Hydrogène : le nouvel "ami" du Climat a comme un goût de... fossiles

"Après l'esprit de discernement, ce qu'il y a au monde de plus rare, ce sont les diamants et les perles."
Jean de La Bruyère, 1645-1696

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L’hydrogène, un rêve industriel mais pas écologique

Celia Izoard (Reporterre)
Dessin [trois volets] : © Red !/Reporterre
2021 02 03

  L’ambition d’un développement massif de la production hydrogène à grand renfort d’argent public fait peser de nombreux risques sur l’environnement, qu’il s’agisse de transport, de délocalisation de la production dans des pays pauvres ou encore du fantasme du stockage du carbone.

   Cet article est le dernier d’une enquête en trois volets consacrée à l’hydrogène. Premier volet : « L’hydrogène, trop gourmand en énergie pour être écologique ». Deuxième volet : « Le plan hydrogène français entérine discrètement la relance du nucléaire »



  Lors d’un séminaire, Saehoon Kim, chef de la division des piles à combustible du conglomérat sud-coréen Hyundai, déclarait : « Avant, notre industrie et nos technologies consistaient à collecter, acheminer et utiliser du pétrole. Aujourd’hui et demain, grâce à l’hydrogène, notre métier sera de collecter, d’acheminer et d’utiliser la lumière du soleil. » Cette formule lumineuse résume l’ampleur de la désinformation que véhicule la campagne visant à présenter l’hydrogène comme un remède au réchauffement climatique.
  L’hydrogène, sa molécule est notée H2, même obtenu par électrolyse de l’eau à partir d’électricité solaire, est un gaz qui s’enflamme deux fois plus vite que le propane ou le méthane, qui fuit beaucoup plus facilement et explose au contact de l’air, précisément au contact de l’oxygène [O2]. Couvrir le territoire de pipelines et de stations de distribution d’hydrogène est donc une opération hasardeuse. Interrogé par Reporterre, Philippe Boucly, président de l’association France Hydrogène, l’admet : « C’est un vecteur énergétique dangereux, même si les professionnels prennent toutes les précautions. On
ne va pas se le cacher : il y aura des morts à cause de l’hydrogène. »

Importer l’hydrogène
  On l’a vu dans le premier volet de cette enquête, fabriquer de l’hydrogène par électrolyse pour alimenter la pétrochimie, l’industrie des engrais et les transports longue distance en utilisant « la lumière du soleil » nécessiterait de recouvrir de panneaux photovoltaïques l’équivalent de la superficie de pays entiers. Suivant les préconisations de Hydrogen Europe, association chapeautée par les géants pétroliers et gaziers, l’Allemagne a signé en août 2020 un partenariat avec le Maroc visant une importation massive d’hydrogène obtenu à partir de fermes solaires géantes déployées dans le Sahara. Les ONG Corporate Europe observatory, Food and water action Europe et Re : Common dénoncent un « modèle néocolonial » mis en place au détriment des populations locales [1]. Et pour cause : produire de l’hydrogène « vert » demande non seulement de l’électricité mais aussi beaucoup d’eau, à la fois pour l’électrolyse et pour le refroidissement des équipements. Installer des électrolyseurs d’une capacité de 40 gigawatts (GW), comme le préconise Hydrogen Europe, nécessiterait quelque 254 millions de m³ d’eau par an [2]. Une opération difficile à justifier dans un pays aride, en première ligne du réchauffement climatique, où les manifestations de la soif se multiplient depuis 2017.
  Après avoir assoiffé les habitants du Maghreb pour faire baisser les émissions de CO2 des Européens, il faudrait encore acheminer ce nouveau pétrole jusqu’au Vieux Continent. Problème : l’hydrogène compressé n’a que 15 % de la densité énergétique du gasoil. Pour une quantité d’énergie équivalente, il prend sept fois plus de volume. Pour rendre le coût du transport acceptable, « l’option préférée » par les industriels consisterait ici à transformer l’hydrogène en ammoniac (NH3), dont la densité énergétique est bien plus élevée, pour l’acheminer par bateau jusqu’en Europe [3], en dépit des risques environnementaux en cas de naufrage de ces gigantesques cargos remplis d’ammoniac sous pression, d’autant plus que cette substance est très toxique pour les organismes aquatiques.
  C’est en se référant à ces projets d’importation d’hydrogène que le président Emmanuel Macron a justifié, en décembre dernier, la relance du nucléaire en France pour produire ce formidable gaz décarboné « sur notre sol » — oubliant l’extraction non moins néocoloniale au Niger et, jusqu’en 1999,
au Gabon de l’uranium nécessaire pour faire les combustibles atomiques.

