Réussir la transition énergétique

http://sauvonsleclimat.org
Jacques Peter, Georges Sapy et Bernard Tamain[1]
Publié le Lundi, 11 Janvier 2016
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Commentaire: L'Adème, si elle n'existait pas, il faudrait l'inventer...
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La consommation énergétique de nos sociétés développées s’est fortement accrue dans les décennies passées. Il est clair qu’il nous faut à l’avenir limiter au mieux l’énergie que nous consommons. Dans ce sens, l’amélioration de l’efficacité énergétique à tous niveaux est un objectif qui fait clairement consensus, mais il aura rapidement ses limites et il restera nécessaire de « produire » une énergie suffisante pour satisfaire les besoins. L’électricité est l’un des vecteurs essentiels dont la production est actuellement assurée surtout à partir des fossiles[2] dans le monde et du nucléaire en France. Le développement des énergies renouvelables est important dans de nombreux pays mais reste encore limité principalement à cause des coûts et de l’intermittence des énergies renouvelables les plus abondantes : éolien et solaire. L’ADEME a tenté de définir le meilleur scénario permettant, pour la France, de produire une électricité purement « renouvelable ». L'étude d'un tel scénario ne peut cependant se résumer à savoir si les quantités d'énergie renouvelable disponibles sont suffisantes pour satisfaire les besoins. La question n’est pas « pourrait-on ainsi produire assez ? » mais « est-ce réalisable, donc possible ? ». Le présent document est une analyse de la tentative de l’ADEME fondée sur une prise en compte de l’ensemble des objectifs qui nous paraissent les plus importants si l’on veut réussir une transition énergétique.

Notons aussi que l’analyse du mix électrique est insuffisante puisque l’électricité en France ne représente que 25% de la consommation totale d’énergie finale. Il faudra réussir la transition énergétique pour l’ensemble des besoins. Cette remarque est importante car il est possible que, dans l’avenir, il soit souhaitable qu’une partie de la consommation non électrique soit reportée sur le vecteur électricité si la production associée respecte les objectifs fixés. Ce peut être le cas d’une partie des transports (véhicules électriques) ou d’une partie des besoins en chaleur satisfaits via les pompes à chaleur ou d’une évolution de processus industriels augmentant la contribution de la robotisation. L’objectif de réduire fortement la consommation d’énergie totale ne se traduit donc pas nécessairement par une diminution de la production d’électricité, bien au contraire compte tenu des capacités étendues d’une électricité décarbonée à se substituer à plusieurs sources d’énergie carbonée.

Objectifs d’une transition énergétique réussie  

Les objectifs d’une transition énergétique réussie sont :

- la minimisation des émissions de gaz à effet de serre (GES),objectif qui réunit, au-delà de leur diversité, les membres de Sauvons le Climat[3]

- un respect de l’environnement : pollution minimale ; déchets sous contrôle

- un risque minimal pour les populations

- un coût acceptable pour les ménages et les entreprises

- une sécurité d’approvisionnement

- une balance commerciale favorable pour le pays

- une fiabilité et sécurité d’alimentation du système de production d’électricité

- une limitation des nuisances et des espaces concernés par ces nuisances

- une limitation des besoins en ressources naturelles nécessaires à la mise en œuvre et l’exploitation.


Bilan de l’existant  

Les installations actuelles de production d’électricité en France respectent parfaitement la faible production de GES : moins de 50 gCO2/kWh[4] car elles reposent essentiellement sur le nucléaire et l’hydraulique. Seuls les pays disposant de ressources hydrauliques très abondantes et beaucoup moins peuplés font mieux.

La pollution est également très faible pour ces modes de production. Quant aux déchets principaux (ceux du nucléaire), des solutions éprouvées existent, qui ont fait l’objet de nombreuses recherches concluantes.

Le coût actuel de l’électricité en France est très compétitif (le second moins cher d’Europe); le solde des échanges avec l’étranger est positif de 2 milliards d’Euros. La sécurité d’approvisionnement est satisfaisante.

Tous les investisseurs étrangers reconnaissent la qualité de notre service public de l’électricité. Il est remarquablement fiable.

Les nuisances sont celles dues aux cendres et fumées du charbon, en extinction, à la construction des barrages et des sites nucléaires. Elles restent limitées. Quant aux ressources naturelles nécessaires, elles sont aujourd’hui proches de la saturation pour l’hydraulique et elles concernent surtout l’uranium pour lequel il sera nécessaire à terme de passer aux réacteurs à neutrons rapides (génération IV) si l’on veut disposer de combustibles pour de nombreux millénaires.

