Réponse à Christian Egal dans les Echos sur les coûts de l’énergie


 nikopol92
 août 21, 2017

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Énergie : attention à ne pas trébucher sur l'échelle des coûts
https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-172818-energie-attention-a-ne-pas-trebucher-sur-lechelle-des-couts-2107800.php
Christian Egal, le 15/08/2017

Réponse de Jean Fluchère le 18-08-2017
En marge de l’article du 11 août sur les énergies renouvelables, une échelle des coûts des énergies était présentée. Mais à comparer ce qui n’est pas comparable, cette échelle est trompeuse. Une analyse plus précise peut réserver des surprises.
Comparer des MWh disponibles quand il fait du vent ou qu’il y a du soleil et des MWh disponibles quand les clients en ont besoin n’a aucun sens. Il faut comparer uniquement des MWH disponibles quand les clients en ont besoin ce qui signifie que les MWh solaires ou éoliens doivent incorporer soit un coût de stockage soit un coût de soutien par un moyen de production pilotable. C’est-à-dire pendant le même temps qu’une machine pilotable, soit 80 % du temps.


Le développement des énergies renouvelables révolutionne le monde de l’énergie depuis quelques années. Les subventions apportées par les pouvoirs publics pour stimuler leur développement lorsqu’elles étaient encore balbutiantes et chères ont permis leur expansion et leur dissémination partout dans le monde. Aujourd’hui, grâce à ces politiques volontaristes, le solaire et l’éolien sont dans beaucoup de pays compétitifs par rapport aux énergies traditionnelles.

Les pouvoirs publics n’ont apporté aucune subvention ce qui aurait été le moyen le plus juste de participer au décollage de ces énergies aléatoires. Mais il y a fort à parier que le Parlement qui depuis 15 ans aurait vu ces dépenses enfler dans le budget de l’Etat, y aurait mis un terme.
Les Pouvoirs Publics ont fait bien mieux, ils ont fixé des tarifs d’achat dont la partie supérieure au prix du marché était payée par les consommateurs d’électricité au travers de la taxe dite de Contribution au Service Public de l’Électricité (près de 7 milliards d’€ pour 2018) et ont imposé à l’acheteur obligé, EDF ou les ELD (Entreprises locales de distribution) de donner la priorité à ces MWh fort chers par rapport à des MWh bien moins onéreux. Dans l’UE, 50 000 MW de puissance installée en turbines à gaz se sont ainsi retrouvés complétement déficitaires et ces machines ont été retirées de l’exploitation au titre des investissements échoués c’est-à-dire un énorme gaspillage.
En France, les règles viennent de changer puisque normalement les opérateurs d’énergies renouvelables aléatoires doivent vendre au prix du marché tout en recevant un complément de rémunération fixé de telle sorte qu’ils vont percevoir plus d’argent qu’avant, argent toujours prélevé sur les consommateurs d’électricité.


L’exercice est toujours tentant de comparer ainsi le prix des énergies. Mais il est difficile, et un minimum de précautions est à prendre. Car de même que prendre une photo d’objet en mouvement peut produire du flou, on ne peut parler du prix du solaire et de l’éolien sans préciser où, quand et comment sont produites ces énergies.
Accordons-nous pour parler des prix des énergies produites par des équipements dont la construction est lancée aujourd’hui, et en France. Pour cela, reposons-nous sur les résultats des appels d’offres qui sont maintenant devenus la règle pour faire jouer au maximum la concurrence.
Comment Monsieur Egal explique-t-il que l’électricité en Allemagne coûte deux fois plus cher qu’en France alors que le taux d’éolien et de photovoltaïque y est bien supérieur ? De l’électricité renouvelable intermittente moins chère fait augmenter le prix aux clients finals ! Il y a un mystère que Monsieur Egal ne nous a pas dévoilé !

