GROUPE D'EXPERTS INTERGOUVERNEMENTAL SUR L'ÉVOLUTION DU CLIMAT, GIEC : L'ESSENTIEL DES RAPPORTS 2021 & 2022 SORT EN LIBRAIRIE

  "... pourquoi, malgré la signature de la Convention Climat en 1992, à Rio de Janeiro, Brésil, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté de 54% en équivalent CO2 en trente ans..."
   Oui, pourquoi!? Pourtant, ce n'est pas faute, de la part de très nombreux États ou unions de pays, d'avoir tout mis en œuvre, physiquement et économiquement, via des politiques de Transition écologique ET énergétique, pour réduire ces funestes émissions de CO2.
  TOUT ÇÀ POUR ÇÀ?

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Bonnes feuilles de « GIEC, urgence climat »

 Sylvestre Huet

 Ce matin, sort en librairie Giec, urgence climat le rapport incontestable expliqué à tous. Fondé sur les rapports complets des trois groupes de travail du GIEC, parus en 2021 et 2022, il en restitue l’essentiel. Son coeur est en effet constitué par trois chapitres qui suivent au plus près le texte des experts, mais avec des choix drastiques de réduction. Une obligation incontournable puisque les rapports complets titillent les dix mille pages. Son introduction propose une histoire lapidaire du GIEC et de l’origine du dossier climatique. Sa conclusion aborde deux questions cruciales : peut-on faire confiance au GIEC, et pourquoi, malgré la signature de la Convention Climat en 1992, à Rio de Janeiro, Brésil, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté de 54% en équivalent CO2  en trente ans. En voici quelques bonnes feuilles, tirées de sa conclusion, consacrées à la confiance que l’on peut accorder au groupe-3 du GIEC.


  « Le Groupe 3, qui étudie l’ingénierie, les ressources naturelles, l’économie et la gouvernance, se trouve dans une situation encore plus complexe. Son rôle est d’indiquer comment diminuer les émissions de gaz à effet de serre à un niveau permettant d’atteindre les objectifs de la Convention, fixés à 2 °C de réchauffement maximal par rapport au niveau préindustriel en 2009, COP de Copenhague, puis à se rapprocher le plus possible des 1,5 °C, en 2015 à Paris.
  La majorité des ingénieurs et des économistes, comme des chercheurs en sciences politiques, ne travaillent pas sur le changement climatique. La relation entre le Giec et ces communautés scientifiques pose donc le même problème que pour le Groupe 2. Surtout, des considérations autres que des connaissances solides sur les systèmes naturels et artificiels interviennent. C’est évident lorsque des choix politiques et sociaux sont en jeu. Tous les êtres humains n’ont pas la même réponse à la question : « Dans quelle société voulons-nous vivre ? »
  Cette diversité d’opinion traverse les communautés scientifiques. Les fortes inégalités sociales ne relèvent pas seulement du constat, elles sont pour certains économistes indispensables au fonctionnement de la société — c’est au cœur de l’ultralibéralisme aujourd’hui dominant — tandis que d’autres les considèrent comme des tares à réduire ou à éradiquer. Des économistes défendent le marché capitaliste comme instrument principal de la conduite des sociétés, parfois en véritables extrémistes si l’on songe à ceux de l’Université de Chicago (1). Leurs émules actuels s’élèvent contre l’intervention de l’État, toujours qualifiée d’inefficace et liberticide, tandis que d’autres soutiennent la nécessité de régulations étatiques fortes et de planifications collectives pour affronter le changement climatique. Ces oppositions d’idées et opinions sont à l’œuvre jusque dans les discussions du Groupe 3 lorsque les économistes se demandent comment obtenir la privation volontaire de l’énergie fossile afin d’éviter un dérapage climatique. Tout mécanisme de marché oriente nécessairement les acteurs économiques vers ces sources, lorsqu’elles sont les moins chères et les plus disponibles. Or, le courant dominant en économie, comme la plupart des forces politiques au pouvoir, croient dur comme fer aux vertus du marché capitaliste et ne se rallient qu’à contrecœur à l’outil des taxes, honnissant toute planification et intervention étatique.
  Le Groupe 3 ne peut donc que refléter cette diversité de choix et d’opinions. Il le fait d’ailleurs de plus en plus, car les rares économistes qui s’intéressaient au sujet il y a trente ans, souvent spécialistes de l’énergie ou du développement des pays pauvres, ont été rejoints par d’autres courants académiques. Le « Résumé technique » note ainsi une envolée des recherches en sciences sociales consacrées au changement climatique, notamment aux aspects sociaux de l’atténuation. Les experts ont identifié près de 100 000 études de sociologie, psychologie, de genres et de sciences politiques, dont les mots-clés pointent vers ces sujets. Leur nombre croît de 15 % par an et l’on compte deux fois plus de publications entre 2014 et 2020 que durant toutes les années précédentes.
  La mobilisation des économistes sur le changement climatique s’est accélérée, comme le montre l’augmentation rapide du nombre de publications. Mais les désaccords radicaux existent toujours quant à la seule mesure des dégâts du changement climatique, puisque certains anticipent une très faible diminution du PIB quand d’autres prévoient des catastrophes de très grande ampleur. Il faut d’ailleurs noter que les outils les plus utilisés par les économistes, PIB, comptabilité nationale…, et souvent au premier rang des objectifs des responsables politiques, sont très peu adaptés à la problématique du changement climatique.
  Enfin, observons que le seul Prix de la Banque de Suède en l’honneur d’Alfred Nobel donné à un économiste pour ses travaux sur le climat a été attribué à William Nordhaus en 2018. Certes, William Nordhaus fut l’un des premiers économistes à s’intéresser au changement climatique, dès 1975. Mais c’était pour conseiller de ne rien faire… avant les années 2020 ! Aujourd’hui encore, il considère qu’un réchauffement de 3 °C serait « optimal » au sens où le rapport coûts/bénéfices des politiques climatiques serait optimal pour ce niveau de réchauffement en termes de PIB. Il suffit de lire le rapport du Groupe 2 pour considérer que c’est là pure folie.
  La science économique est une science sociale et non de la nature. Elle comprend des oppositions de valeurs et pas uniquement des résultats objectifs. Il n’y a pas là des « vérités scientifiques » similaires à celles des sciences de la nature — construites par des communautés de recherche et par des moyens standards, hypothèse, expériences, observations, calculs, bonne foi des arguments et prise en compte de l’ensemble des données connues d’un problème, —mais des choix sociétaux irréconciliables.

