Non-devoir de vacances

Descartes
23 août 2019 


Commentairece n’est pas nouveau et n’est ce pas ce qu’une majorité de Français demandent? La compassion, même feinte, de leurs dirigeants.

Pour rappel 

1999, catastrophe de l’ Erika : Mme Voynet, Ministre de l’ aménagement du Territoire et de l’ Environnement : “Au moment de la marée noire de l’Erika, Dominique Voynet se trouvait en vacances à La Réunion. Interrogée sur place pour savoir si elle comptait se rendre sur les lieux, elle commençait par déclarer que « cela ne servirait à rien », avant de se décider, tardivement, à interrompre ses congés pour aller apprécier personnellement l’état des côtes bretonnes.[...] Mais, au lieu de rester dans le registre de la compassion et de la dramatisation, elle a cru bon d’essayer de minimiser l’ampleur de la marée noire, en déclarant notamment, sans doute poussée par des préoccupations tiers-mondistes tout à fait louables : « Ce n’est pas la catastrophe écologique du siècle […]. Au Venezuela, il y a au moins 25 000 morts ».

Par sa franchise, elle s’était faite lynchée dans les médias et par l’opinion publique.
php
 

Que c’est bien les vacances ! Après une longue année de travail et de stress, quel plaisir de passer les journées à ne rien faire, à voir des amis, à discuter de tout et de rien, à lire des choses légères et sans rapport – quoique… – avec notre actualité…

Cette année, je m’étais concocté un cocktail de poésie – d’autant plus qu’un endroit solitaire se prête à la lecture à haute voix, indispensable pour la poésie – et d’histoire médiévale. Mais dans la maison des vacances je suis tombé sur le « C’était De Gaulle » d’Alain Peyrefitte et le « Pour rétablir la vérité » de Georges Pompidou, et je n’ai pas pu résister.

Quel choc, à cette lecture ! O tempora, o mores !

Je ne peux que recommander à mes lecteurs ces livres. Surtout à ceux qui ont moins de quarante ans. Ces livres leur révèleront un univers tellement différent de celui d’aujourd’hui qu’on en arrive à se demander si l’on est sur la même planète. On peut y voir ce qu’était la politique avant que la communication de masse dévore toute réflexion, que l’action politique ne devienne un simulacre, que les hommes politiques deviennent des comédiens.

On a du mal à imaginer aujourd’hui un ministre démissionnant parce qu’il ne partage pas la ligne politique du gouvernement – le dernier à le faire fut Chevènement, c’était au début des années 2000, et il n’a récolté que des railleries. On imagine encore moins un ministrable refuser un maroquin du fait qu’il n’est pas compétent sur le sujet correspondant. Quant à l’idée de ressusciter le « secret des conseils du roi » (1), qui y songerait aujourd’hui ?

Aujourd’hui, c’est le contraire. Le mot même de « secret » est devenu un gros mot. On vit dans la religion de la transparence, qui pollue totalement les processus de prise de décision publics. Sur le plan des principes, la chose paraît inattaquable : pour que le citoyen puisse juger de l’action de ses élus, il est normal qu’il ait accès à l’ensemble des documents qui ont préparé leurs décisions. C’est la logique des différents textes qui depuis la loi du 17 juillet 1978 ont progressivement élargi le droit des citoyens à accéder à l’ensemble des documents administratifs et en particulier à ceux qui sont préparatoires à la prise de décisions. Mais c’est aussi la logique qui a affaibli progressivement le devoir de réserve des administrations par le biais de la protection des sources des journalistes, des « lanceurs d’alerte » ou tout simplement d’un « devoir d’information du public ». On en trouve même pour proposer que les débats du conseil des ministres soient transmis en direct…

Le problème, c’est que cette transparence tue le débat interne, c’est-à-dire, celui qui a lieu entre ceux qui connaissent vraiment le sujet. Quel fonctionnaire, quel expert prendra en effet le risque d’exprimer une position qui s’écarte du politiquement correct s’il sait que la note qu’il adresse à son supérieur risque de se retrouver dans les mains d’une ONG ou dans les pages de « Médiapart », l’exposant à l’opprobre au mieux, à des sanctions au pire ? On se souvient du sort d’Eric Fournier, l’ambassadeur de France en Hongrie, et dont les télégrammes diplomatiques – où il exprimait franchement des analyses non politiquement correctes – se sont trouvés sur Médiapart provoquant son limogeage. Et encore dans ce cas il s’agissait de télégrammes couverts par le secret diplomatique, qui ne sortent que rarement des circuits du Quai d’Orsay. Car pour les documents administratifs préparatoires aux décisions ordinaires – c’est-à-dire, ne touchant pas la sécurité, la défense ou les rapports internationaux – des administrations, tout ou presque est communicable au public sur simple demande. La garantie que personne ne couchera par écrit rien d’excessivement polémique.

C’est là le paradoxe de la « transparence ». Vous croyez que la possibilité donnée au citoyen de se faire communiquer des documents administratifs améliore la connaissance qu’ont les citoyens des tenants et aboutissants des politiques publiques ? Vous vous trompez : la transparence ne fait que provoquer un déplacement. Ce qui autrefois s’exprimait dans des notes écrites et signées ou des réunions formelles dont les comptes rendus n’étaient jamais diffusés – et qui restaient ensuite dans les archives et permettaient à l’administration de garder une mémoire et d’établir éventuellement des responsabilités – se disent maintenant dans des conversations téléphoniques ou dans des réunions informelles dont il ne subsiste aucune trace. Le citoyen n’y gagne pas, et la rigueur administrative y perd.

