"Tout dans la vie est une affaire de choix, ça commence par la tétine ou le téton, ça se termine par le chêne ou le sapin."
Pierre Desproges, 1939-1988
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Quelle(s) énergie(s) pour aujourd'hui et pour demain ?
Maxence Cordiez18 février 2021
J'ai répondu à plusieurs questions de David Tixier pour Mobius sur ma vision de l'écologie et le lien
avec l'énergie.
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- En tant qu’acteur de ce secteur, que pensez-vous de l’écologie en général, en tant que mouvement, idéologie, mode de vie, etc.?
Vaste question. Étymologiquement, l’écologie est la science de l’habitat. En pratique, les questions écologiques sont à la confluence de nombreuses disciplines scientifiques, biologie, physique, sciences du climat, météorologie, chimie…, et sociales, philosophie, économie, sociologie, etc.. Cela rend les questions écologiques particulièrement délicates à traiter et non manichéennes. Il ne suffit pas de dire « c’est facile, il n’y a qu’à arrêter de consommer des combustibles fossiles », alors que ceux-ci alimentent les machines dont la production sépare notre mode de vie de celui que nos ancêtres pouvaient connaître avant l’arrivée de la machine à vapeur il y a plus de deux siècles.
Ce n’est pas parce que les questions écologiques sont scientifiquement, techniquement et socialement complexes qu’il faut les trivialiser en une idéologie. Au contraire ! Si vous avez une maladie particulièrement grave et complexe à soigner, vous ne voudrez pas que votre médecin fasse preuve d’idéologie mais qu’il active toutes les connaissances à sa disposition pour maximiser les chances de trouver le chemin de crête menant à la guérison. Pour les questions environnementales, c’est un peu pareil. Et c’est pour ça que je suis méfiant vis-à-vis de l’activisme, qui tend souvent à faire l’économie de la compréhension des sujets dans leur complexité pour proposer des solutions simplistes et vendeuses auprès des militants, mais parfois contreproductives. Aujourd’hui, on assiste à un paradoxe. Les enjeux écologiques, dérèglement du climat, effondrement de la biodiversité…, sont de plus en plus pressants. Cela inquiète à juste titre une partie de la population, par ailleurs peu compétente sur les solutions à apporter à ces problèmes. Et cela peut conduire à promouvoir des mesures venant aggraver le problème. Par exemple, la Belgique prévoit de sortir en 2025 du nucléaire – énergie bas carbone assurant aujourd’hui la moitié de son approvisionnement électrique – ce qui va la contraindre à accroître, plutôt que diminuer, sa dépendance au gaz fossile importé, en augmentant ainsi ses émissions de gaz à effet de serre.
Pour reprendre l’analogie médicale, être concerné par une maladie doit pousser à solliciter un, voire des, médecin, à être exigeant et à suivre ses prescriptions, ça ne doit pas conduire à s’improviser soi-même médecin. C’est pareil pour l’écologie : les citoyens sont en droit d’exiger de leurs élus qu’ils se saisissent sérieusement des problèmes environnementaux et de demander des comptes sur les résultats, ou leur absence, mais ils doivent faire preuve d’humilité vis-à-vis des moyens à activer hors de leur champ de compétences. Selon la personne et le sujet, l’écologie peut donc désigner plusieurs choses. C’est un ensemble de connaissances scientifiques concernant l’environnement, ce sont aussi des enjeux découlant des modifications de l’environnement, climat, biodiversité…, des comportements ou encore des postures politiques ou économiques. Et on trouve de tout dans cette dernière catégorie : des gens compétents, honnêtes et ayant la volonté d’agir, des gens incompétents, honnêtes et ayant la volonté d’agir, l’honnêteté n’empêchant pas de défendre des positions contreproductives !, et enfin des gens compétents ou non et qui instrumentalisent adroitement l’environnement pour défendre un agenda tout autre.
[...]
- Avez-vous une opinion sur les revendications décroissantistes émises par certaines personnalités ou scientifiques dernièrement ?
Je n’aime pas beaucoup ce terme que je trouve assez moche et, peut-être à tort, un peu méprisant. Cela dit la question est moins de vouloir ou non la décroissance que de comprendre que pour des questions de limite des ressources fossiles et de nécessité de réduire les émissions de CO2, donc la consommation de combustibles fossiles, on ne peut physiquement pas y couper. L’énergie que l’on consomme sert à transformer notre environnement en biens et en services. Les progrès d’efficacité sont réels mais ils ont leurs limites. Par exemple, plus un système s’approche de son rendement théorique et plus il est difficile d’en faire progresser l’efficacité. Or, bien qu’abondantes, les ressources fossiles qui répondent encore aujourd’hui à 80% de la demande énergétique mondiale ne sont pas infinies. Notre consommation de combustibles fossiles a augmenté ces deux derniers siècles et indépendamment du climat, elle finira par décliner qu’on le veuille ou non, entraînant la production de biens et services, et donc le PIB.