Le solaire photovoltaïque au sol se situe autour de 65 EUR par MWh (résultat des appels d’offres organisés par la Commission de Régulation de l’Énergie cette année). Il ne cesse de baisser (on a vu l’an dernier des centrales annoncées à moins de 25 EUR/MWh au Moyen-Orient où l’ensoleillement est très supérieur à celui de la France).
Le solaire photovoltaïque a un prix qui ressort effectivement à 65 €/MWh QUAND IL Y A DU SOLEIL. Si on veut le chiffrer comme une source permanente soutenue par un dispositif de cycle combiné à gaz.
La valeur de puissance crête est atteinte 1000 heures par an. Si l’on veut une disponibilité égale à 80 % du temps comme pour une tranche thermique ou nucléaire, il faut que le dispositif de soutien intervienne à la même puissance pendant 6000 heures. Le coût du MWh d’un CCG est de 108 € [1]
Ceci va donner un coût pondéré de :
65 X 1000 + 108 X 6000/7 000 = 158 €/MWh.
Bien entendu, ce MWh photovoltaïque peut être soutenu par des moyens moins onéreux que le coût de production d’un cycle combiné à gaz et le coût ci-dessus est une borne supérieure mais est la borne à prendre en compte si, comme le souhaite Monsieur Egal, ce sont les EnR intermittentes qui représentent l’essentiel de la consommation.
Ajoutons aussi qu’il n’y a plus une seule usine de fabrication de panneaux photovoltaïques en Europe et qu’ils sont tous importés de Chine, creusant un peu plus notre déficit de la balance commerciale, qui n’en demande pas tant, et détruisant des emplois de haut niveau de qualification en France à ajouter à la cohorte des chômeurs.
Enfin, l’ EPR est prévu pour une durée d’exploitation de 60 ans et plus alors que les panneaux ont une durée de vie de 20 ans et l’électronique de l’onduleur, 10 ans. Il faudra faire 6 fois l’investissement de l’onduleur et 3 fois l’investissement des panneaux pour une fois l’investissement de l’ EPR.
Ce sont ces chiffres qu’il faut comparer et non ceux que Monsieur Egal annonce.


L’éolien terrestre se situe autour de 75 EUR/MWh, mais de prochains appels d’offres devraient révéler des prix encore inférieurs.
Actuellement, il est payé 82 €/MWh avec des prix revus à la hausse chaque année, ce qui fait que le prix moyen payé aux opérateurs est supérieur à 90 €/MWh. Il est peu probable que le coût du MW électrique installé baisse en raison de la sur-immobilisation de cuivre de la génératrice éolienne par rapport à une machine hydraulique de même puissance au fil de l’eau.
En faisant le même calcul que pour le photovoltaïque, c’est-à-dire en soutenant l’éolien terrestre dont le facteur de charge est de 23 %/an par un cycle combiné à gaz qui va être utilisé pendant 57 % du temps, le prix réel du MWh est alors de :
23 X 75 + 57 X 108 /80 = 99 €/MWh pour l’éolien terrestre.
Là aussi, la durée d’exploitation prévue est de 20 ans et la France importe toutes ses éoliennes, y compris de Chine.


L’éolien en mer est plus pernicieux. Les appels d’offres lancés par le gouvernement français en 2012 ont attribué des prix entre 150 et 200 EUR/MWh pour des parcs qui ne seront mis en services qu’en 2021 ou au-delà. Entretemps, le Danemark, les Pays-Bas, l’Allemagne ont attribué des tarifs entre 80 et 100 EUR/MWh pour des parcs qui seront peut-être en service avant les parcs français. On peut donc attendre des appels d’offres en cours sur le projet de Dunkerque qu’il situe les prix dans cette fourchette.
Les prix de l’éolien off-shore français sont très élevés tout simplement parce que les côtes françaises ne présentent pas de plateaux peu profonds, comme au Danemark, en Hollande ou en Allemagne du Nord, d’où soit des installations flottantes, soit des installations ancrées à grande profondeur. Le facteur de charge annoncé est de 35 %
Le prix de l’éolien off-shore garanti est alors de :
35 X 200 + 45 X 108 /80 = 148 €/MWh
Là aussi la durée d’exploitation prévue est de 20 ans (ce qui reste à prouver en atmosphère marine) et toutes les machines sont importées.


Enfin, où en est-on du nucléaire ? Parler du coût du nucléaire existant n’a que peu de sens, car ces investissements réalisés dans les années 80-90 sont amortis, et ils ne sont pas construits aux normes qu’on exige aujourd’hui.
Sur ce point aussi, il y a un désaccord total, avec l’auteur de l’article.
L’électronucléaire actuel est en période de grand carénage, EDF y investit 1 Mds d’€ par tranche, pour faire une prolongation de durée d’exploitation de 10 ans et probablement de 20 ans. Une fois toutes ces modifications faites, y compris celles du Post-Fukushima, la sûreté de ces centrales se rapprochera de celle de l’ EPR, puisque telle est l’exigence de l’ ASN, et le coût du MWh sera de l’ordre de 50 à 55 € et n’aura jamais à supporter la taxe CO2. Contrairement aux installations à combustibles carbonés.