Parmi les objectifs évoqués au paragraphe précédent, ils sont donc tous satisfaits sauf celui de l’appréhension du risque pour les populations puisqu’il est impossible d’affirmer qu’un accident ne peut survenir, même si la France[5] dispose avec l’ASN d’une autorité capable d’imposer que les installations bénéficient des dispositifs de sûreté les plus élaborés et performants. Ce problème est la justification de fond du scénario ADEME fondé sur 100% d’énergie renouvelable car, dans ce cas, le risque d’accident majeur ne concerne que les barrages (ce qui peut d’ailleurs être dramatique[6]). A lui seul, cet argument peut sembler justifier d’explorer ce scenario même si, nous verrons plus loin que la situation n’est pas aussi simple qu’il y parait[7]…

Une étude du scenario ADEME 100% renouvelable  

Le scenario ADEME 100% renouvelable respecte lui aussi de nombreux critères définis ci-dessus : émission des GES[8], respect de l’environnement[9], risques faibles. Par contre, les énergies renouvelables majeures que sont l’éolien et le solaire présentent les inconvénients de leur coût (dont l’évaluation à terme doit être discutée avec soin), de la mobilisation d’équipements qui peuvent être fortement consommateurs de métaux rares (pour l’éolien), d’occupation de grandes surfaces, et surtout de leur intermittence qui pose des problèmes de coûts supplémentaires (stockage ou installations annexes), et de fiabilité d’un système de production électrique les utilisant massivement. Nous étudions tous ces points ci-dessous.


L’évolution par rapport à l’existant  

La figure 1 donne une vue rapide de la production envisagée par l’ADEME (à gauche) qui est comparée avec la production actuelle (à droite).

Les flèches sur le côté droit montrent que le scenario ADEME s’appuie surtout sur des énergies non pilotables par opposition à la situation actuelle. C’est bien sûr un point clé du problème posé.

Par ailleurs, on voit que la production totale est beaucoup plus faible que la production actuelle alors que, en 2050, la population sera plus nombreuse de près de 15% et qu’il devrait y avoir 30% de logements de plus (prévisions INSEE). De plus, il faudra aussi satisfaire le nouveau besoin de développement des véhicules électriques (30 TWh pour les 10 millions de véhicules prévus par l’ADEME) et accompagner les évolutions de l’économie vers la numérisation (multiplication des fermes de serveurs) et la robotisation de l’industrie, probable condition de la survie de cette dernière, la France étant en retard dans ce domaine. Une diminution de consommation totale ne peut donc se concevoir sans un rationnement (via une très forte majoration des prix), qui serait économiquement destructrice et socialement inacceptable. Elle ne pourrait être obtenue que dans l’hypothèse d’une amélioration très significative de l’efficacité énergétique. Encore faudrait-il que celle-ci soit réaliste. Ce peut être le cas pour le chauffage des habitations. L’électricité contribue aujourd’hui pour 45 TWh dans le chauffage. Le gain dans ce domaine peut être significatif mais il serait limité par le fait que les actuels logements électriques sont déjà, dans leur majorité, relativement bien isolés. On peut aller plus loin en développant massivement les pompes à chaleur. L’ADEME le considère d’ailleurs dans son étude et attribue à ce poste un surcroit de consommation de 35 TWh. L’Association « Sauvons le Climat » soutient évidemment une telle évolution qui va dans le sens de la diminution des émissions de GES puisqu’il s’agit de réduire la part du chauffage assuré par des énergies fossiles. Nous sommes parfaitement sur la même ligne que l’ADEME sur ce point et nous espérons que l’Agence interviendra pour modifier la RT2012[10] qui conduit de fait à une promotion du chauffage au gaz, donc à une augmentation des émissions de GES.


Figure 1 : Répartition de la production annuelle d’électricité dans le scenario ADEME (gauche) et la situation de 2014 (droite).


Au total, si on fait le bilan des évolutions de consommation d’ici 2050, on arrive à une baisse de consommation électrique des chauffages actuels n’excédant pas 20TWh par an. Par contre le passage du gaz à l’électricité avec pompes à chaleur conduirait à une augmentation de 35TWh, les voitures électriques de 30TWh[11] et l’augmentation de population de 45 TWh[12]. Au total, il parait absolument illusoire de baisser la consommation totale de 480 à 422 TWh comme supposé dans le scénario ADEME. En ajoutant les besoins du tertiaire et de l’industrie, il faut plutôt s’attendre à une consommation de l’ordre de 550TWh au moins égale à la production actuelle donnée sur la figure 1. Notons aussi que, actuellement une partie de cette production est exportée pour un gain de la balance commerciale du pays de l’ordre de 2 milliards d’Euros. Elle contribue à l’amélioration du bilan carbone de nos voisins. Peut-on se passer à l’avenir de cet atout français[13] ? Sinon, il faut au contraire faire croître le niveau de production actuelle en s’approchant des 600TWh.

