13/08/2019
D’après le système européen Copernicus, juillet 2019 égale ou dépasse le record de 2016 pour le mois de juillet le plus chaud
Comment les citoyens peuvent-ils revendiquer une bonne politique climatique à leurs gouvernements si on les trompe régulièrement dans la presse ? C’est la question aiguisée par les canicules (en France, et avec un rebond au Groenland) et les records mensuels de températures planétaires (en juillet 2019 à nouveau). Or, dans la dernière livraison de Nature communications, un trio de chercheurs démontre avec une démarche « big data » à quel point la presse (anglophone dans une centaine de pays) se livre sans compter aux négateurs de la science du climat. Traités, dans le meilleur des cas, à égalité avec les scientifiques (1). Et contribue ainsi à la diffusion des messages trompeurs et mensongers des porte-paroles du mal nommé « climato-scepticisme ».
Climate feedback
«Nous voulions quantifier la visibilité dans les médias des négateurs de la science du climat d’un côté et des scientifiques de l’autre, afin de vérifier la surreprésentation possible des uns ou des autres», explique Emmanuel Vincent, l’un des trois auteurs. Emmanuel Vincent à l’origine un chercheur en climatologie a bifurqué vers la science du Big data et travaille aujourd’hui au Media lab de Sciences Po. Il s’était déjà lancé dans l’aventure de « climate feedback », dont l’objectif est de vérifier la fiabilité d’articles de presse rendant compte de publications scientifiques. (Ici dans Le Monde.fr)
Pour cette recherche, il s’est associé avec deux chercheurs de l’Université de Californie afin de plonger dans l’océan de données sur la presse anglophone qu’offre le Media cloud (une coopération MIT et Harvard ) qui indexe déjà plus 59 000 médias et 1,3 milliard d’articles. Chaque semaine, environ 10 000 nouveaux articles de cette base comprennent les mots « climate change ». Et 100 fois moins le terme « climate skeptics ». Mais cette proportion reflète t-elle le rapport de force entre scientifiques du climat et négateurs ? Pas du tout, ont-ils découvert.
Le titre de l’article paru dans Nature Communications
L’idée des trois chercheurs ? Comparer la surface médiatique d’un panel de climatologues et d’un nombre équivalent de porte-paroles du climato-scepticisme. Pour les premiers, c’était facile, il suffisait de piocher dans les auteurs de 200 000 articles scientifiques sur le climat recensés dans le Web Of Science. Pour les « négateurs », les chercheurs ont pioché dans la liste des conférenciers du Heartland Institute (un think tank ultralibéral climato-sceptique) et celle du DesmoBlog project , une des meilleures sources sur les campagnes climato-sceptiques dans le monde.
De ces deux bases de données, ils ont extrait 386 négateurs, puis du coup choisi 386 scientifiques du climat. Et formés deux sous-groupes concentrant 224 négateurs ayant publié au moins un article scientifique sur le sujet (les autres en ayant donc 0 et n’étant pas nécessairement des scientifiques de profession) et les 224 chercheurs les plus cités dans la littérature scientifique, donc les « meilleurs » ou les plus influents dans la communauté des sciences du climat.
Surfaces médiatiques inverses à la crédibilité scientifique
Armés de ces listes, ils ont recherché leurs surfaces médiatiques respectives dans 100 000 articles (imprimés ou numériques) où étaient cités l’une au moins des personnes des deux groupes de 386 (ou les groupes de 224) auparavant identifiées. Sur la période 2000/2017. Le résultat peut s’exprimer familièrement ainsi : plus vous n’avez rien publié d’intéressant en climatologie, et plus vous serez starisé par la presse, surtout les titres récents n’existant que sur internet.
Sur le graphique ci-contre les 224 bleus, c’est l’équipe des scientifiques reconnus par leurs pairs comme les « meilleurs ». Les 224 rouges, ce sont les négateurs ayant publié au moins une fois. Leur production est faible, et surtout n’intéresse pas grand monde. Les articles de ces 224 négateurs reçoivent au total 1% du total des citations de la communauté scientifique du climat, ont découvert les trois auteurs, ce qui révèle un rôle très marginal. Une part de ces citations sont d’ailleurs dus aux réfutations qu’ils ont déclenchés.
En revanche, lorsque l’on étudie leurs surfaces médiatiques, le rapport des forces s’inverse entre les deux groupes. L’équipe des 386 rouges obtient environ 50% d’intérêt médiatique de plus que l’équipe des 386 bleus.