Sobriété, équité, publicité
  Ces oppositions de valeurs ne sont bien sûr pas traitées comme telles dans le rapport du Groupe 3. Mais on les y trouve. La grande avancée du 6e rapport se trouve dans le traitement du conflit entre sobriété et inégalités, l’objet du chapitre 5 sur la réduction de la demande et les aspects sociaux de l’atténuation de la menace climatique. La justice climatique est au cœur du dossier climat depuis son début. L’Indien Anil Agarwal [1947-2002, environnementaliste indien ; formé comme ingénieur mécanique à l' IIT Kanpur. Il a travaillé comme correspondant scientifique pour le Hindustan Times. Il est le fondateur du Centre for Science and Environment, un institut de recherche basé à Delhi] l’avait perçu dès 1991, lorsqu’il proclamait le « droit » de chaque être humain à la même émission de gaz à effet de serre. Depuis, la revendication d’une justice climatique sociale et mondiale, la reconnaissance de la responsabilité des pays anciennement industrialisés, le droit à une vie décente pour tous, qui n’étaient que des affirmations militantes, sont devenues des conclusions d’experts dans le rapport du Groupe 3. Au point que ses rédacteurs reprennent le concept de decent living standards, niveau de vie décent, comme un droit humain universel, qu’ils estiment d’ailleurs compatible avec une politique climatique permettant de ne pas dépasser les 2 °C de réchauffement.
  En s’appuyant sur de nombreux travaux d’économistes, dont ceux de Thomas Piketty, et de sociologues, le rapport pointe très clairement l’énorme impact des inégalités de revenus sur les émissions. La responsabilité des hauts revenus est très bien établie, comme l’effet dévastateur des modèles de consommation fondés sur l’imitation des plus riches et alimentés par la publicité. « Il est nécessaire de réduire les inégalités », peut-on lire dans le rapport complet.

 

Graphique de Lucien Peltier extrait du livre Giec, le rapport incontestable expliqué à tous.


