France, production électrique : quand l'insécurité règne...

"Un immense fleuve d'oubli nous entraîne dans un gouffre sans nom"
 Ernest Renan

php


***

La faillite du système électrique

Jean-Pierre Riou  



Le réchauffement climatique n’est pas un long fleuve tranquille.Au prétexte d’ensoleillement ou d’hivers moins rigoureux, il serait illusoire d’en attendre une économie de besoins, ou une garantie de production des énergies renouvelables.Car des froids extrêmes et prolongés restent à craindre. Et une pénurie d’alimentation électrique menacerait du pire.


Les cycles du climat
Par delà l’élévation régulière des températures, le climat est affecté par diverses oscillations cycliques [1] liées aux différences de température des océans et des pressions atmosphériques.
Certaines sont multidécennales, comme l’oscillation multidecennale de l’Atlantique (OMA) [2] qui suit un cycle de 50 à 70 ans.
Entre les différentes parties du globe, ces cycles coïncident à un effet de balancier sur les températures, les précipitations et la circulation des masses d’air et d’eau.
L’oscillation nord Atlantique (NAO), qui affecte les masses d’air sur une large partie de l’Europe, est liée à la différence de pression atmosphérique entre la ville de Lisbonne et celle de Reykjavík.
Les anomalies de ces différences modifient l’équilibre entre la dépression d’Islande et l’anticyclone des Açores.
Lorsque l’indice de ces anomalies est positif, il garantit un hiver doux humide et venté, tandis qu’un indice négatif correspond à une moindre différence entre l’anticyclone des Açores et le « creux » d’Islande, qui place l’Europe du Nord sous l’influence de l’anticyclone de Sibérie, et réduit la force des vents d’ouest.[3],
Presque tous les pays européens connaissent alors un manque de vent [4]. Un NAO négatif provoque également un temps orageux et nuageux autour de la mer Méditerranée, impliquant un faible rendement de l’énergie solaire. 


Quand un ciel couvert et glacial fige un continent

En raison de leur recours au solaire et à l’éolien, les Allemands redoutent la prolongation d’une telle période qu’ils nomment Dunkelflaute, par contraction de « Dunkelheit », obscurité, et « Windflaute », sans vent.
En effet, lors des pics hivernaux de consommation, il n’est pas rare que leurs 100 GW éolien/PV produisent moins de 1% de leur puissance nominale, le solaire étant alors à 0%.
Une étude de l’office météorologique allemand DWD [5] a montré que la complémentarité avec les éoliennes offshore et avec le photovoltaïque n’empêchait pas de réduire à moins de 2 cas par an la chute de production de leur puissance installée à moins de 10% pendant plus de 48 heures d’affilée.
Et que, bien qu’elle réduise encore ce nombre, la moyenne de tous les pays d’Europe ne permet pas d’éliminer ce cas de figure.
Or aucune solution de stockage ou de flexibilité de la demande ne permet d’assurer l’équilibre du réseau pendant 48 heures.
Selon Ecovat, un tel épisode froid sombre et sans vent pendant 10 jours [6] se produit une fois tous les 2 ans.
Confrontés à une érosion générale des moyens pilotables, liée à l’essor des énergies intermittentes, les principaux acteurs des systèmes électriques ont envisagé, dans une déclaration commune [7] du 10 octobre 2018, la fin de la solidarité européenne en cas de pénurie. 


La sécurité en question
Pour des raisons économiques, un critère de défaillance acceptable en France est fixé dans le code de l’énergie.
Le ministère rappelle [8] que « Ce critère signifie que chaque année, la durée moyenne, sur l’ensemble des scénarios possibles, et en tenant compte de la contribution des interconnexions, de la durée pendant laquelle au moins un consommateur est délesté pour des raisons de déséquilibre offre-demande doit être inférieure à trois heures ».
En vertu du décret n° 2017-1071 du 24 mai 2017 [9], c’est au ministre de la transition écologique et solidaire qu’il incombe « d’assurer la sécurité d’approvisionnement, la lutte contre le réchauffement climatique et l’accès à l’énergie, et de promouvoir la transition énergétique ».
La vague de froid de février 2012 s’est accompagnée d’un pic historique de consommation de 102 GW, le 8 février autour de 19 heures. Pour y faire face, le gestionnaire du réseau français RTE explique [10] avoir dû mobiliser tous les moyens disponibles et recourir à des importations sur toutes nos frontières qui ont atteint les « capacités limites du réseau en France » .
La production éolienne, assez importante malgré les conditions anticycloniques en début de la vague de froid, avec 4500 MW, se sont effondrées dans la pire journée du 8 février, pour tomber à 756 MW le lendemain. L’Allemagne n’était pas mieux lotie, ainsi que RTE le précise en ces termes « Durant la vague de froid l’éolien français a produit en moyenne plus que l’éolien allemand malgré un parc plus de quatre fois moins important ».