Et c’est seulement si on réduit les médias étudiés à 30 journaux « mainstream » (Guardian, New York Times, Washington Post, Los Angeles Times, Wall Street Journal…) que les équipes de 386 sont à égalité malgré l’écrasante supériorité scientifique des bleus. Une égalité qui résulte d’ailleurs d’un équilibre entre les choix « pro-sciences » de certains (Guardian) et les choix « pro-bobards » d’autres. Les trois auteurs se sont amusés à calculer le ratio entre le nombre d’articles scientifiques publiés et le nombre d’apparitions dans les médias. Les scientifiques négateurs, sur ce ratio, sont 15 fois plus cités dans les médias que les scientifiques normaux.
Chevalier de la Terre noire et plate
Ce décalage monumental entre le traitement médiatique de la science normale du climat et la faveur accordée à quelques négateurs peut s’exprimer par une métaphore sportive : c’est un peu comme si le journal L’ Equipe consacrait 15 fois plus de place à une équipe de foot amateur de Romorantin qu’à celle du pays champion du monde. Il vient de recevoir une illustration assez comique avec le n° de Valeurs Actuelles qui ouvre ses colonnes à une brochette de climato-sceptiques tous plus incompétents les uns que les autres en climatologie (sauf l’américain Richard Lindzen, mais dont toutes les tentatives de contradiction sérieuse ont été réfutées par le débat scientifique normal). Parmi eux – même si la liste est anonymisée dans la publication mon petit doigt m’a dit qu’il en fait partie – le géophysicien Vincent Courtillot – le spécialiste es-bourdes hilarantes comme d’oublier dans ses calculs que la Terre est ronde et qu’elle renvoie une partie du rayonnement solaire ce qui lui a valu le sobriquet de « chevalier de la Terre noire et plate » par des climatologues américains.
Opérer au strict inverse
La démonstration big data des trois chercheurs ne traite qu’un aspect quantitatif du sujet. Les études qualitatives permettent de mieux cerner l’efficacité des mensonges climato-sceptiques : ils s’appuient sur une apparence de science, et sur le « bon sens » populaire qui est systématiquement pris en défaut par une Nature dont la compréhension passe par un travail scientifique complexe.
Cette réalité devrait donc pousser les médias à opérer au strict inverse de ce que révèle cette étude : consacrer beaucoup plus de place, de temps et d’intelligence journalistique pour aider les citoyens à s’approprier un savoir indispensable à leurs décisions politiques. Car, comme le souligne justement le site Climate feedback : « la précision de l’information est à la base du fonctionnement de la démocratie« .
Un indice très éloquent
Les enquêtes réalisées depuis 2000 chaque année par l’ ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) sur “la représentation sociale de l’effet de serre” permettent de mesurer l’ampleur du problème, même dans un pays, la France, où l’audience médiatique des climato-sceptiques est plutôt faible.
A la question : «A votre avis, lorsque l’on parle aujourd’hui du réchauffement de l’atmosphère terrestre dû à l’augmentation de l’effet de serre, est-ce plutôt ?…», la réponse «Une hypothèse sur laquelle les scientifiques ne sont pas tous d’accord» obtient, de 2000 à 2018, l’assentiment d’entre 24% et 45% des Français et encore 39% en 2018. De plus, lorsque l’on pose la question “ouverte”: «Selon vous, à quoi est dû le changement climatique ?», seuls 2% répondent spontanément “effet de serre” et 5% “CO2”. Les deux réponses les plus fréquentes sont très vagues : “la pollution” ou “les activités humaines”.
Un indice supplémentaire mais très éloquent se trouve dans la question sur l’éventuelle responsabilité dans l’émission de gaz à effet de serre des centrales… nucléaires. Les réponses « beaucoup » ou « assez » cumulent un score très élevé, avec 58% en 2017 (page 16 de l’enquête). Une réponse qui pourrait sembler étrange si l’on oublie qu’une part importante de la population est encore privée d’une compréhension de la physique de base du réchauffement climatique.
Il est intéressant de rapprocher ce chiffre d’une autre enquête montrant que cette opinion erronée croît, et est d’autant plus répandue que l’on est jeune et/ou opposé à cette technologie.
Que l’on soit favorable ou défavorable à cette technologie, la démocratie requiert que tout débat public sur le sujet soit fondé sur un partage minimal des connaissances. L’énorme ampleur de l’écart entre les opinions publiques et les présentations les plus simples des sciences du climat, ou des liens de telle ou telle technologie avec les émissions de gaz à effet de serre, plombent toute tentative de démocratiser les choix technologiques, économiques et sociaux rendus indispensables par la menace climatique. La responsabilité des médias n’est bien sûr pas unique dans ce constat, mais elle est clairement engagée, montre cette étude.
Sylvestre Huet
(1) Alexander Michael Petersen, Emmanuel M. Vincent et Anthony LeRoy Westerling, Discrepancy in scientific authority and media visibility of climate change scientists and contrarians. Nature communications 13 août 2019.
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