La question est donc surtout de savoir si on attend de subir cela, avec un climat fortement perturbé, ou si on anticipe par de la sobriété. Si la pauvreté et la sobriété conduisent toutes deux à des économies d’énergie, la différence est de taille. Dans le premier cas on ne choisit pas ce que l’on abandonne, on le subit au fur et à mesure. Dans le second cas on choisit ce sur quoi on est prêt à faire des concessions pour conserver plus longtemps ce qui semble important. Par exemple, le premier cas pourrait être l’impossibilité de faire le plein de votre voiture par manque d’argent, et le second serait l’impossibilité d’acheter une grosse voiture puissante. Dans le second cas, vous avez économisé de l’énergie non pas sur la mobilité et de façon forcée mais sur une partie du confort de la mobilité individuelle, et vous avez ce faisant préservé, au moins pour un temps, la mobilité.
- Considérez-vous que nous consommons trop d’énergie ?
C’est indiscutable dans le sens où on ne parviendra pas à décarboner notre consommation énergétique à son niveau actuel avec les seules alternatives aux combustibles fossiles. Pour rappel, l’essentiel de la hausse de la consommation énergétique au niveau mondial a encore été assurée par les combustibles fossiles en 2018. Les énergies non fossiles n’arrivent même pas à absorber ne serait-ce que la moitié de la hausse de la consommation énergétique mondiale. Alors de là à prendre des parts significatives aux usages actuels des combustibles fossiles… Une fois qu’on a dit ça, la question reste très complexe et varie beaucoup selon les pays. On ne peut pas refuser de voir la consommation énergétique par habitant augmenter dans certains pays pauvres alors-même que nous consommons beaucoup plus. Les efforts doivent venir en priorité des pays riches. Et plus nous développerons d’énergies alternatives, plus nous pourrons garder d’usages de l’énergie. Mais dans tous les cas, des économies d’énergie très significatives devront être consenties, surtout dans les pays riches.
C’est pourquoi refuser le nucléaire sous prétexte que ça éviterait de faire des économies d’énergie me semble aberrant. Déjà le but n’est pas de faire des économies : c’est une nécessité pour lutter contre le changement climatique. Ces économies seront très difficiles à faire accepter en tirant parti de toutes les alternatives aux combustibles fossiles, elles le seront d’autant plus si nous réduisons encore l’éventail des énergies disponibles. Refuser une énergie bas carbone aussi importante que l’énergie nucléaire dans ce contexte revient à se tirer une balle dans le pied avant de commencer le marathon de Paris. Si avec vos deux pieds vous avez déjà peu de chances d’arriver premier, sur un pied ça ne va pas être plus facile…
Questions en rapport avec votre activité professionnelle :
- Ces dernières années, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer une diminution de l’utilisation des centrales nucléaires au profit des « énergies renouvelables (EnR) » comme l’éolien ou le solaire. Que pensez-vous de ces revendications, et pensez-vous que notre mode de consommation énergétique soit compatible avec une production énergétique « 100% énergies renouvelables » ?
Je pense que ça illustre ce que j’exprimais tout à l’heure : la confusion entre une inquiétude légitime vis-à-vis de l’environnement et des propositions de solution en déphasage avec les causes de ces inquiétudes. Les énergies dont l’usage augmente le plus au niveau mondial sont les combustibles fossiles. Même en France, les carburants pétroliers constituent la première énergie finale. Le nucléaire ne représente que les trois quarts de l’électricité, elle-même représentant un quart de l’énergie finale du pays. Il ne faut pas se tromper d’objectifs : pour le climat et notre sécurité énergétique face à l’épuisement des ressources fossiles, l’urgence est de sortir des combustibles fossiles, pétrole et gaz, la France utilisant très peu de charbon. Pour cela nous aurons besoin de toutes les énergies bas carbone, en particulier celles qui, comme le nucléaire, sont disponibles à la demande et ne dépendent pas des conditions météorologiques, de l’heure et de la saison.