 

Figure 2 : Répartition de la consommation annuelle d’électricité (scenario ADEME)


Il est vrai que l‘ADEME imagine des baisses de consommation supplémentaires, mais nous sommes étonnés de certaines hypothèses retenues :

- baisse de 20% de la surface occupée par travailleur du tertiaire

- baisse de 20% de la consommation de l’industrie alors que tous les responsables partagent un objectif de réindustrialisation de la France en suivant l’exemple de l’Allemagne qui a su protéger son industrie.

Nous notons que nos évaluations sont cohérentes avec celles des industriels de l’Union Française de l’Électricité.

Remarque : il est complètement naturel que les simulations de l’ADEME aient conduit à une minimisation de l’électricité produite en 2050. L’optimisation utilisée a en effet privilégié une réduction relative des énergies non pilotables, la part des énergies pilotables étant quant à elle contrainte par la taille des gisements disponibles[14]. Ces gisements sont saturés sur la figure 1 pour le bois[15], la géothermie ou l’hydraulique et, pour que leur poids relatif reste le plus grand possible, l’algorithme ne peut que tenter de limiter au mieux éolien et solaire, ce qui limite la production totale à une valeur basse certainement trop contraignante. L’étude ADEME a aussi envisagé une solution moins contrainte mais elle se solde par des écarts de coûts qui vont bien au-delà de la simple proportionnalité puisque les coûts principaux du scénario ADEME sont générés par la proportion d’énergies non pilotables.


Les solutions pour gérer l’intermittence  

Les solutions de gestion de l’intermittence utilisées dans les simulations de l’ADEME sont la flexibilité d’une partie de la consommation, le stockage/déstockage et les échanges avec les pays voisins.

On voit sur la figure 2 que, sur une consommation totale de 422 TWh, 113 TWh correspondent à une consommation décalée dans le temps (flexibilité) ou à des importations. Par ailleurs, 46 TWh sont perdus dans les opérations de stockage/déstockage pour permettre de dégager 50 TWh déstockés en phase avec la consommation. Ces chiffres illustrent bien la difficulté imposée par l’intermittence des productions éolienne et solaire et on peut même s’interroger sur leur réalisme.

Flexibilité[16] : 

On peut s’interroger sur la quantité d’énergie supposée flexible : les 7 TWh correspondant aux ballons d’eau chaude ne posent pas de problème et le système fonctionne dès aujourd’hui avec succès. Mais les 26 TWh de chauffage électrique par PAC qui représentent 75% de ce poste seraient reportés d’au moins une heure en particulier au moment de la pointe de consommation de 18-20h alors que les PAC ne possèdent pas ou très peu d’inertie thermique. Ne risque-t-on pas d’observer une démultiplication des radiateurs portables sauvages compensant cette gêne des clients ? On peut s’en inquiéter si l’on note qu’un million de ces appareils sont vendus chaque année et que leur stock dépasse probablement les 15 millions actuellement… Quant à la flexibilité des recharges des véhicules électriques (objectif de 16 TWh), elle suppose que tous les lieux de travail soient équipés de points de recharge en nombre suffisant afin de bénéficier de la pointe de production photovoltaïque de la mi-journée[17]. Se pose de plus le problème des jours sans vent et sans soleil… On voit bien qu’il est nécessaire de tout tirer au maximum pour tenter de faire un peu mieux coïncider production et consommation d’électricité renouvelable. Pour ce qui est du projet de définir comme flexibles 50% des usages blancs de 75% des ménages, il risque de se heurter à une résistance forte du public qui, en immeuble, ne peut pas utiliser de l’électroménager bruyant (machines à laver en essorage) à toute heure. Par ailleurs une telle évolution est-elle possible avec les compteurs Linky ou faut-il définir une nouvelle génération nécessitant des modifications importantes (donc onéreuses) des installations électriques privées ? L’idée peut séduire si l’on peut aussi ajuster la consommation à la production en réalisant des installations de chauffage central hybride permettant de remplacer temporairement le gaz par de l’électricité quand elle est surabondante. On pourrait ainsi réduire la consommation de gaz et les émissions de GES associées. H. Prévot de « Sauvons le Climat » a proposé une étude dans ce sens[18]. Une discussion avec EDF serait utile pour progresser. Mais, bien sûr, une telle évolution est absolument incompatible avec la baisse de consommation électrique envisagée par l’ADEME.

