Le I0 janvier 2023, à I7 h. I3 min et 42. sec, un aigle royal est mort...
* A-t-on déjà vu une usine éolienne démantelée pour avoir mis en péril la santé des riverains?...
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Éoliennes du massif de l’ Escandorgue, Hérault : victoire historique devant la Cour de cassation puis mort d’un aigle royal
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
Le dossier du massif de l’ Escandorgue, dans l’Hérault, à Bernagues dans la commune de Lunas, est le plus avancé de ceux relatifs au démantèlement d’une centrale éolienne mal plantée.
Un parc édifié dans une zone protégée
Son promoteur, Énergie renouvelable du Languedoc, ERL, entendait en effet exploiter sa centrale dans le parc naturel régional, PNR, du Haut-Languedoc, en zone naturelle d’intérêt écologique et faunistique et floristique, ZNIEFF, et en zone de protection spéciale, ZPS, au titre de la Directive européenne " Oiseaux sauvages " du 25 avril 1979 : réseau Natura 2000. Le parc se situe enfin en zone " N " du plan local d’urbanisme de la commune de Lunas recouvrant " les espaces naturels et forestiers à protéger de toute urbanisation en raison essentiellement de la qualité des sites, des milieux naturels et des paysages qui la composent ".
Vue aérienne de la centrale éolienne de Bernagues : 5 éoliennes sur 7
Ce dossier exploratoire témoigne, malgré l’abondance des protections concernées, de la complexité injustifiée de notre droit pour les défenseurs des paysages et de l’environnement.
Une annulation définitive des permis par trois décisions du Conseil d’État
Le Conseil d’État annula tout d’abord à deux reprise, en dernier lieu en 2012, un premier permis de construire délivré en 2004. Un nouveau permis fut alors délivré en 2013, mais toujours sur la base d’une étude d’impact réalisée en 2003. Alors que le Tribunal administratif avait rejeté la demande d’annulation des associations, la Cour administrative d’appel de Marseille leur donna raison car l’« insuffisance de l’étude d’impact a eu pour effet de nuire à l’information complète de la population et a été de nature à exercer une influence sur la décision du préfet de l’Hérault ». La présence de rapaces protégés dans l’aire d’étude — notamment de l’aigle royal — avait été passée sous silence. Le Conseil d’État rejeta alors en 2017 l’ultime pourvoi du promoteur : procédure dite de non-admission. C’était la troisième fois, dans cette affaire, qu’il se prononçait contre le parc éolien de Bernagues. L’annulation du permis de 2004, comme de celui de 2013, est donc définitive.
Un spécimen d’aigle royal a été retrouvé mort dans le parc de Bernagues le 16 janvier 2023. Photo Inventaire National du Patrimoine Naturel : INPN
Comme à Sainte-Victoire, misant sur le fait accompli, le promoteur prit le risque d’édifier sept éoliennes sans attendre ce dernier arrêt du Conseil d’État. L’annulation répétée des permis par la plus haute juridiction administrative — qui aura pris treize ans en raison de l’acharnement judiciaire du promoteur — devrait logiquement conduire au démontage des machines. En effet, un acte annulé est rétroactivement tenu pour non avenu, les choses étant remises « dans le même et semblable état » où elles se trouvaient.
Un démantèlement effectif obtenu devant la Cour de cassation, une première en France,
Le droit français complique cependant la tâche des associations en exigeant, après une victoire définitive devant les juridictions administratives, la saisine des tribunaux judiciaires, Tribunal
judiciaire, Cour d’appel, Cour de cassation, pour une démolition effective...
Saturation éolienne dans le PNR du Haut Languedoc vue depuis Bernagues : commune de Lunas. Photo Marc-Antoine Chavanis, février 2023
Dans ce cadre civil, la loi pour la croissance de 2015, dite « loi Macron », alors Ministre des Finances, impose la démonstration de l’appartenance des constructions à certaines zones du territoire, nouvel article L. 480-13 du code de l’urbanisme, ce qui est très contestable.