L’hydrogène « bleu » est noir comme les émissions des énergies fossiles
  Mais en attendant que se réalise cet avenir fait de dizaines de nouveaux réacteurs et de trafic d’ammoniac sur les mers, les industries pétrolières et gazières ont obtenu le financement par l’Europe d’une autre solution « de transition » : l’hydrogène « bleu ». Il consiste à continuer de produire de l’hydrogène à base de reformage de gaz naturel ou de charbon, mais en capturant ses émissions de CO2 avant qu’elles ne s’échappent dans l’azur, d’où son nom. Intercepter ces gaz à la sortie des cheminées des usines d’hydrogène ne pose pas trop de problèmes, mais le stockage de CO2, beaucoup plus.
  À Chapelle de Rousse, Pyrénées-Atlantique, près de Pau, Total a essayé d’enfouir du carbone dans un ancien gisement gazier, « mais il n’a pu le faire qu’en des quantités minimes, car un stockage important, sous haute pression, peut créer des séismes », explique Sébastien Chailleux, sociologue spécialiste des controverses industrielles à l’université de Pau. À Salah, en Algérie, une tentative de stocker moins d’une année d’émissions d’une centrale à charbon a créé des micro-séismes, et donc des fuites de CO2 dans l’atmosphère : le projet a été abandonné en 2011. Plus récemment, Total s’est associé au pétrolier norvégien Equinor pour tester le stockage de carbone sous les fonds marins, à trois mille mètres de profondeur au large de la Norvège. L’opération est pharaonique, nécessite la construction d’une plate-forme offshore et de bateaux spéciaux emportant 7.500 m³ de CO2 réfrigéré à -25 °C, ainsi qu’une surveillance permanente des fonds marins. Mais elle n’est pour l’heure destinée à stocker que cent à cinq cents tonnes de CO2 par an. Or les émissions de CO2 résultant de la production d’hydrogène des seules zones industrielles de Normandie s’élèvent annuellement à trois millions de tonnes [4].

Tout changer pour que rien ne change
  Les promoteurs de l’hydrogène ont réussi à s’assurer, pour mener à bien ces projets périlleux, des financements colossaux : « Un tiers des 430 milliards d’euros nécessaires au déploiement de l’hydrogène proviendrait de fonds publics. Cela représente presque le budget annuel de l’ensemble de l’Union européenne », notent Belen Balanya et Hans van Scharen, de l’ONG Corporate Europe observatory [5]. Ces industries ont aussi réussi à imposer l’idée qu’on pourrait lutter contre le changement climatique par un tour de passe-passe technologique : tout changer pour que rien ne change. Alors que la production mondiale de plastique a été multipliée par trente depuis les années 1960 et fait apparaître des continents de déchets dans les océans, l’idée n’est pas de la réduire mais de la « décarboner ». Alors que, du fait de l’explosion de la vente en ligne, la circulation de camions et d’utilitaires augmente de 10 % par an en région parisienne [6], on s’apprête à construire des réacteurs nucléaires et des déserts de panneaux photovoltaïques pour les alimenter. Alors que les engrais au nitrate asphyxient les cours d’eau et nous intoxiquent lentement par l’eau du robinet, la priorité, là encore, est de produire de l’ammonitrate bas carbone…
  Plus encore, « il serait nécessaire que les promoteurs de l’hydrogène chiffrent le bilan carbone du changement de toutes les infrastructures », demandent les chercheurs de l’Atelier d’écologie politique [7] . « Il faut construire cinquante gigafactories d’électrolyseurs en Europe dans les années à venir ! » déclare Thierry Lepercq, consultant et auteur de Hydrogène, le nouveau pétrole, Cherche Midi, 2019. Lancer, aussi, une production en masse de piles à combustible et de compresseurs. Construire des pipelines, des stockages souterrains d’hydrogène, des infrastructures de captage de CO2, des centrales électriques, des stations d’avitaillement, renouveler les parcs de véhicules… Il serait étonnant qu’un tel chambardement soit sans effet sur le climat. Faute de contester l’agenda des géants de l’énergie, les citoyens se retrouveront enfermés pour les cinquante années à venir dans un interminable chantier planétaire. L’hydrogène serait alors une transition vers un monde tout aussi énergivore et polluant que celui d’aujourd’hui.


[1] The Hydrogen Hype : Gas Industry Fairy-tale or Climate-Horror Story ?, décembre 2020.

[2] En extrapolant à partir de la consommation d’eau de l’usine d’électrolyse H2VN en projet près du Havre, qui consommera 2 millions de m³ par an pour une puissance de 314 MW.

[3] Hydrogen Europe, Green Hydrogen for a European Green Deal : A 2x40 GW Initiative, avril 2020, p. 20.

[4] Produire une tonne de H2 par vaporeformage génère la production de 10 à 11 tonnes de CO2, en général émises dans l’atmosphère.
  Qualifiant la capture et le stockage de CO2 (CSC) d’« escroquerie », Greenpeace souligne le risque d’acidification des océans lié à des fuites du carbone stocké sous la mer. L’ONG s’insurge contre la pratique de l’ Enhanced Oil Recovery, ou récupération assistée du pétrole, courante aux États-Unis, consistant à réinjecter du CO2 pour stimuler la productivité des puits de pétrole [[Greenpeace, Carbon Capture Scam, 2015.

[5] « Un soutien public massif va continuer de financer le gaz fossile… via l’hydrogène ! », Le Monde, 17/12/20.

[6] Selon Vanessa Ibarlucéa, de la Fédération nationale des transports routiers.

[7] Voir l’étude de l’ Atécopol, « Avion à hydrogène : quelques éléments de désenfumage », septembre 2020.







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