Rendements de stockage/déstockage :  

On peut aussi s’interroger sur le réalisme des chiffres concernant les rendements utilisés dans les simulations. Il est supposé que le rendement énergétique du stockage inter-saisonnier power à gaz à électricité est de 33%. Ce chiffre nous parait très optimiste : avec les technologies actuelles une valeur de 20% correspond à la réalité[19], conduisant à 20 TWh de perte supplémentaire et il faudrait des progrès R&D très significatifs pour améliorer ce rendement. Peut-on lancer un tel projet sans garantie sur ces supposés succès de R&D ? Des unités pilote à une échelle industrielle sont indispensables pour conclure.

Les rendements donnés pour les stockages court terme et par les STEP (20% de pertes) nous paraissent à peu près raisonnables dans l’étude de l’ADEME, y compris l’augmentation de 50 % environ de la capacité des STEP (puissance supposée de 7 GW) sous réserve d’une acceptabilité sans doute problématique.

Imports/exports : 

Plus grave est la nécessité d’importer 56 TWh pour satisfaire 13% des besoins. Il est dit dans le document ADEME que ces importations sont compensées par des exportations de même ampleur faites à d’autres périodes. Mais il est aussi admis que plus de la moitié des importations ne correspondent pas à de l’électricité renouvelable mais à une production de centrales thermiques installées à l’étranger. Cet élément montre bien qu’il est impossible de produire une électricité 100% ENR pour alimenter le réseau français et que cette façon de se décharger de ce problème sur les pays voisins serait pour le moins inélégante. De plus, il est supposé que les coûts d’exportation compensent les coûts d’importation : il s’agit là d’une illusion claire puisque les prix à la frontière ne seront pas les mêmes en période de pénurie (pas de vent et de soleil sur toute l’Europe) et les périodes de surplus (vent et soleil généralisés)[20]. La balance commerciale concernant l’électricité du pays serait alors déficitaire (de combien ?) alors qu’elle est aujourd’hui positive de 2 milliards d’Euros… Enfin, peut-on considérer comme fiable un mix énergétique fondé sur 13% d’importations qui seraient par définition réalisées pendant les périodes de forte tension sur le marché européen ? Avec un pic d’importations nécessaire de 16 GW extrêmement important lors des périodes de nuits froides et vents faibles, situation qui peut concerner une grande partie de l’Europe compte tenu des corrélations observées entre régimes de vents sur le continent ? Situation très risquée, sans aucune garantie de fourniture et sans aucune marge (réserve de puissance) pour aléas… Scenario peu crédible par lequel chaque pays compte sur son voisin…

Équilibre instantané du réseau :  

L’intermittence pose aussi le problème de l’équilibre instantané fréquence-puissance du réseau, notamment lors des transitoires de puissance, problème majeur non traité dans l’étude de l’ADEME. Les transitoires concernent aussi bien la production intermittente que les fluctuations de la consommation. Ces transitoires de production et de consommation n’ont évidemment aucune raison d’être concomitants. Lorsque l’électricité est produite par des centrales thermiques, les à-coups correspondants sont absorbés grâce à l’inertie des machines tournantes. Cette inertie n’existe pas pour le photovoltaïque et est très limitée dans le cas de l’éolien. Cette remarque pose le problème de fond suivant : l’étude de l’ADEME est faite heure par heure mais sans prendre en compte des structures fines de production/consommation à une échelle plus courte. Il est essentiel de simuler la gestion de ces fluctuations rapides qui peuvent affecter gravement la stabilité du système de production/distribution global et donc sa sécurité d’alimentation si la part d’énergies non pilotables est trop grande. Un tel travail a déjà été entrepris par les équipes d’EDF-R&D dans l’hypothèse où les ENR intermittentes couvriraient 40% de la production d’électricité de l’Europe[21]. Une conclusion importante de cette étude est la grande fragilité de l’équilibre qui en résulterait pour le réseau surtout en périodes de faible demande, pendant lesquelles il faudrait limiter volontairement la part des ENR intermittentes (même si la météo leur était favorable) pour garder une proportion suffisante de sources pilotables (hydraulique ou thermiques) afin de stabiliser le système.


La question des coûts  

La viabilité du scénario 100% ENR repose aussi sur une évaluation des coûts très optimiste.

