La neutralité carbone en France ne devrait pas porter sur l'électricité !

  Dans cette tribune, Greg de Temmerman, revient sur les enjeux de la transition énergétique en France, en rappelant la spécificité dont bénéficie ce pays, à savoir une électricité largement décarbonée.

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Cet atome que l'on aime haïr


Greg De Temmerman
physicien
2021 02 04

  2020 fut l'année la plus chaude depuis 1900 en France et avec une planète qui se réchauffe, ce record sera certainement battu dans un futur plutôt proche. Réchauffement en grande partie causée par l'emploi de combustibles fossiles qui représentent encore 80% de l'énergie primaire dans le monde.
 
 
 
 Crédits : DR
 
 
  Parler d'énergie en France implique de parler de nucléaire. Si 70% (1) de l'électricité française provient de l'énergie nucléaire, l'électricité ne représente en fait que 25% de l'énergie finale quand gaz et produits pétroliers en représentent plus de 60%. Grâce au nucléaire, la France se place dans le top 3 mondial (2) pour l'intensité carbone de son électricité - une performance qu'on oublie souvent. Si on regarde les émissions françaises de CO2, l'électricité y contribue pour 5%, loin derrière les transports, l'agriculture et le résidentiel. L'électricité française est pour plus de 90% issue de sources bas-carbone. Le débat sur l'atteinte de la neutralité carbone en France ne devrait pas porter sur l'électricité !
 
Comment en est-on arrivé là ?
  Le programme nucléaire français lancé dans les années 70 entendait répondre à la forte dépendance française aux hydrocarbures dans un contexte de crise pétrolière. 58 réacteurs sont mis en service entre 1978 et 2000. À cette époque, l'argument climatique ne rentre pas en compte, mais l'intensité carbone de l'électricité est divisée par 5. Des performances que beaucoup prennent en exemple pour soutenir qu'une transition énergétique très rapide est possible à l'échelle nationale. Et qui font réfléchir sur le besoin que nous avons de nous comparer sur ce terrain à d'autres pays...
  Durant la période 1970-1985, le nucléaire s'est déployé plus vite que l'éolien et le photovoltaïque (PV) ces 15 dernières années (3). Cela peut paraître paradoxal au vu des difficultés actuelles de construction de certains réacteurs.
  L'énergie nucléaire offre une très forte densité de puissance : la puissance produite divisée par la surface requise par l'infrastructure de production. À ce titre, le remplacement de la centrale de Fessenheim par de l'éolien (4) requiert une surface de l'ordre de 700-900 km2. Soit l'équivalent de la surface de la ville de New York. On pourra arguer de la possibilité d'utiliser la surface entre 2 éoliennes mais l'empreinte sur l'espace demeure, surtout en considérant les terrassements nécessaires pour l'installation des structures. À l'heure où moins de 23% de la planète est encore non modifiée ou affectée par les activités humaines (5) et que le morcellement et la disparition des espaces habitables pour les non-humains figurent parmi les principales raisons de la chute de la biodiversité (6), l'impact environnemental est un paramètre clé à prendre en compte. La demande foncière est un facteur important et éolien et PV commencent à souffrir du syndrome du NIMBY (pas dans mon jardin) qui rend certains projets d'installation plus difficiles et longs.
  Le nucléaire, comme les centrales à charbon ou gaz, est une énergie pilotable dont la production est prévisible et peut s'adapter à la demande. Cette caractéristique est une composante fondamentale de nos systèmes électriques modernes. Au fur et à mesure que des moyens de production pilotables, fossiles mais aussi nucléaires, sont fermés en Europe, souvent sans coordination entre les États, ils sont remplacés par des moyens non pilotables. La gestion du réseau devient plus compliquée (7), augmentant le risque de défaillance. Comparer renouvelables et nucléaire revient donc à comparer des moyens de production qui ne rendent pas des services équivalents. 

Peut-on se passer du nucléaire ?

  La France a fait le choix, politique, de diminuer la part du nucléaire à 50% de la production électrique d'ici 2035, et de nombreuses voix demandent d'aller plus loin voire même d'aller à terme jusqu'à l'arrêt du programme nucléaire. De nombreuses études montrent que des scénarios 100% EnR sont possibles, mais reposent sur des changements majeurs du système. Parmi eux, une forte flexibilisation de la demande, le développement de fortes capacités de stockage et des investissements significatifs dans les infrastructures (8). Au-delà de la faisabilité technique se pose la question de l'acceptabilité par la population. Si le concept d'heures creuses est bien accepté, il est régulier. Un système à forte variabilité imposera des contraintes plus fortes sur les usages.
  Mais plus fondamentalement : au vu de l'urgence climatique, ne faut-il pas préférer un système qui a fait ses preuves plutôt que de développer un système non démontré ? La discussion est sans doute plus politique que technique, et doit prendre en compte le besoin, simultané et impératif, de décarboner de nombreux secteurs, notamment les transports et le chauffage, entrainant par la même une probable augmentation des besoins en électricité.
  Quels que soient les choix faits, les échelles de temps liées aux infrastructures énergétiques sont telles qu'une planification de long terme, allant au-delà des mandats électoraux, est nécessaire. La filière nucléaire doit se penser en regard des compétences nationales, du temps de construction pour les futurs réacteurs EPR, du démantèlement pour les réacteurs qui fermeront, de la gestion des déchets, mais aussi en terme de fermeture du cycle du combustible, permis par l'utilisation de réacteurs à neutrons rapides. Sur ce dernier point, l'arrêt du programme ASTRID, prototype de réacteur de 4ème génération, au motif que l'uranium est pour l'instant très peu cher, brouille les cartes sur la stratégie de long-terme. Or les problèmes rencontrés sur l' EPR de Flamanville démontrent le besoin de maintenir un certain niveau de compétences dans la filière au risque de connaître des redémarrages difficiles.
  L'urgence est de sortir de l'utilisation des combustibles fossiles, qui sont toujours majoritaires dans notre mix énergétique. Il apparaît dans ce cadre judicieux de capitaliser sur le savoir-faire français en matière d'électricité bas-carbone.

(*) Par Greg De Temmerman a dirigé pendant 5 ans le groupe de recherche Interaction Plasma-Surfaces du Dutch Institute For Fundamental Energy Research, avant de devenir coordinateur scientifique du projet ITER en 2014. En 2020, il est devenu directeur général de Zenon Research, un think tank qui réalise des études sur le futur à long terme dans les domaines de l'énergie, du spatial et de l'intelligence artificielle. Il est également chercheur associé de Mines Paris-Tech.


(1) Chiffre de 2019
(2) https://www.carbonbrief.org/guest-post-ten-charts-show-how-the-world-is-progressing-on-clean-energy
(3) https://www.nature.com/articles/462568a
(4) https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0301421518305512
(5) https://www.nature.com/articles/d41586-018-07183-6
(6) https://ipbes.net/models-drivers-biodiversity-ecosystem-change
(7) https://www.strategie.gouv.fr/publications/securite-dapprovisionnement-electrique-europe-horizon-2030
(8) https://www.rte-france.com/actualites/rte-aie-publient-etude-forte-part-energies-renouvelables-horizon-2050

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