Haute-Marne : une histoire de trains, épisode VIII

"Les villageois s'attardaient au seuil de leurs maisons. Au loin, roulaient des trains, qui clamaient des cris éperdus. Les femmes se penchaient vers l'ombre, incurablement tristes de n'avoir pas connu les beaux départs. Et quand le train était passé, elles prêtaient encore l'oreille : la grande plaine d'été chantait sur les grillons, les grenouilles et le silence. Elles pensaient alors qu'elles étaient nées de ce village, qu'elles avaient vécu comme leurs mères, ni heureuses, ni malheureuses et qu’après tout, il n' y avait rien à redire à cela."

Marcel Arland, Terres étrangères, Varennes, 1923.

Vie de la ligne

Un aller-retour Langres, sil vous plait...!


  Les habitants de la région, autrefois plus nombreux qu'aujourd'hui, étaient heureux de pouvoir utiliser ce train. Bien souvent, il fallait se rendre à la gare à pied ou à bicyclette ou, plus anciennement, certain grand-père nous y conduisait avec son char à bancs tirés par la jument.
  Même si le train était en gare, on n'était peut-être pas en retard. Bien souvent il devait manœuvrer les wagons de marchandises avant de continuer son voyage!
  Ce petit train était pratique pour partir se faire soigner les dents à Langres ou pour aller consulter un spécialiste. On l'utilisait aussi pour les commissions dans les épiceries, les quincailleries, les drogueries. On revenait les bras chargés de toutes marchandises utiles aux habitants de la campagne. Il faut savoir qu'avant l'arrêt du service voyageurs, 1955, les autos étaient rares dans les villages.
  Une fois par mois, la foire de Langres attirait un nombre plus important de passagers. On était gai, content de partir tous entassés dans trois vieux wagons en bois de 3e classe. Ceux de Flagey ou de Brennes étaient alors obligés de monter en 2e classe. Au retour, on ramenait aussi bien un petit cochon vivant qu'un tonnelet de harengs salés. Certains hommes avaient rencontré beaucoup d'amis dans les rues de la ville, étaient entrés dans de nombreux bistrots et revenaient éméchés. Laissant les colis à femmes et enfants, oubliant pour un soir de soigner leur bétail, ils entraient encore au café de la gare avant de revenir chez eux bien tard.



  Pour la Sainte-Catherine, il fallait doubler les trains du matin et du soir. L'ambiance était formidable car cette foire, autrefois comme aujourd'hui, était un moment exceptionnel pour les habitants de la région langroise.

Les hommes de la loco



  Les mécaniciens et les chauffeurs étaient des personnages à part. À chaque voyage, on montrait aux enfants ces hommes aux grosses lunettes et à la peau noircie de fumée. Parfois, en gare, le gamin qui n'avait pas trop peur de la locomotive bruyante et noire, montait à côté d'eux et alors, le chauffeur ouvrait la prote du foyer d'où jaillissaient des flammes qui obligeaient à se reculer.
  Brachin de Neuvelle, René Mauvais, Georges Pouteau, Cyriaque Magdeleine de Colmiers ont fait fonctionner l'énorme locomotive mais celui dont tout le monde se souvient c'est Georges Pain.
  Ce petit homme passionné aimait sa locomotive qui marchait comme une montre. Il la soignait et l'astiquait parfaitement. Il en parlait continuellement. De 1937 à 1958, il en a fait des aller et retour à Langres! Il connaissait les employés des gares et des barrières, les voyageurs habituels, même les laboureurs dans leurs champs et les bergers qui gardaient leurs vaches au bord de la ligne. Il n'hésitait jamais à saluer chacun d’un coup de sifflet.

Les barrières

 
  Tout le long de la ligne, elles servent de lieu de rencontre. Les locataires qui s'y ennuient accueillent volontiers gens de passage et paysans qui travaillent dans les champs.

  Là, on vous sert facilement une chopine à prix coûtant et on peut plaisanter un moment, s'informer simplement des nouvelles de la région ou refaire le monde en discutant.
  En général, l'homme travaille sur la ligne. Il part chaque matin. La femme avertie du prochain passage de train par une sonnerie doit fermer la barrière. La ligne est clôturée sur toute la longueur. Le conducteur de véhicule ou le gardien de troupeau qui veut passer demande l'ouverture.
  Quelques gardes-barrières doivent s'occuper également d'une barrière à bascule. Ils la commandent à distance par un système de fils de fer. Tous ces employés de chemin de fer sont au bas de l'échelle des salaires. Souvent ils habitent près d'une forêt où en été, ils se ravitaillent en bois mort afin de se chauffer l'hiver. Quand leurs enfants, en général nombreux, sont élevés, ils prennent en pension des pupilles de l' Assistance publique. Les soir, les hommes vont prêter main-forte aux cultivateurs pour charger les voitures de foin ou de gerbes et les décharger dans les granges. Tous, aident à piocher les betteraves, en échange de quelques raies de champ où ils planteront leurs légumes.
  En été, la citerne de chaque barrière est souvent à sec. Parfois, une locomotive vient réapprovisionner avec l'eau de son tender.