Concernant la possibilité d’atteindre un futur « 100% renouvelable », tout est possible sur le papier, mais il faut avoir conscience des contreparties que cela impose. Sortir des combustibles fossiles en acceptant le nucléaire demandera déjà de grands efforts de sobriété, dont il n’est pas garanti que la population les accepte sans rechigner. Si on refuse ou qu’on limite arbitrairement le nucléaire, les efforts de sobriété à fournir seront encore plus importants et donc les chances de rater nos objectifs climatiques élevées.
Enfin, on a tendance à idéaliser les énergies dites « renouvelables », en oubliant que toute énergie a des inconvénients, différents, et qu’aucune énergie n’est « verte » ni « propre ». Les biocarburants et le solaire photovoltaïque ont une emprise au sol par kWh très élevée par rapport aux combustibles fossiles, or l’artificialisation des sols est une des causes de l’érosion de la biodiversité. L’éolien et le solaire photovoltaïque demandent beaucoup plus de cuivre, métal présentant une criticité géologique, que les énergies fossiles et nucléaire. Si le gisement énergétique n’est pas le problème pour le solaire et l’éolien, récupérer cette énergie induit d’importants besoins en matériaux. Cela ne veut pas dire que toutes les énergies se valent écologiquement parlant, mais qu’il ne faut pas tomber dans un manichéisme avec d’un côté des énergies « vertes/propres/sans impact » et de l’autre côté des énergies « sales ». La réalité est plus nuancée et si le nucléaire a ses défauts, très capitalistique, besoin d’autorité de sûreté crédible, acceptabilité sociale…, les énergies renouvelables en ont aussi.
- Quelle place devrait avoir, selon vous, les EnR dans un avenir proche dans le mix énergétique français ?
La question ne devrait pas porter sur les énergies renouvelables, qui sont des moyens, parmi d’autres, et non pas une fin en elles-mêmes. Le but est de réduire les émissions de gaz à effet de serre, donc la consommation de combustibles fossiles, jusqu’à atteindre la neutralité carbone. Cela supposera de développer les énergies bas-carbone, en substitution et pas en plus des usages actuels des combustibles fossiles, ni en substitution d’autres énergies bas carbone. En parallèle, d’importants efforts de sobriété et d’efficacité devront être consentis.
Enfin, il faut faire attention à ne pas limiter sa réflexion à ce qui est médiatique. De nombreuses énergies bas carbone « renouvelables » dont on parle moins que le solaire photovoltaïque et l’éolien auront un rôle important à jouer dans la transition : pompes à chaleur, biogaz, géothermie, solaire thermique…
- Le cas d’un de nos voisins, l’Allemagne, a beaucoup fait parler à la suite de l’ouverture d’une nouvelle centrale à charbon au printemps dernier, la centrale de Datteln 4. Pensez-vous que la France puisse être concernée par un retour au charbon si elle diminue la part du nucléaire dans la production française d’électricité ?
Je ne pense pas car si la France a fait le choix du nucléaire par rapport au charbon dans les années 70, contrairement à l’Allemagne qui a gardé une part importante de charbon dans son bouquet électrique, c’est avant tout parce que la France n’a plus guère de réserves de charbon économiquement exploitables. Le peu de charbon encore utilisé est importé. Donc si la France réduit son parc nucléaire, il est plus probable que lorsque des tensions émergeront par manque de capacités électrogènes disponibles à la demande, elle décide plutôt de construire des centrales à gaz. France Stratégie a d’ailleurs publié très récemment une note intéressante au sujet du manque croissant de capacités pilotables en Europe, et notamment en Allemagne, Belgique et France.
- De nombreux projets sont actuellement à l’étude afin de trouver une source d’énergie peu ou pas polluante avec un fort potentiel de production, je pense à ITER entre autres. Si vous deviez essayer de le deviner, quel serait l’avenir des centrales nucléaires telles que nous les connaissons à moyen voire long terme ?
Iter est un démonstrateur. La fusion nucléaire ne sera pas disponible avant a minima quelques décennies. Elle pourra peut-être alors être utile, et c’est pour ça qu’il est important de poursuivre les recherches, mais l’urgence climatique c’est maintenant. Il faut donc faire nos plans de décarbonation avec les technologies disponibles aujourd’hui, dont la fission nucléaire. Si de nouvelles technologies émergent plus tard, il sera toujours temps de les intégrer pour faire mieux, plus rapidement, etc. Mais compter dessus avant qu’elles ne soient prêtes et aient fait leurs preuves à large échelle serait risqué. C’est valable pour la fusion nucléaire mais également pour toutes les technologies, notamment de stockage énergétique, non encore démontrées à large échelle.
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