Haute-Marne, Langres : il était une fois le collège, épisode VI

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Il appartenait à la célèbre famille chaumontaise, illustrée par le virulent évêque de Senlis, Guillaume Rose, 1542-1602 [évêque de Senlis de 1583 à sa mort sous le nom de Guillaume IV. Son épiscopat d'une vingtaine d'années fut interrompu à la suite de sa participation active à La Ligue catholique] Il était sans doute le frère de ce dernier, donc né à Chaumont, vers 1540, de Jean I Rose, dit la Longue-Barbe, prévôt de Chaumont, et de sa seconde femme, Jeanne de Gondrecourt. Seigneur de Dammarie et de Poinson, Jean II Rose épousa Marie de Beurges et mourut avant le 14 janvier 1597 bailli de Joinville.76
  Le recteur de Langres partageait certainement les convictions ultra-catholiques de sa famille. Elu le 26 août 1572, il avait promis le même jour, de s'appliquer à s tâche, ajoutant "que en peu de temps, lon congnoistroit de quel zele et affection il s'emploiroit a sacquitter de tout son pouvoir dicelle charge a l'honneur de Dieu tout premierement et au gré et contentement dun chacun sil luy estoit possible".77

 



Tombeau et épitaphe de Guillaume Rose, évêque de Senlis. Dans l'église cathédrale de Senlis


   Entrainé dans les procédures concernant la "préceptoriale", Rose se heurta en particulier au conseiller au parlement Jacques Gillot [Langres, 1550-1619 ; homme de lettres et érudit, conseiller clerc au Parlement de Paris, il était en relation avec tous les beaux esprits de son temps], l'un des chefs du parti des "politiques". Il abandonna ses fonctions le 30 août 1575.
  Il apparait symptomatique que Gaultherot ait oublié, dans sa liste des recteurs célèbres, deux noms fameux, celui de Jean Rose et celui de Noël Facenet, c'est-à-dire ceux de deux personnes liées à l'action des ligueurs. Comment expliquer l'absence du plus connu des maîtres langrois, Facenet, sinon par une volonté délibérée d'écarter le souvenir de ceux qui avaient osé trahir la cause royale? Car, il ne faut pas l'oublier, Gaultherot n'écrivait pas seulement un livre à la gloire de Langres ; son but était également de célébrer le triomphe de la monarchie et l'indéfectible fidélité des Langrois envers leur souverain. Rose, comme Facenet, symbolisait un temps et une conduite qu'il fallait oublier ; Chaumontais de surcroît, il représentait une rivale que l'on voulait mépriser. Le silence de Gaultherot ne saurait donc signifier une quelconque absence de talents chez celui qui occupa durant trois années la charge de principal.
  Pendant quelque cinquante ans, de Thomassin à Rose, le collège de Langres fut dirigé par des hommes issus des meilleures familles de la région, celles de la robe langroise ou chaumontaise, les seules en vérité capables de fournir des maîtres compétents qui n'appartinssent pas à l' Eglise. Leur présence témoignait de l'emprise exercée par les notables sur la cité, de leur volonté de contrôler les écoles qu'ils avaient créées, d'intégrer l'éducation dans le vaste système mis lentement en place pour asseoir leur pouvoir sur la ville.

2. - Le recteur idéal? Noël Facenet, 1575-1585, 1598-1605

  1575 marqua un tournant dans cette stratégie. Au lieu d'un laïque, les responsables choisirent un clerc. Au lieu d'un notable, ils se tournèrent vers un homme aux origines sociales plus modestes. Cette orientation nouvelle traduisait d'abord un reflux momentané de l'influence des clans familiaux devant un pouvoir ecclésiastique renforcé par l'arrivée d'un nouvel évêque, Charles des Cars [Curés et vicaires du pays langrois au dernier tiers du XVIe siècle] désigné en 1569, institué en 1572, arrivé à Langres le 4 juillet 1574 seulement. Elle marquait aussi les hésitations sur la marche à suivre au milieu des redoutables problèmes du temps, dans une région soumise à la constante pression des Guise. Elle fut peut-être aussi le tribut payé au talent véritable.
  Nous ignorons tout des origines et des ascendants de Noël Facenet, appelé à succéder à Jean Rose en 1575. Selon l'abbé Roussel, il serait né à Plesnoy comme, plus tard, ses neveux Michel et Noël. Il appartenait au milieu de la petite bourgeoisie, encore proche, semble-t-il, de l'artisanat : lors de son décès, en 1624, il laissait pour héritiers, à côté de ses neveux ecclésiastiques, un procureur d'office, un maître coutelier, un tailleur d'habits.78 Rien donc de comparable avec les familles de ces prédécesseurs.
  Si l'on en croit la délibération capitulaire prise au moment de sa désignation, Noël Facenet appartenait alors à la Compagnie de Jésus. Il ne fut élu qu'à condition de la quitter :
" Domini Venerabiles certis considerationibus elegerunt in rectorem scholarum magistrum Natalem Facenet Jesuitam, modo habitum et rictum dictae religionis deponat".79
  Poussé sans doute par des protecteurs inconnus, mais puissants, à rechercher peut-être du côté des Guise, Facenet rompit, sans problèmes apparents, tout lien avec la Compagnie de Jésus. Mais l'on peut imaginer les conséquences intellectuelles et pédagogiques de ses séjours dans l'une ou l'autre des maisons jésuites. Devenu membre du clergé diocésain, le recteur ne fut-il pas conduit à introduire au collège de Langres les méthodes que mettaient alors en place les disciples de Loyola? [Ignace de, 1491-1556 ; fondateur et premier Supérieur général de la Compagnie de Jésus. Canonisé par le pape Grégoire XV le 12 mars 1622, il est liturgiquement commémoré le 31 juillet]