Les produits de la forêt partent par le train

  Les frères Deloix exploitent avant 1960 la plupart des forêts de la région. Ils achètent des coupes à des particuliers ou au cours de la vente des bois. Leurs équipes de bûcherons abattent des forêts entières.
  Les produits sont expédiés sous forme de grumes, de bois de chauffage et de bois de mine. Certaines de leurs usines, des scieries mobiles, une fabrique de charbon de bois à Villars et la tonnellerie d'Auberive, donnent de la plus-value à cette matière première locale.
  Guenin, de Villars et Rondot, de Courcelles-en-Montagne achètent et expédient du bois. Deschamps, d' Avot charge surtout des wagons de bois de mine à Poinson-Beneuvre. Lambert, de Germaines expédie tous les bois mais c'est aussi un spécialiste fournisseur des chemins de fer. Des sous-bois, il tire des fagots qui servent à allumer les locomotives à vapeur. Ces paquets de petit bois partent par wagons entier pour les dépôts de locomotives de toute la France.

Accident

 Le 15 septembre 1893, à 7 heures du soir, entre Poinson et Vivey, au passage à niveau n°1 tenu par madame Aurélie Ledeuil, 37 ans, une vache a été trainée sur 25 m par la locomotive.
  L'animal faisait partie d'un troupeau de 12 bovins qui pâturaient. Ces bêtes étaient sous la garde de Marie Andriot, 15 ans, domestique du fermier Auguste Boiget, 28 ans.
  La jeune fille a demandé l'ouverture de la barrière pour faire passer son troupeau, mais elle a oublié une vache! Quelques minutes plus tard, l'animal se retrouvant seul voulut rejoindre ses congénères et pour cela brisa la clôture, traversa le jardin et gravit le remblai au moment où arrivait le train...
  Finalement, le convoi n'a pas déraillé, mais a pris 3 minutes de retard. Les dégâts se sont élevés à 0.20F pour la clôture et 1.50F pour la machine. Le propriétaire a regretté la perte de sa bête et la négligence de sa gardienne.



  Ce petit accident est raconté avec force détails dans les rapports du chef de train Cariot de Langres, de la garde-barrière, du mécanicien Jules Lacour du dépôt de Chalindrey et du commissaire de surveillance Ballas venu enquêter.



L'entretien

  Autrefois, les nombreux ouvriers étaient dirigés par un chef de district logé à Vaillant.
  Depuis 1938, deux équipes s'occupent de la ligne. Celle de Poinson-Beneuvre va jusqu'à Musseau et celle d' Aprey-Flagey, l' équipe n°8, de Musseau à Langres-Marne.
   Les ouvriers disposent d'une draisine pour se déplacer sur la ligne. Ils sont 6 en moyenne. Le chef était Aubertin puis il est remplacé par Martial Martin. Cette équipe VB, voiries et bâtiments, est formée le plus souvent d'hommes dont la femme est garde-barrière, exceptées celles de Maurice Guillemin et du père Bellus de Perrogney.
  Ces hommes doivent procéder constamment à la révision de la voie : serrage annuel des attaches de rails, nivellement et dressage des voies qui ont tendance à se déformer surtout en terrain argileux. Chaque semaine, la ligne est parcourue à pied par un employé qui signale toutes les anomalies : c'est la tournée de sécurité.
  En hiver, les problèmes sont plus nombreux. Tous les matins, il faut aller casser la glace sur la surface de l'eau du réservoir de Langres-Bonnelle. Parfois, la neige soufflée sur la montagne remplit les sections de voie située en tranchée. L'équipe VB s'y rend dès son arrivée au travail. Mais si le vent persiste, il faut embaucher les hommes des villages voisins et tous ensemble, pelleter la neige pour dégager la ligne. Un certain jour, le train voulant repartir de la d' Aprey-Flagey se trouva bloqué. Il essaya plusieurs fois de se lancer, avança de 10 m puis finalement resta 48 h avant de pouvoir repartir.

À suivre...

Bernard Sanrey, Le petit train de la montagne haut-marnaise, de Langres à Poinson-Beneuvre, pp. 38-42, 1990.


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