Chance pour les paysages et les aigles royaux de l’ Escandorgue, les « paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard » sont bien concernés. La « méconnaissance d’une règle d’urbanisme », autre condition pour une démolition effective, a en outre pu être démontrée. Le Tribunal judiciaire de Montpellier, dans un jugement du 19 février 2021, donna en conséquence quatre mois au promoteur pour démonter son parc, sous une astreinte de 9.000 euros par jour de retard.
Le promoteur, saisissant la Cour d’appel, obtint pourtant, par un arrêt du 3 juin 2021, l’annulation de ce jugement. Il arguait de ce que la violation d’une « règle procédurale d’urbanisme », ici l’insincérité de l’étude d’impact, n’était pas suffisante, tout comme l’appartenance du parc à une zone sensible : il fallait selon-lui rechercher en quoi le régime d’une zone de montagne s’opposait à l’édification d’éoliennes…
La Cour de cassation, saisie par Sites & Monuments, l’association Vigilance patrimoine paysager et naturel, VPPN, et l’Association protection des paysages et ressources de l’ Escandorgue et du Lodèvois, APPREL, a heureusement rejeté ces prétentions manifestement infondées dans un arrêt du 11 janvier 2023 et condamné le promoteur à verser aux associations la somme de 3.000 euros. La violation d’une règle procédurale d’urbanisme est admise, tandis que la simple appartenance à l’une des zones énumérées par la " Loi Macron " est suffisante, sans entrer dans leurs régimes respectifs.
Massif de l’ Escandorgue, parc éolien de Bernagues, commune de Lunas, vue d’ensemble
Une procédure sans fin
C’était sans compter sur l’obstination du promoteur, saisissant aujourd’hui une Cour d’appel dite " de renvoi " : devant en principe appliquer aux faits les principes dégagés lors de la cassation.
Cerise sur le gâteau, le promoteur, dans une assignation reçue par Sites & Monuments le 1er février 2023, demande au juge des référés de suspendre l’exécution provisoire du jugement du 19 février 2021 : redevenu applicable après cassation. Énergie renouvelable du Languedoc, ERL, espère ainsi être dispensée de se mettre — enfin — en conformité avec la chose jugée en l’attente de l’arrêt de la cour d’appel de renvoi... Last but not least, elle demande 5.000 euros aux associations afin de l’indemniser de ses frais de référé !
Ainsi, le seul dossier donnant une perspective concrète de démolition d’un parc éolien en France a donné lieu à 19 ans de procédure, à la saisine de 5 juridictions administratives pour l’annulation d’un premier permis, de 3 juridictions administratives pour celle du second permis et de 4 juridictions judiciaires pour l’obtention d’un démantèlement effectif, soit un total de 12 juridictions, sans compter les référés. Des dizaines de milliers d’euros de frais de justice ont été exposés sur cette période par les associations, qui ont été sur le point d’abandonner le combat. Malgré les décisions favorables au démantèlement des juridictions suprêmes administrative puis civile, les éoliennes sont toujours là…
Massif de l’ Escandorgue, vautours volant au dessus du parc éolien de Bernagues : l’extrémité d’une pale est visible
Mort d’un aigle royal découverte cinq jours après confirmation du démantèlement par la Cour de cassation
Un fait récent donne en outre tragiquement raison aux associations. Le fonctionnement diurne des aérogénérateurs avait été suspendu par le préfet de l’Hérault le 12 mars 2020 après avoir causé la mort d’un vautour moine le 14 janvier 2020. Le 6 juillet 2022, un nouvel arrêté préfectoral leva cette restriction. Il énumérait, au titre des " espèces cibles ", " l’Aigle Royal, le Vautour Moine, le Vautour Fauve, le Vautour Percnoptère, le Milan Royal, le Busard Saint-Martin, le Busard Cendré, le Circaète Jean Le Blanc, le Faucon Hobereau, le Faucon Crécerelle, le Faucon Crécerellette et le Rollier d’Europe " et détaillait les nombreuses mesures de protection mises en place : " Chaque éolienne bénéficie d’une mesure de surveillance continue et en temps réel de l’approche du/des spécimen(s) d’espèce cible qui enclenche des actions adéquates de régulation de la vitesse de rotation du rotor et le cas échéant d’effarouchement afin d’éviter le risque de collision"...