 Auteur : Enrique Garcia Hernan, Seuil, 2016

  Son existence auprès de ces derniers avait certainement favorisé l'éclosion de ses capacités intellectuelles. Sans doute fréquenta-t-il quelques bons maîtres et l'Université. C'est seulement en 1604 qu'il reçut, à Dôle, le bonnet de docteur en théologie.80 Il apparait donc possible que le recteur ait fréquenté, dès sa jeunesse, cette université, dont on sait les attaches avec les chanoines Perrenot [la famille Perrenot est constituée de notaires et juges appartenant à la bourgeoisie de la petite ville d'Ornans, en Franche-Comté. Elle était alliée à la petite noblesse locale], eux aussi ardents ligueurs au cloître de Saint-Mammès.81
  Noël Facenet devait étonner les Langrois par l'étendu de son savoir. Lorsqu’en 1558, il fallut lui trouver un successeur, on s'efforça de désigner un homme possédant "une encyclopédie synon tant admirable du moins approchant celle de son devancier". À ses connaissances multiples, le recteur ajoutait des dons pédagogiques. Il passait pour faire d'excellents écoliers. Les notables reconnaissaient son rôle éminent auprès de la jeunesse.
"une jeunesse tant avant nourrye en bonnes mœurs et estudes quilz auront toutes leurs vies subject de prier Dieu pour ceulx qui ont cydevant esleu et continué Mre Noel Facenet, lequel ils honorent et nomment avecq toute reverence et honneurs".82
  Dans une lettre aux habitants de Chaumont, datée du 17 janvier 1609, Noël Facenet précisait lui-même les difficultés qu'il y avait à choisir un bon maître :
"C'est bien l'un des plus difficiles jugements qui se puisse faire en choses néanmoins assez communes, à cause des conditions requises en un homme capable de ceste charge ; car pour l'âme est nécessaire la vertu et science plus que médiocre, pour le corps d'une fascon propre à commander à gens fort difficiles à retenir en une infinité d'occurrences. Et vous peulx dire en vérité, et ainsi que je le sens, que, après avoir exercé cet office l'espace de trente ans, je me retreuve en si grande appréhension des difficultés que, si j'estois à recommencer, je ne l'entreprendroye jamais. C'est, au vrai, une sorte de vocation des plus nécessaires parmi les villes, pour estre le seul moyen de chasser l'ignorance, ennemye de nostre nature, mais il fault avoir de grandes marques de suffisance pour s'en approcher".83
  Facenet réunissait sans aucun doute ces doubles qualités de l'âme et du corps. Il possédait le savoir ; il avait la santé. Il pouvait à la fois se faire aimer et respecter. Il sut aussi transmettre à ses disciples ces mêmes aptitudes. Certains de ceux-ci participèrent à leur tour à l’œuvre éducative ; ainsi, Gaspard Clary, ancien élève de Langres, devenu recteur des écoles de Chaumont, et qui mourut, noyé dans la Marne, sous les yeux de ses jeunes écoliers, 1590.
  Lorsqu'au disciple les Chaumontais purent substituer le maître, ils n'hésitèrent pas. Au lendemain de l'expulsion de Facenet de la ville de Langres, ils multiplièrent les efforts pour obtenir sa venue. Le recteur, qui s'était réfugié à l'abbaye de Flabémont [Notre-Dame-de-l'Assomption de Flabémont ; située sur la commune de Tignécourt en Lorraine] finit par céder : il dirigea le collège de Chaumont de 1591 à 1597, à l’entière satisfaction des habitants. Et nombre de Langrois regrettèrent alors d'avoir dû, pour des raisons politiques, se séparer de celui qui avait "...semé beaucoup de belles fleurs" ; ils craignaient que celles-ci "fussent flaitryes auparavant que destre a leur perfection" ; ils craignaient qu'en l'absence de leur talentueux professeur leurs héritiers "perdent petit à petit ce qu'à longs jours ilz avoient par l'industrie remarquable de leur precepteur amassé".84