L’optimisme à la française
Dans l’appendice 3 de sa version 2019 [11] de prospective à moyen terme (MAF) le gestionnaire de réseau européen ENTSOE rappelle que l’hiver 1985 avait été bien plus rigoureux que celui de 2012 et que le système électrique français est particulièrement exposée à de tels événements climatiques.
Il précise que sa méthode d’évaluation des risques, Flow based sensitivity, est différente de celle de RTE et, contrairement à ce dernier, estime statistiquement à 4,1 le nombre d’heures où l’approvisionnement pourrait ne pas être assuré en France, qu’il considère la plus exposée à ce risque.
Dans son étude du passage de l’hiver 2019/2020 [12], l’ ENTSOE considère en effet qu’avec des températures inférieures à moins 5°, la France, et dans une moindre mesure la Belgique, ne pourraient assurer leur alimentation capacité d’import comprises.


L’énergie demain

Le réchauffement global du climat, comme les diverses oscillations à long terme, restent susceptibles d’accompagner des phénomènes tels que le ralentissement de la circulation méridienne de retournement Atlantique (AMOC) [13] qui contribue à la douceur actuelle du climat de l’Europe occidentale et qui nous feraient alors connaître des épisodes de froid extrême.
L’Allemagne mise sur une consommation électrique de 800 TWh en 2050 [14] contre 600 TWh aujourd’hui et s’appuie sur des analyses qui généralisent cette augmentation à toute l’Europe.
Malgré le renforcement de ses capacités de gaz, son ambitieux programme de réduction [15] des capacités pilotables prive l’Europe entière de l’une des 2 clés de sa sécurité d’approvisionnement.
L’autre clé étant la France, plus gros exportateur mondial d’électricité [16], juste devant l’Allemagne en 2018.
En fermant des réacteurs nucléaires pour des raisons autres que leur sécurité, la politique énergétique française semble tenir pour acquis le fait que nous consommerons de moins en moins d’électricité et que nous en avons fini avec les hivers rigoureux.
Car en les remplaçant par des énergies intermittentes, elle semble oublier que sans vent l’éolien ne produit pas plus de courant que n’en produit le solaire les soirs d’hiver, lors des pics hivernaux de la consommation. 


Le sabotage délibéré du principal atout

L’électricité a vocation à renforcer notre indépendance énergétique [17] et remplacer le pétrole, le charbon et le gaz dans les domaines de la mobilité et du chauffage.
Notre politique énergétique n’a pas le droit de manquer ce rendez vous. En misant sur des énergies intermittentes pour remplacer des réacteurs nucléaires, son excès d’optimisme nous expose pourtant volontairement à rien moins que la faillite de tout notre système électrique.

1 https://www.meteocontact.fr/pour-aller-plus-loin/les-cycles-meteorologiques

2 http://la.climatologie.free.fr/amo/amo.htm

3 http://www.ifremer.fr/lpo/thuck/nao/nao5.html

4 https://www.ecovat.eu/our-news/the-vulnerability-of-green-power-the-dunkelflaute/?lang=en

5 https://www.dwd.de/DE/presse/pressekonferenzen/DE/2019/PK_26_03_2019/pressemitteilung_20190326.pdf?__blob=publicationFile&v=3

6 https://www.ecovat.eu/our-news/the-vulnerability-of-green-power-the-dunkelflaute/?lang=en

7 https://www.bdew.de/presse/presseinformationen/gemeinsamer-appell-von-zehn-verbaenden-der-europaeischen-energiewirtschaft/

8 https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/securite-dapprovisionnement-en-electricite

9 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000034807059&dateTexte=20200121

10 https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=2&ved=2ahUKEwiQrLDJ8pTnAhWlyIUKHQvjAIkQFjABegQIARAB&url=https%3A%2F%2Fwww.rte-france.com%2Fsites%2Fdefault%2Ffiles%2Frex_vague_froid-2012.pdf&usg=AOvVaw0TLpvhgMKAHvE5VfkM5IeW

11 https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=2&ved=2ahUKEwiyv-_SuZfnAhVr8-AKHY0YDJAQFjABegQIAhAB&url=https%3A%2F%2Fdocstore.entsoe.eu%2FDocuments%2FSDC%2520documents%2FMAF%2F2019%2FMAF%25202019%2520Appendix%25203%2520-%2520Country%2520Comments.pdf&usg=AOvVaw3TzLseUTqr14PyX2KeNkqM

12 https://www.entsoe.eu/outlooks/seasonal/

13 https://www.notre-planete.info/actualites/4249-Gulf-Stream-ralentissement-climat-Europe

14 http://www.economiematin.fr/news-transition-energetique-allemagne-ecologie-strategie-climat-riou

15 http://www.sfen.org/rgn/allemagne-europe-securite-approvisionnement-epreuve?utm_source=RGH_Hebdo&utm_medium=email&utm_campaign=Hebdo

16 https://yearbook.enerdata.net/electricity/electricity-balance-trade.html

17 https://sciencetechaction.tumblr.com/post/174566055845/la-place-du-nucl%C3%A9aire-dans-lind%C3%A9pendance

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

TRANSITION ÉNERGÉTIQUE : DES INVESTISSEMENTS COLOSSAUX POUR ADAPTER LE RÉSEAU AUX ENR

   Investissements dans les infrastructures de réseau : RTE : I00 milliards sur I5 ans; Énedis : I00 milliards sur I5 ans .   L'unique ...