Dans le cas de l’éolien terrestre, ils sont raisonnables mais l’hypothèse de l’augmentation de 30% des efficacités des éoliennes de nouvelle génération n’est absolument pas établie, d’autant que les sites les plus favorables sont déjà équipés. Dans le cas de l’éolien off-shore, le surcoût « actuel » de plus de 140€/MWh est ramené à 15€/MWh. Une telle réduction nous parait très irréaliste compte tenu des problèmes posés par l’environnement marin.

Dans le cas du photovoltaïque, l’ADEME extrapole à 2050 une baisse des coûts très nette observée depuis que la Chine est entrée sur le marché. Mais cette transition ne se reproduira pas et les coûts des cellules atteindront leur limite. Et surtout, la plus grande partie des coûts résulte des équipements autres que les cellules (essentiellement électromécanique : assemblage des modules, pose, raccordement, mais aussi régulation et conversion de puissance). Pour le photovoltaïque en toiture, même si on suppose une baisse optimiste des coûts d’un facteur 3 pour les modules et de 30% pour les autres équipements, on obtient 150€/MWh alors que l’ADEME a supposé 85€/MWh. Pour le photovoltaïque au sol, avec les mêmes hypothèses de réduction de coûts, les estimations de « Sauvons le Climat » sont de 101€/MWh, proche du prix d’achat de la centrale de Cestas, et celle de l’ADEME de 60€/MWh[22]. S’ajoutent à ces coûts ceux des réseaux locaux qui doivent pouvoir supporter les fluctuations de puissance liées à l’intermittence : par exemple, les flux électriques très élevés liés au photovoltaïque l’été à midi par temps ensoleillé. Ces coûts doivent être ajoutés à ceux de l’étude ADEME.

Les coûts associés au stockage sont aussi des paris très optimistes sur l’évolution des batteries, sur leur longévité et sur un rendement très favorable du stockage par production d’hydrogène et méthanation. Sur ce dernier point, il serait d’ailleurs bien plus judicieux d’injecter l’hydrogène produit par électrolyse dans les réseaux de gaz ou pour alimenter l’industrie chimique qui fabrique aujourd’hui son hydrogène à partir de gaz naturel (2% de nos émissions de gaz carbonique). On y gagnerait sur trois points : des rendements nettement supérieurs, une baisse des besoins d’importation en gaz naturel (balance commerciale et indépendance du pays améliorées) et surtout une baisse des émissions de GES dus à la combustion du gaz.

On voit que selon les hypothèses faites, les résultats sont très différents. Il faut aussi considérer que les prix de revient réels ne seraient pas ceux de 2050 mais que les investissements seraient échelonnés sur 30 ans, avec un coût moyen bien sûr plus élevé que celui de 2050 qui reste en tout état de cause très hypothétique à une aussi longue échéance.

Concernant les prix de revient du nucléaire que l’ADEME utilise pour comparer divers scenarii, le coût de 80€ le MWh proposé par l’ADEME est très au-dessus du prix de marché mondial. Les Russes, les Coréens et les Chinois n’ont pas arrêté leurs séries et proposent entre 50 et 60€/MWh. Le plan proposé par le Président d’EDF lançant dès 2028 la construction de deux réacteurs par an afin d’assurer la relève du parc actuel est compatible avec une compétitivité retrouvée des projets nucléaires français, avec un EPR optimisé. EDF est toujours une référence mondiale pour l’exploitation et la maintenance d’un parc nucléaire bénéficiant d’un effet de série.

On constate aussi qu’on ne peut à la fois réaliser une nette baisse des GES et la sortie du nucléaire car celle-ci nécessite un stockage par méthanation coûteux et n’optimisant justement pas la réduction d’émission de GES. On retrouve ici l’argumentation énoncée au début de cette note. Une production d’électricité axée uniquement (ou presque car n’oublions pas les importations !) sur les ENR ne se justifie que si l’on met en priorité la sortie du nucléaire. Il nous parait donc nécessaire d’analyser les raisons qui pourraient conduire à un tel choix. Nous avons déjà noté qu’il s’agit du seul inconvénient du nucléaire : le risque d’accident. Nous le discutons à la fin de la section suivante.


Les installations dites de « back-up »  

Les solutions pour gérer l’intermittence ont toutes été exploitées au maximum par l’ADEME sauf une qui est celle actuellement mise en œuvre par des pays (comme l’Allemagne) misant fortement sur les énergies non pilotables. La solution non considérée par l’ADEME est celle des installations dites de back-up (hors hydraulique et centrales biomasse dont les capacités sont saturées dans le scenario de référence), installations pilotables capables de prendre le relais de l’éolien ou du solaire quand il n’y a pas de vent ou/et de soleil. L’étude ADEME tente de « remplacer » ces installations de back-up par du déstockage mais elle utilise cependant, certes de façon minimale, certaines d’entre elles localisées à l’étranger via les TWh d’import/export discutés ci-dessus.