 

 Notre-Dame-de-l'Assomption de Flabémont. Historique, 2015. Auteur : Patineurjul CC BY-SA 4.0

 

 

 Vue générale sur le hameau de Flabémont, 2015. Auteur : Patineurjul CC BY-SA 4.0

  Avec quelle satisfaction récupérèrent-ils, à la fin de l'année 1597, leur bien-aimé recteur! Et lorsque celui-ci, en juillet 1600, laissa entendre qu'il pourrait se retirer, "attendu son aage", les trois corps unirent leurs prières pour le maintenir en place. Facenet se laissa faire. En juillet 1605, il abandonna définitivement sa charge d'"Archididascalia" et la fit conférer à son neveu Michel.85
  Les succès pédagogiques de Facenet expliquent sa brillante carrière ecclésiastique. En 1597, il obtenait la cure d' Hortes, cumul peu conforme à l'esprit du concile de Trente ni profitable aux paroissiens, abandonnés à quelque vicaire besogneux, mais cumul assez habituel encore et qui permettait au bénéficiaire d'augmenter sensiblement ses revenus.
  En 1582, le recteur avait été nommé chanoine de Saint-Mammès. pourtant, à la suite de difficultés avec son prédécesseur résignant, il ne fut effectivement installé qu'en septembre 1584 et admis à toucher les revenus de la prébende le 17 août 1585. C'est alors, sans doute, qu'il abandonna la cure de Hortes. Ses nouveaux confrères l'autorisèrent à ne point participer aux offices ni aux assemblées capitulaires.86
  Exilé de 1588 à 1597, Facenet ne perdit point sa stalle [droit d'occuper le siège]. Mais les autorités municipales firent vendre ses meubles et le chapitre cessa de le faire bénéficier du privilège de la présence. Les Chaumontais lui offrirent un lot de consolation, le nommant tout à la fois chanoine et doyen de Saint-Jean-Baptiste [basilique ; principal édifice religieux de cette ville].
  Rentré à Langres, le recteur retrouva sa prébende cathédrale et abandonna ses bénéfices chaumontais. Son action dépassait désormais le cadre un peu étroit du collège. On le consultait sur des problèmes délicats. Ses confrères l'invitaient à prêcher en l'absence du chanoine théologal.87
  Personne ne s'étonna de la superbe promotion qui vint, en 1604, couronner la carrière du recteur ;

 

La basilique Saint-Jean-Baptiste. Crédit photo : Phil25 - Sous licence Creative Commons

 
À suivre...

Georges Viard, Le collège de Langres avant l'installation des Jésuites, seconde moitié du XVIe siècle - début du XVIIe siècle, Bulletin de la Société historique et archéologique de Langres (SHAL), n° 265, tome XVII, 4° trimestre, 1981, p. 489 à 504.


76. A.D.H.M., 22 J 9, Fonds de l'Horme, dossier 170, Bresson, op. cit., t. II, p. 855. E.Jolibois, La Haute-Marne..., Chaumont, 1858, p. 468.

77. A.D.H.M., 2 G 110. B.M.L., Ms 169, t. I, f° 2.

78. A.D.H.M., 2 G 23, f° 256. Cf. Roussel, op. cit., t. IV, p. 103.

79. A.D.H.M., 2 G 14, f° 445v°, 28 septembre 1575.

80. A.D.H.M., 2 G 18, 9 novembre 1604.

81. Nous n'avons pas eu le loisir, malheureusement, de consulter les sources comtoises. Certains registres de l'université de Dôle étant conservés à la Bibliothèque de Besançon, il serait possible d'y retrouver, peut-être, le nom de chanoines langrois. Sur l'université de Dôle à la fin du XVIe siècle, voir L.Febvre, Philippe II et la Franche-Comté, nouvelle édition, Paris, 1970, p. 372-379.

82. A.D.H.M., 2 G 110.

83. Cité par l'abbé Lorain, Histoire du collège de Chaumont, Chaumont, 1909, p. 45.

84. A.D.H.M., 2 G 110.

85. A.D.H.M., 2 G 18, f° 86v°. B.M.L., Ms 169, t. I, f° 110v°-111.

86. A.D.H.M., 2 G 15, f° 351v°, 352v°, 421, 434, 440v°.

87. A.D.H.M., 2 G 17, f° 84v°, 10 juin 1602. Inventaire-Sommaire...de Langres, p. 187. n° 1469.

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