Le vautour moine, autre victime du parc éolien de Bernagues, le 14 janvier 2020
Aigle royal et son aiglon. Photo Inventaire National du Patrimoine Naturel : INPN
Pourtant, le 16 janvier 2023, soit cinq jours après la décision de cassation confirmant le démantèlement sous astreinte des éoliennes, un aigle royal — actuellement en cours d’autopsie — a été découvert mort au sein du parc éolien : voir le communiqué. Grâce au système de traçage GPS dont l’aigle royal avait été équipé, à l’instar de ses congénères, son cadavre a pu être retrouvé à 25 m d’une éolienne, voir fiche de suivi de mortalité, sa balise indiquant une position fixe à compter du 10 janvier à 17h17. Selon le Rapport de constat de mortalité, " l’oiseau semble être rentré en collision avec la partie supérieure du rotor de la machine E2 ".
Fiche de suivi de mortalité établie le 16 janvier 2023 concernant l’aigle royal retrouvé mort dans le parc éolien de Bernagues
Un système de bridage éolien inefficace
Le même rapport indique, qu " Au moment de la collision présumée, la visibilité était maximale et le SDA [Système de Détection de l’Avifaune] était disponible : toutes ses composantes de détection et les fonctions de traçabilité étaient opérationnelles. [...] L’oiseau a cerclé au-dessus du vallon du Sourlan et a pris une ascendance à distance du parc. Cette trajectoire est détectée par le SDA et un ordre d’arrêt est donné à l’éolienne qui l’exécute." L’éolienne n’était en réalité pas arrêtée, mais tournait à 1,9 RTM, Revolution Per Minute ou Tour par minute, pour un maximum de 3 tours par minute en cas d’approche d’un rapace. On constate ici l’efficacité de la mesure de bridage retenue...
Un redémarrage express du parc illégal
La presse locale s’est émue, voir ici et ici, de la mort de ce rapace classé comme « vulnérable » par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature, UICN, laissant une femelle célibataire. Après avoir été arrêté à la découverte de l’aigle mort, un document de la DREAL indique que le promoteur a sollicité avec succès le redémarrage nocturne du parc dès le 31 janvier 2023. Le lendemain, 1er février, nous recevions la notification de la demande de suspension de l’exécution provisoire du démantèlement du parc… On comprend clairement ici où sont les priorités de l’exploitant du parc.
En bleu : zone d’implantation de l’aigle royal dans le PNR du Haut Languedoc. En rouge : parc éolien de Bernagues. Source : Inventaire National du Patrimoine Naturel : INPN
La loi sur l’accélération des ENR et son " intérêt public majeur " au secours des promoteurs
Le caractère lacunaire de l’étude d’impact concernant la présence de rapaces menacés a permis au promoteur d’éluder l’obligation de déposer une " Demande de dérogation pour la destruction, la perturbation intentionnelle de spécimens d’espèces animales protégées " : voir ici. À présent, et sauf décision contraire du Conseil constitutionnel, la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables permet justement, en réputant " d’intérêt public majeur " les petits parc éoliens comme celui de Bernagues, voir article 4 de la loi issu de la CMP, d’obtenir sans difficulté cette dérogation. Curieuse leçon tirée par le Gouvernement de la fragilisation actuelle de la biodiversité !
Massif de l’ Escandorgue, parc éolien de Bernagues, commune de Lunas, à la tombée du jour
Massif de l’ Escandorgue, parc éolien de Bernagues, commune de Lunas, vu à la tombée du jour
Conclusion
La conclusion suivante s’impose : l’acharnement judiciaire se situe du côté des promoteurs éoliens, dont les moyens sont illimités ; la complexité du droit, intolérable lorsqu’elle touche à leur activité, entrave légitimement semble-t-il la protection de l’environnement et des paysages, sans qu’aucune « simplification » ne soit envisagée pour y remédier, bien au contraire.
Arrêt de la cour de cassation, 3e chambre civile, 11 janvier 2023
Sur le Web
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