Les installations de back-up possibles sont les centrales thermiques nucléaires ou fossiles. Les équipes d’EDF-R&D, dans leur étude déjà citée en note 20, concluent sur la nécessité d’utiliser de telles installations pilotables disposant d’une puissance suffisante (500 GW pour l’Europe). L’Allemagne mise sur la solution « fossile », la France sur le « nucléaire ». Ces deux solutions sont écartées sur le sol français dans l’étude ADEME car la première se heurte au problème de l’effet de serre et la seconde à l’interrogation sur la sûreté des installations. Le point essentiel ici est que, au niveau de l’Europe, personne n’ose envisager un bouquet électrique sans un minimum d’installations de back-up fondée sur un combustible fossile ou nucléaire. Il faudra donc bien « choisir » entre les inconvénients de ces deux solutions.

Les fossiles (et surtout le charbon massivement utilisé, car abondant, encore pour de nombreuses années) sont bien sûr très problématiques pour l’aspect GES. La solution dans ce cas ne peut passer que par des centrales sans émission de CO2, avec captage et séquestration du CO2, induisant des problèmes de coût et d’acceptabilité pour des productions massives. Nous sommes totalement en phase avec l’ADEME sur le rejet de cette solution car « Sauvons le Climat » considère la décroissance des émissions de GES comme l’objectif prioritaire. Reste la solution du nucléaire qui n’est pas non plus retenue par l’ADEME.

Le prix Nobel Burton Richter a fait une étude intéressante concernant l’accident de Fukushima[23]. Les doses reçues par les travailleurs et la population sont parfaitement connues. Une évaluation du nombre d’années de vie perdues est donc possible sur la base du modèle linéaire sans seuil dans lequel on admet que même les faibles doses peuvent conduire à des cancers[24]. Le résultat est de 4800 années de vie perdues par suite de l’accident nucléaire. Mais Burton Richter a fait un autre calcul. Avant l’accident, la centrale de Fukushima avait produit 898 TWh. Si ces TWh avaient été produits par une centrale au charbon, il y aurait eu des conséquences épidémiologiques dues à l’exploitation et à la pollution, de l’air notamment, induite par l’utilisation de ce charbon. L’étude Externe initiée par l’Europe[25] permet de calculer que ce fonctionnement normal aurait conduit à 124000 années de vie perdues, soit 25 fois le chiffre correspondant à l’accident nucléaire. Le nucléaire, même accidentel, est donc beaucoup moins dangereux qu’une centrale au charbon produisant sans accident la même quantité d’énergie. La médiatisation d’un accident donne donc une image fausse de la réalité. Il ne s’agit pas ici de minimiser les dangers du nucléaire mais de les remettre à leur place. Ils sont clairement moindres que ceux du charbon[26] qui est malheureusement l’énergie fossile la plus disponible pour l’avenir.


Des propositions à 80 ou 40% de renouvelables  

L’ADEME a aussi considéré des scenarii faisant un moindre appel aux énergies renouvelables.

Le scénario 80% présente le très gros intérêt d’éviter le stockage inter-saisonnier dont les coûts sont prohibitifs. La proposition consiste à garder un petit socle nucléaire et à ajouter un back-up thermique, probablement au gaz, représentant 10% du mix. Le graphique n°112, nous montre comment on pourrait passer un mois de février sans vent. On passerait, mais avec une pointe réduite à 70GW alors que celle de décembre 2010, mois sans vent, était de 95GW et la puissance d’importation pourrait représenter à certains moments 15% de la puissance appelée. D’où viendrait-elle alors que l’Europe serait, par hypothèse, elle aussi à 80% d’ENR et pourrait être elle aussi sans vent. Nous constatons qu’avec des hypothèses auxquelles nous pouvons difficilement croire, ce scénario aurait une part de thermique fossile supérieure à celle d’aujourd’hui. Mais alors, quel est l’objectif ?