Qui aujourd’hui reprendrait l’un des leitmotivs que mongénéral adressait à son porte-parole : « on parle toujours trop » ? Personne. Au contraire, le président reprochera plutôt aujourd’hui à tel ou tel ministre de ne pas parler assez, de ne pas passer assez fréquemment sur les médias. On ne demande même plus au politique de faire, tant qu’il est présent sur les médias pour annoncer. La parole a remplacé l’action. Et cela jusqu’au ridicule : on en arrive à publier des communiqués de presse pour informer le public que le ministre s’est réuni avec ses hauts fonctionnaires pour discuter tel ou tel sujet, ou qu’il compatit au malheur de telle ou telle personne (2).

Hier, le récit était un outil pour marquer le sens de l’action et souligner sa cohérence. Ce qui caractérise la politique aujourd’hui, c’est que le récit n’est plus un complément de l’action, mais se substitue à elle. La politique ne consiste plus à faire, mais à raconter ce qu’on fait – ou plutôt ce qu’on pourrait/devrait/aimerait faire. Le « bon » ministre, ce n’est plus un organisateur, capable d’entrainer ses troupes pour réaliser ses objectifs, mais un communicateur, capable de faire croire qu’ils ont été atteints. Napoléon disait au début du XIXème que la guerre était un art tout d’exécution. A l’aube du XXIème siècle, la politique est devenue un art tout de communication, au point qu’on prétend qu’un publicitaire peut faire gagner ou perdre une élection présidentielle.

Cette transformation a des conséquences inattendues et souvent cocasses sur la réflexion politique. Prenez par exemple les débats sur les réformes institutionnels, qu’ils proposent une rupture comme c’est le cas chez les partisans de la « VIème République », où une continuité comme dans le camp présidentiel. Dans les deux cas, la réflexion se concentre presque exclusivement sur le pouvoir législatif ou sur l’autorité judiciaire, c’est-à-dire, sur les institutions dont la fonction est plus de délibérer que de faire. La question de l’organisation du pouvoir exécutif – c’est-à-dire du pouvoir dont la fonction est d’organiser la mise en œuvre des décisions prises – n’intéresse personne. Comme si l’essentiel du politique se trouvait dans la création des décisions, et non dans leur exécution. Et il y a pire : lorsqu’on regarde la réflexion institutionnelle des différents réformateurs, on s’aperçoit que le but est de rendre la prise de décisions aussi difficile que possible, de multiplier les consultations, les délais, les voies de recours. Bref, pour ces gens-là l’important dans le char de l’Etat, c’est l’efficacité des freins plutôt que la puissance du moteur.

Les palinodies macroniennes sur la forêt amazonienne donne encore un aperçu de ce mode de fonctionnement, ce qu’on pourrait appeler « la diplomatie du tweeter ». Si le but était d’obtenir de Jair Bolsonaro un changement de politique, la bonne méthode aurait été d’abord d’en discuter avec lui, et en cas d’échec d’évoquer la question dans une enceinte où le Brésil est représenté. Macron choisit au contraire d’ouvrir une crise en évoquant le sujet dans une enceinte d’où le Brésil est absent. N’importe quel président du Brésil se déshonorerait en cédant à une pression étrangère aussi évidente, et je ne doute pas un instant que l’immense majorité des Brésiliens réagira en soutenant son président. Est-ce cela qu’on voulait ? Non, bien entendu. Ce qu’on voulait, c’était faire de la communication. L’important n’était pas de protéger la forêt amazonienne, mais de nimber Macron d’une image de protecteur intransigeant de l’environnement. D’autant plus intransigeant que cela lui donne un prétexte pour ne pas ratifier l’accord avec le Mercosur dont le lobby agricole ne voulait pas, et que cela ne lui coûte pas grande chose : on continuera à acheter le soja brésilien pour nos éleveurs, ce même soja cultivé sur les espaces déforestés, et tant pis pour les arbres.

Descartes

(1) Comme le rappelle Alain Peyrefitte, Louis XIV fit frapper une médaille « au secret des conseil du Roi » pour marquer l’importance du secret des délibérations dans ses conseils. De Gaulle avait repris cette logique : sous sa présidence, il était interdit aux ministres de prendre des notes pendant les débats du Conseil des ministres, seuls le porte-parole du gouvernement et le secrétaire général du gouvernement – un haut fonctionnaire tenu de par sa fonction à un devoir absolu de réserve – faisaient exception à cette règle.

(2) Dernier exemple, le communiqué d’ Elisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, annonçant sa tristesse lors de le chavirage d’un bateau de plaisance qui a coûté la vie à plusieurs enfants. Rien n’empêche la ministre d’appeler au téléphone personnellement la famille des victimes ou de leur adresser un message de condoléances. Mais pourquoi diable faut-il qu’elle publie un communiqué de presse pour informer le peuple ébahi qu’elle est désolée, comme si compatir au malheur des autres faisait partie des fonctions politiques ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

LA COURSE AU FONCIER : UN ENJEU POUR L'AVENIR DE NOS CAMPAGNES

  L'agriculture est un pilier fondamental de notre société, garantissant notre sécurité alimentaire et façonnant nos paysages ruraux. Po...