Par Denis de Kergorlay
28/08/2017
« Si l’on continue à ce train, avant vingt ans, les campagnes françaises auront cessé d’être des campagnes. »
Emmanuel Macron a annoncé un doublement du nombre des éoliennes durant son quinquennat.
Pour le président d’ Europa Nostra, les éoliennes non seulement détruisent le patrimoine, mais sont inutiles d’un point de vue climatique et très coûteuses pour les investisseurs comme pour les consommateurs.
La polémique autour de la multiplication des éoliennes sur le territoire français ressemble à une version contemporaine de la querelle entre « anciens » et « modernes ». Se réclament des « modernes » toutes celles et tous ceux qui, s’étant engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique, souhaitent une transition énergétique qu’assureraient des énergies renouvelables (éolien, solaire, biomasse…). Se retrouvent catalogués au rang des « anciens » (voire des obscurantistes...), pêle-mêle, les climatosceptiques, les défenseurs du nucléaire, ainsi que les défenseurs des paysages et des monuments historiques. Et si, pour une fois, on parlait faits et chiffres, sans fantasmes ni parti pris idéologiques ?
L’atteinte aux paysages ou aux monuments est indéniable et croît de manière exponentielle. Quelques exemples : à Coutances (Manche), une éolienne a été implantée à 3 kilomètres de la cathédrale, merveille du gothique ; à Avignonet (Haute-Garonne), douze engins, dont certains à 750 mètres seulement, se profilent derrière le clocher octogonal du XIVe siècle ; les vieilles pierres de Saint-Jean-d’Angély (Charente-Maritime), dont l’abbaye royale est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, souffrent du voisinage de cinq engins…
Et ce n’est qu’un début. Dans le parc naturel régional du Haut-Languedoc, riche en points de vue remarquables, il a été décidé d’implanter jusqu’à trois cents engins, et les derniers projets tendent à dépasser ce chiffre. À quoi bon créer des parcs naturels, si c’est pour les rendre industriels ? Le préfet des Ardennes vient d’autoriser 63 éoliennes de 200 mètres de haut (chacune représentant deux tiers de la Tour Eiffel) à une trentaine de kilomètres de Reims. Si l’on continue à ce train, avant vingt ans, les campagnes françaises auront cessé d’être des campagnes. Le cadre de vie des Français aura été bouleversé, sans débat démocratique préalable sur ce sujet, puisque ni les enjeux ni les alternatives possibles n’auront jamais été clairement exposés et débattus.
À entendre les « modernes », ces considérations relatives au riche patrimoine culturel de notre pays sont de peu de poids au regard de la nécessité de réduire les émissions de CO2. Bien évidemment, il faut les réduire, mais ne nous trompons pas de cible : en France, les éoliennes n’ont aucun rôle significatif à jouer dans ce combat, et c’est autrement qu’il faut agir. En France, en effet, la part de notre électricité issue de sources fossiles est déjà très faible (sans doute de 3 % à 4 % l’an prochain) et ne peut tomber plus bas, compte tenu de la nécessité de compenser l’extrême irrégularité de la production éolienne. L’implantation de nouvelles éoliennes, loin d’abaisser encore cette proportion, ne pourrait que la relever. Compte tenu en effet de l’intermittence du vent, ces machines ne fonctionnent en moyenne, sur l’année, qu’à 24 % de leur puissance (les 76 % restants correspondant aux arrêts et aux ralentis). Pour assurer aux consommateurs une alimentation relativement régulière, les éoliennes doivent nécessairement être couplées avec des turbines à gaz, qui émettent du CO2… Le diable, décidément, se niche partout !
Le vrai motif du développement éolien est en réalité de compenser la baisse de la production nucléaire d’électricité, dès lors que l’objectif politique constant, de Hollande à Macron, est de faire passer celle-ci de 75 % de la production totale à 50 % d’ici à 2025, objectif clairement indiqué dans la loi de transition énergétique votée en 2015.
Mais ce qui reste méconnu de l’opinion publique, c’est le coût réel d’un tel choix. L’investissement nucléaire, réalisé dans les années 1970, est largement amorti. Comme le montre notamment l’exemple des États-Unis, la vie des centrales peut être prolongée d’une vingtaine d’années, voire davantage, par des travaux dits « de grand carénage », nécessaires pour renforcer encore la sécurité. Si l’on renonce à cette prolongation pour un tiers des outils existants, en leur substituant, comme l’indique la loi sur la transition énergétique de 2015, des installations éoliennes et accessoirement photovoltaïques, cela coûtera, en termes d’investissement, un surplus de 93 milliards d’euros (estimation par un groupe d’experts indépendants sur la base de celle de la Cour des comptes).
Encore ce chiffrage laisse-t-il de côté un élément fort important : dans le cas des centrales actuelles, le réseau de transport du courant est en place, tandis que pour desservir les 17 000 grandes éoliennes supplémentaires qui résulteraient de l’application de la loi sur la transition énergétique, il serait nécessaire de déployer de nouvelles lignes à haute tension dans tout le pays, avec le cumul d’inconvénients que l’on connaît, paysagers, sanitaires, financiers.
À qui appartiendrait-il de supporter cet énorme surcoût ? Comme d’habitude, à chaque consommateur final d’électricité, c’est-à-dire chacun d’entre nous, par le biais, d’une part, de la CSPE qui figure au bas de nos factures d’électricité et augmente sans cesse, d’autre part, de prélèvements nouveaux, déjà décidés, sur tous les combustibles et carburants. Le président Emmanuel Macron a annoncé un doublement du nombre des éoliennes durant son quinquennat. En pratique, cet objectif est déjà atteint, du fait des implantations décidées avant son élection, qui seront mises en service d’ici à 2022. Il s’agit donc de « coups partis », dont les consommateurs ne pourront malheureusement pas éviter de faire les frais. Le véritable enjeu, ce sont les engins supplémentaires que l’on voudrait décider à partir de maintenant, d’une grande hauteur, et en très grand nombre, pour une mise en service après 2022. C’est ce gigantesque gaspillage aujourd’hui programmé qu’il faut absolument éviter.
Au lieu d’affecter des dizaines de milliards d’euros à ces milliers d’éoliennes, la France aurait tout intérêt à consacrer cet argent au financement de vrais projets de réduction des rejets de CO2, tels que l’isolation des bâtiments, la promotion de la voiture électrique ou hybride, la promotion, à l’exemple de pays d’Asie, des scooters électriques et la recherche-développement dans d’autres secteurs d’énergies renouvelables comme la filière bois, la biomasse industrielle, la récupération de la chaleur des eaux usées… La taxe carbone, aujourd’hui à l’étude, aurait l’avantage de frapper le CO2 là où il est effectivement dégagé, notamment dans les transports et le chauffage des bâtiments, plutôt que de continuer à le chercher dans la production d’électricité, alors qu’il n’y est plus que de manière résiduelle. Les prochains mois seront sans doute décisifs. Allons-nous amplifier le gâchis éolien actuel, par habitude, par idéologie et/ou par prévarication, ou bien serons-nous capables de mener un combat courageux, efficace et technologiquement d’avant-garde contre la dégradation du climat ?
Désormais il faut choisir, la France n’ayant pas les moyens de faire les deux à la fois.
Denis de Kergorlay
Président exécutif d’ Europa Nostra, la fédération européenne des associations de protection et de mise en valeur du patrimoine culturel.
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