Le scénario 40% doit être confronté à l’étude EDF R&D. Or celle-ci nous apprend que l’Europe ne peut atteindre un contenu carbone inférieur à 100g/kWh qu’en gardant tout son potentiel nucléaire actuel et en faisant porter la modeste réduction des capacités pilotables sur le charbon. Les étapes de la transition conduiraient alors la France à accroître sa production de gaz carbonique pour garantir une production électrique suffisante…

Les coûts des scenarii 100%, 80% et 40% sont annoncés voisins. Ce résultat reflète la combinaison compliquée des coûts des renouvelables intermittentes, des effets du stockage et de l’évolution des taux de charge des installations pilotables. Si ces installations utilisent une énergie fossile, la réduction du facteur de charge induite par la production renouvelable est onéreuse mais elle permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre par MWh produit. Elle est donc utile. Par contre, dans le cas où la réduction du facteur de charge concerne des installations nucléaires, la perte financière ne s’accompagne d’aucun gain sur les émissions de gaz à effet de serre. Il y a là une raison forte d’utiliser le nucléaire autant que possible en base de consommation pour ne pas en accroître artificiellement et inutilement les coûts de production.


Conclusion  

Un point essentiel qui nous parait incontestable est que, pour l’avenir, on ne peut à la fois assurer :

- une croissance de l’économie et donc de la consommation d’électricité nécessaire et suffisante

- une baisse des émissions de GES

- une non-utilisation d’installations de back-up fondée sur le fossile ou le nucléaire.

Il nous faut éliminer l’un de ces objectifs. Dans son étude, l’ADEME a limité la consommation d’électricité et a donc de fait accepté la décroissance. Avec ce choix et moyennant des hypothèses très optimistes sur les coûts, un projet limitant aux importations l’utilisation d’installations de back-up a été proposé pour la France. Ce projet ne garantit pas une stabilité du réseau parce qu’il a ignoré les fluctuations rapides de consommation et surtout de production.

La baisse de consommation d’électricité n’est pas le choix de « Sauvons le Climat ». Nous pensons qu’en dépit des progrès d’efficacité et de sobriété qui seront réalisés, une baisse de la consommation d’électricité à l’horizon 2050 ne pourrait que correspondre à un choc socio-économique majeur que l’on ne peut souhaiter. Elle interdirait aussi un transfert massif vers une électricité propre des consommations d‘énergie fossile dans le bâtiment et les transports, laissant ainsi perdurer l’effet dévastateur des émissions de gaz à effet de serre.

Il sera nécessaire de faire appel à des installations de back-up. L’utilisation d’énergies fossiles (charbon, pétrole ou gaz) conduit à des émissions de GES dont la séparation et le stockage sont un challenge peut-être insurmontable[27]. L’énergie nucléaire, malgré ses risques qu’il faut contrôler, reste la solution qui minimise les problèmes inhérents à une forte production d’électricité sûre et fiable. Nous avons la chance de disposer en France du savoir-faire et des structures de contrôle permettant de maîtriser les risques de cette technologie. Il est essentiel de conserver cet acquis en définissant, au-delà de toute polémique politique, un calendrier clair d’évolution du parc actuel lui donnant un niveau de sécurité accru pour prolonger sa durée de vie, et un échéancier de son remplacement progressif par des réacteurs de génération III puis IV. La perte de ce savoir-faire serait certainement un risque accru au niveau de la sûreté.

[1] Jacques Peter : Ingénieur des Mines, carrière SNCF et filiales transport, Georges Sapy : ingénieur, ancien d’EDF, Bernard Tamain : physicien, Professeur Émérite de l’ENSI de Caen

[2] L’électricité est actuellement responsable de 42% des émissions mondiales de gaz carbonique.

[3
] Sauvons le Climat rassemble des personnes de toutes origines, scientifiques, ingénieurs, économistes, représentant tout l’échiquier politique, citoyens unis par leur objectif commun : contribuer à ce que la France devienne un pays exemplaire dans le combat pour limiter le réchauffement à deux degrés.

[4] 4% des émissions du pays contre 40% pour la planète

[5] Les règles fixées par l’ASN, pour les EPR comme pour le parc historique rénové par le grand carénage, conduisent à limiter fortement l’impact d’un incident. Il est clair que les recombineurs d’hydrogène, les soupapes et filtres à sable ainsi que les diesels et alimentations de secours en eau permettraient de limiter considérablement les rejets en cas d’accident sévère et d’éviter des évacuations massives de populations. Les équipements présents sur les réacteurs français n’existaient ni à Tchernobyl, ni à Fukushima (dont les réacteurs étaient de types différents des nôtres).

[6] L’hydraulique a enregistré de gravissimes accidents : Malpasset en France, Vajont en Italie, Mattmark en Suisse pour nous en tenir à l’Europe.

[7] Le réalisme d’une production d’électricité 100% renouvelable en France peut déjà être mis en doute quand on note que « the International Renewable Energy Agency » ne suggère pas une production excédant 50% en Afrique dont le potentiel de renouvelables pilotables est très favorable.