Pour comparer ce qui est comparable, regardons simplement le prix accordé par le Royaume-Uni à EDF pour la construction de la centrale d’ Hinkley Point : près de 110 EUR/MWh pour un ouvrage qui, s’il va à son terme et s’il coûte le prix annoncé, sera opérationnel en 2025 au mieux. Admettons cette réalité : le nucléaire coûte aujourd’hui beaucoup plus cher que toutes les énergies renouvelables.
Comment peut-on écrire pareille supercherie qui consiste à comparer du MWh garanti et du MWH qui ne l’est pas ? L’ EPR d’ Hinkley Point coûtera 110 €/MWh. Il n’aura pas à supporter de taxe CO2 qui sera bien plus élevée en 2025 et aura une durée d’exploitation de 60 à 80 ans.
Signalons qu’il s’agit d’un contrat aux différences, c’est-à-dire que si le prix du MWh sur le marché britannique est inférieur à 110 €, le gouvernement paiera la différence, en revanche si le prix du marché est supérieur à 110 €/MWh, c’est EDF Energy qui paiera la différence au gouvernement Anglais.


Mais à comparer des équipements qui mettent entre 1 an (parc photovoltaïque) et 10 ans (nouveau nucléaire) pour être construits, on mélange des choux et des carottes.Mais en comparant des équipements qui ont des durées d’exploitation entre 3 et 4 fois inférieures à celle de l’ EPR, on mélange des choux et des lapins !

Alors, projetons-nous donc à l’échéance 2025… et anticipons l’échelle des coûts de l’énergie à cette date : le solaire avec des panneaux qui ne coûteront presque plus rien, l’éolien terrestre avec des turbines toujours plus hautes et des pales plus grandes seront depuis longtemps à moins de 50 EUR voire 40, l’éolien offshore sera entre 60 et 80 EUR et le nouveau nucléaire restera à 110 EUR. À ce moment, les progrès que l’on voit déjà sur le prix et l’efficacité des batteries permettront aux énergies renouvelables d’assurer la presque totalité de nos besoins ;
Ce genre de prophétie relève du « demain on rasera gratis ». Si le prix des éoliennes ne baisse pas au MW électrique installé, c’est tout simplement parce qu’elles immobilisent autant de cuivre pour un facteur de charge de 23 %/ an qu’une machine hydraulique au fil de l’eau de même puissance avec un facteur de charge de 75 % par an et une durée d’exploitation de 60 ans.
Les batteries de soutien, dont l’auteur daigne enfin parler, n’existent toujours pas pour cette puissance là et cette énergie électrique emmagasinée. De plus la projection à 2025 est trop courte. En électricité, 2025 est déjà joué. Messieurs Volta et Galvani ont commencé leurs recherches sur les batteries au début du 19ème siècle. Et même si ces batteries existaient en 2025, le prix du stockage serait du même ordre de grandeur que celui des CCG. Donc le recours à des moyens thermiques pilotables sera toujours nécessaire.
L’auteur, s’il s’agit d’un électricien comme on peut le penser, aurait aussi pu parler du système électrique où il est impossible de faire du réglage de fréquence derrière des interfaces électroniques statiques et également de l’impossibilité d’avoir la puissance de court-circuit nécessaire pour démarrer les gros consommateurs. Seules les machines tournantes permettent de faire du réglage de fréquence et disposent de la puissance de court-circuit pour garantir le démarrage des grosses machines.


Cette échelle de coût est bien différente de celle proposée dans l’article du 11 août. Elle préfigure cependant de ce que seront les investissements énergétiques dans les années futures.
Pour mélanger les choux et les carottes, cet article est un modèle du genre. Ou bien l’auteur est de mauvaise foi ou bien il n’a pas suffisamment réfléchi avant d’écrire.


ANNEXE 1
Cycle combiné au gaz
Durée d’exploitation en années 25
Puissance unitaire 450 MW
Durée d’utilisation à la pleine puissance en heures 5000
Rendement moyen en % 57
Cours du gaz 3 €/MBtu en supposant qu’il n’augmente pas
Émissions de CO2 en kg/MWh 353
Coût de la tonne de CO2 émise 100 (En 2025, il sera beaucoup plus cher)
Charges fixes (amortissements, maintenance, taxes,   fonction centrale) 30 €/MWh
Charges Variables (exploitation, combustibles, fin de cycle, déconstruction) 50 €/MWh
Cout du CO2 28 €/MWh
Cout total du MWh 108 €/MWh


[1] Voir annexe 1
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