  Toutefois, si l’on trouve dans le rapport complet des éléments de critique du système social dominant, voire l’affirmation très nette qu’inégalités et politiques climatiques ne riment pas ensemble, on n’y trouve rien sur les mécanismes économiques produisant ces concentrations de richesses, et donc rien non plus sur la manière de les éradiquer. Une petite recherche lexicographique confirme cette “ impasse ” du rapport : le mot capitalism, en anglais, y est très peu fréquent avec 19 occurrences qui sont toutes des titres d’études ou de livres. Le résumé pour décideurs affirme qu’une politique climatique efficace doit s’appuyer sur la sobriété et sur l’équité. Il accorde à la sobriété un rôle majeur, voire principal, dans l’atténuation de la menace climatique. Toutefois, le résumé demeure quasi muet sur les moyens d’une politique permettant de réaliser cette équité. On y déniche pourtant l’évocation très prudente d’une « taxe sur la richesse absolue » qui pourrait diminuer les gros patrimoines, à condition d’être supérieure aux revenus encaissés.
  Avec le rapport complet, les experts affrontent enfin le sujet, mais très prudemment. La redistribution des revenus par des taxes sur le carbone ou « l’équité des revenus » sont affirmées comme des moyens efficaces d’une politique climatique, notamment pour les faire accepter par les populations. Les rédacteurs de ce texte sont très instruits des réalités économiques et sociales. Ils savent que les dirigeants de grandes sociétés et les milliardaires ne se priveront pas volontairement des jets d’affaires et de leurs modes de vie émettant des centaines de fois plus de CO2 que la plupart des êtres humains. Or, ils écrivent dans leur « Réponses aux questions fréquentes » : « En tant que consommateurs, surtout si l’on appartient aux 10 % les plus riches de la population mondiale en termes de revenus, on peut limiter la consommation, notamment en mobilité, et explorer le bien-vivre compatible avec une consommation durable. » Une telle formulation, une sorte d’appel à leur charité pour l’Humanité, pourrait sembler puérile. Les rédacteurs savent pertinemment que les classes moyennes des pays riches et émergents— l’essentiel de ces 10 % — ne risquent guère de s’engager dans une sobriété volontaire sévère si elles ont toujours sous les yeux le spectacle des consommations sans limites des grandes fortunes. Mais c’est la seule rédaction possible pour une expertise consensuelle à l’échelle mondiale.
  En outre, comment promouvoir la sobriété comme moyen majeur d’une politique climatique et ne rien dire de l’industrie publicitaire ? Cette manipulation géante des esprits émerge après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les grandes entreprises américaines se demandent comment donner suite aux commandes militaires pour booster la croissance de leurs activités et profits. C’est là qu’ils ont développé la forme actuelle de la publicité que l’on peut qualifier d’arme de destruction massive de l’autonomie matérielle et de pensée des couches populaires. Cette publicité de masse a colonisé l’imaginaire des populations. Elle vise à créer une frustration permanente de consommation et à vider les bourses des ménages encore plus vite qu’elles ne se remplissent. C’est ainsi que des consommateurs se croyant avertis font la queue à cinq heures du matin pour acheter le dernier téléphone portable, alors qu’ils en ont un dans la poche acheté un an plus tôt. Or, le mot advertising n’est jamais mentionné dans le « Résumé pour décideurs » qui pourtant affirme la nécessité de « changements socioculturels et de comportements pour agir sur la demande. » En revanche, on le trouve dans le « Résumé technique » et dans le rapport complet qui pointe l’effet néfaste de la publicité et de la volonté d’imiter la consommation des plus riches. Les experts ne peuvent que s’arrêter là, il ne leur revient pas de faire une quelconque recommandation sur ce qui pourrait permettre d’éradiquer la publicité comme les grandes fortunes.

40 heures de session ininterrompue
  Les rapports du Giec n’étant qu’informatifs et non prescriptifs, l’adoption des résumés pour décideurs ne vaut pas accord international en faveur des politiques permettant d’atteindre les objectifs climatiques. Mais, pour autant, les gouvernements hostiles à ces politiques tentent tout de même d’édulcorer le texte. En raison de multiples discussions entre les délégations gouvernementales et avec les rédacteurs, l’adoption du « Résumé pour décideurs » du Groupe 3 a été la plus difficile. Il a fallu 40 heures de session ininterrompue pour terminer le travail. Les scientifiques n’ont pas cédé à des demandes visant à effacer leurs principales conclusions, la solution, la plupart du temps, fut d’ajouter des précisions, souvent la prise en compte de situations particulières, nécessairement différentes d’un pays à l’autre. Le résultat fut un allongement de près de 40 % du résumé présenté par les rédacteurs.
  Alors, confiance ou pas dans l’expertise du Groupe 3 ? La confiance peut être très grande sur les calculs d’émissions, les potentiels de réduction d’émissions des différentes technologies et des sources d’énergie bas-carbone, du contrôle thermique des bâtiments, de l’urbanisme, des transports, des pratiques agricoles, des moyens de stocker le carbone des émissions résiduelles incompressibles, voire, désormais, le rôle majeur des inégalités dans la croissance des émissions. Le problème est ailleurs : si les politiques économiques et sociales permettant d’éviter un changement climatique dangereux se situent en dehors des modèles dominants, elles ne peuvent pas s’y trouver comme résultat d’un consensus d’experts. »

(1) son courant dit « École de Chicago » qui conseilla le dictateur chilien Pinochet.

Sylvestre Huet

  PS : un lecteur attentif me fait remarquer une inversion regrettable dans un encadré sur un aplat orange page 55 du livre : il y est écrit « Un forçage radiatif survient lorsque la terre renvoie vers l’espace une quantité d’énergie inférieure ou supérieure à celle qu’elle reçoit du soleil. Dans le premier cas, elle se refroidit, dans le second, elle se réchauffe. » C’est évidemment l’inverse, dans le premier cas elle se réchauffe, dans le second elle se refroidit. Autre erreur dans l’introduction du livre sur la longueur du rapport du groupe1 de 1990 qui ne fait pas 24 pages mais 364, ce qui reste dix fois moins que celui de 2021. Errare humanum est.

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