[8] Du moins en théorie, car l’impact des importations d’électricité carbonée n’est pas pris en compte

[9] Dans l’utilisation des ENR, les questions d’environnement se posent au niveau de la fabrication des équipements (par exemple les cellules solaires ou le béton des barrages ou des socles d’éoliennes) et dans la combustion du bois qui n’est propre que si la température de combustion est entre 850 et 950°C, ce qui est loin d’être toujours le cas pour les chauffages individuels, même avec des équipements modernes et de qualité.

[10] Un exemple de conséquences perverses de la RT2012 : un ensemble de logements sociaux de Montpellier a bénéficié, avec l’aide de l’ADEME, d’une excellente rénovation de son isolation thermique ; la consommation de chauffage a baissé d’un facteur 4 à 5 mais on n’a rien gagné sur les émissions de GES car le vecteur de chauffage est passé de l’électricité (50g de CO2/kWh) au gaz (260g de CO2/kWh).

[11] « Sauvons de Climat » soutient sans réserve le développement des véhicules électriques afin de minimiser les émissions de GES et nous sommes sur ce point en phase avec l’ADEME. Nous voulons même aller plus loin en faisant la promotion des scooters ou des véhicules utilitaires électriques en ville, ainsi que celle des bus.

[12] RTE prévoit que la consommation accompagnerait la progression de la population.

[13] Les absences de stratégies claires de pays voisins préparent de belles opportunités à nos exportations d’électricité.

[14] voir la figure 42 du document ADEME

[15] On peut s’interroger sur la pertinence de la production d’électricité dans des centrales au bois dont les rendements sont médiocres. Il est plus adapté d’utiliser le bois pour des chaufferies collectives à excellent rendement alimentant le chauffage urbain. Un exemple intéressant est celui de la Bourgogne où des centrales de chauffe ont été installées avec l’aide de l’ADEME.

[16] Voir sur ce point l’étude de P. Jérémie et L. Brudieu, La Gazette de la Société et des Techniques, n°79, novembre 2014.

[17] Ce qui est possible sur le site de Sophia Antipolis est difficilement généralisable à toutes les entreprises, établissements hospitaliers ou d’enseignement.

[18] http://www.sauvonsleclimat.org/le-chauffage-hybride/35-fparticles/1773-le-chauffage-hybride.html

[19] Voir la publication : Pertes énergétiques du schéma « Power to gas + Gas to power » par Georges Sapy, http://www.sauvonsleclimat.org. Un rendement de 20% est considéré comme réaliste par les ingénieurs issus du secteur pétrochimique qui connaissent très bien toutes les réactions de la chaine power to gaz.

[20] On met parfois en avant le concept de « foisonnement » selon lequel « il y a toujours du vent quelque part ». L’étude de H. Flocard et JP Perves (http://www.sauvonsleclimat.org/etudeshtml/intermittence-et-foisonnement/35-fparticles/1161-intermittence-et-foisonnement.html) montre à partir des données mesurées sur toute l’Europe, que cette idée est une « fausse bonne idée » : des anticyclones couvrent souvent toute l’Europe dont tous les États se trouvent en même temps en manque de vent.

[21] http://chercheurs.edf.com/fichiers/fckeditor/Commun/Innovation/departements/SummarystudyRES.pdf

[22] http://www.sauvonsleclimat.org/l%E2%80%99ademe-a-%C3%A9t%C3%A9-prudente-en-ne-publiant-pas-son-sc%C3%A9nario/35-fparticles/1775-l%E2%80%99ademe-a-%C3%A9t%C3%A9-prudente-en-ne-publiant-pas-son-sc%C3%A9nario.html

[23] http://web.stanford.edu/group/efmh/jacobson/FukushimaCommentary.pdf

[24] Cette hypothèse est sans doute pessimiste car ne nombreuses populations vivent apparemment sans dommage dans des régions où la radioactivité naturelle excède d’un facteur 4 le seuil de 20 mSv annuels à partir duquel il y a eu évacuation des habitants proches du site de Fukushima.

[25] Les coûts externes de l’électricité, A. Rabl, J.V. Spadaro, Revue de l’énergie, n°525, 2001, p%,. 151

[26] Une telle conclusion ressort de toutes les études sérieuses de comparaison charbon/nucléaire : voir par exemple : Kharecha, P.A., and J.E. Hansen, 2013: Prevented mortality and greenhouse gas emissions from historical and projected nuclear power. Environ. Sci. Technol., 47, 4889-4895

[27] C’est actuellement le problème du choix de l’Allemagne dont les émissions de CO2 par habitant excèdent d’un facteur proche de 2 les émissions françaises.

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