L'un, avocat et docteur en droit, avait épousé Catherine Sirejean ; l'autre, le recteur, supposé également avocat et docteur en droit, était le neveu du premier. La parenté du recteur ne nous est connue que par la généalogie Charpy, dressée au début du XVIIe siècle par Guillaume Charpy, cousin de Simon, et reproduite par Vignier. Il serait nécessaire de vérifier sérieusement ses allégations.
75. B.M.L., Ms 169, t. I, f° 71. Une question doit évidemment se poser : s'agit-il du même Charpy en 1570, 1575 et en 1590? Nous penchons pour l'affirmative, mais sans pouvoir apporter de preuve formelle.
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