La liberté (de manifester) ne se divise pas

Régis de Castelnau
17/06/2016

Commentaire: Il est bon de revenir sur les fondamentaux. Explication de texte.
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Manif 2

Je ne me faisais aucune illusion sur le passage au pouvoir de François Hollande, et le pronostic d’Emmanuel Todd sur le hollandisme révolutionnaire m’avait fait ricaner. Pour qui connaissait un peu d’histoire récente du PS, la catastrophe était prévisible, mais l’antisarkozysme a aboli le sens critique et empêché de poser la véritable alternative de 2012 : garder un Sarkozy entravé par une opposition de gauche forte dans le pays, ou donner les clés à François Hollande et provoquer ainsi la destruction durable de son parti, préalable incontournable à la reconstruction d’une vraie gauche politique. C’est fait, l’imposture a volé en éclats, mais à quel prix. Finalement, je pourrais dire que j’en veux aux socialistes d’avoir fait ce que je savais qu’ils feraient.


Adieu la culture des libertés

Je dois cependant confesser une surprise, la disparition corps et bien de la culture des libertés publiques chez ces gens-là. Lorsque j’énonce cette proposition devant des représentants du camp du Bien, suffoqués par le blasphème, ils ouvrent des yeux ronds. Et pourtant…
La chasse au Sarkozy, outre qu’elle a donné lieu à une instrumentalisation de la justice à des fins politiques d’une intensité et d’un cynisme que je n’avais jamais vus, a permis la mise en place de jurisprudences qui ont jeté à bas des principes pourtant séculaires et intangibles du procès pénal. Le secret professionnel des avocats n’existe plus, des magistrats militants ont pu conduire, avec une partialité revendiquée, et faisant fi des textes, des procédures d’instruction dès lors qu’elles concernaient de près ou de loin l’ancien chef de l’État. Le tout avec la bienveillance des juridictions supérieures.

Des choses auxquelles on ne devrait pas toucher

La liberté d’expression, déjà trop encadrée par près de 400 textes répressifs, a subi de nouveaux assauts. Le conseil d’État, pourtant auparavant un sanctuaire protégeant les principes, a malheureusement donné quelques exemples d’une capacité à rendre des services plutôt que des arrêts. En revenant par exemple sur une jurisprudence vieille de 80 ans pour instaurer avec la décision « Dieudonné », à la probable demande du Premier ministre, un contrôle a priori sur la parole. Sur le plan des textes Il y a eu aussi la pérennisation de l’état d’urgence par plusieurs prolongations successives, dont on commence à douter que la lutte contre le terrorisme soit la motivation. Surtout lorsque l’on constate à la lecture du « projet de loi pénale » l’intention du gouvernement de couler dans le marbre de la loi ordinaire, les mesures exceptionnelles dont il vient de faire usage avec l’état d’urgence. On ajoutera pour faire bonne mesure la « loi renseignement » que tous les spécialistes s’accordent à qualifier de liberticide.
Je répète que ce fut pour moi une surprise, car dans les combats pour les libertés auxquels la profession d’avocat permet de participer, les amis socialistes ne nous avaient jamais manqué. C’est aujourd’hui fini, et le plus grave est que ces atteintes aux libertés ne sont même pas commises avec le cynisme de « la fin justifie les moyens » mais une totale inconscience qu’il y a des choses auxquelles on ne touche pas.

Menacer la CGT sous de faux prétextes

Le dernier avatar de cet état d’esprit est la menace proférée à la fois par le Président de la République et le Premier ministre d’interdire les manifestations organisées par la CGT pour protester contre la Loi Travail. Et allez donc, une liberté publique fondamentale protégée par la constitution, deux dirigeants socialistes de l’État les balayent d’un revers de main. Et sous de faux prétextes. «Plus d’autorisation de manifester si les biens et les personnes sont menacés » nous dit François Hollande, «Quand on n’est pas capable d’assurer la sécurité, qu’on se laisse déborder par 700 à 800 casseurs, on n’organise pas de telles manifestations qui peuvent dégénérer » répond Manuel Valls.
Tout est scandaleux dans leurs déclarations, car c’est à l’État qu’il appartient de faire respecter l’ordre public, et utiliser sa propre carence, que je pense volontaire, à accomplir sa mission pour menacer de violer une liberté fondamentale, il fallait oser.
Mais il y a la violence, me dira-t-on. Eh bien, justement, la violence parlons-en. Je n’ai jamais adhéré au folklore français antiflic, même si j’ai fredonné « Le marché de Brive-la-Gaillarde ». Je suis d’accord avec Pasolini qui préférait les fils de prolétaires dans la police aux petits bourgeois gauchistes. Prétendre aujourd’hui la « police assassine » est simplement un mensonge. La mort de Rémi Fraisse est désolante mais ce n’est pas un meurtre avec préméditation. Et de toute façon, les forces de l’ordre font ce qu’on leur demande.

Les casseurs alliés du pouvoir

Depuis mai 68, je sais aussi que les gauchistes violents sont les alliés du pouvoir en place, et que souvent manipulés, leur rôle n’est que de dévoyer le mouvement populaire et justifier la répression. Il se trouve que j’ai vécu un épisode cuisant des luttes ouvrières dans notre pays, il y a déjà malheureusement un bon moment. Sur injonction de l’Europe, le démantèlement de la sidérurgie française avait commencé, provoquant une forte mobilisation populaire, notamment en Lorraine et dans la ville de Longwy. Une grande manifestation avait été organisée par la CGT à Paris le 23 mars 1979. Des groupes soi-disant incontrôlés avaient débordé les services d’ordres syndicaux, et s’étaient livrés à un saccage en grand sur le parcours. Tous les témoins dignes de foi furent surpris par l’efficacité des casseurs et l’étrange passivité des forces de l’ordre. La droite au pouvoir saisit évidemment l’occasion pour tenter de disqualifier un mouvement populaire dans le pays. Notons que ni Valéry Giscard d’Estaing Président de la République, ni Raymond Barre Premier ministre ne menacèrent d’interdire les manifestations. Il y eut également des suites judiciaires, puisque des dizaines de jeunes gens arrêtés par les forces de l’ordre furent déférés en flagrant délit pour se voir condamnés de manière expéditive à des peines de prison ferme considérables. Il fallut se mobiliser et assurer leur défense dans des conditions très difficiles. Je peux témoigner encore aujourd’hui de trois choses : d’abord les personnes arrêtées étudiants et curieux n’étaient pour rien dans les saccages et en aucun cas des casseurs. Ensuite, les dossiers étaient étonnamment vides ne reposant que sur les témoignages policiers fabriqués. Enfin les magistrats qui officiaient, butés et hostiles étaient manifestement en service commandé. Le double objectif de cette opération sautait aux yeux, déconsidérer le mouvement et intimider par la violence de la répression.
Avec Daniel Voguet et François Salvaing, et l’aide de la CGT, nous avons alors réalisé une enquête approfondie sur ce qui s’était passé. Cela fit l’objet d’un livre intitulé justement : La provocation. Craignant qu’il n’ait pas bien vieilli je n’en recommande pas nécessairement la lecture aujourd’hui, mais je réitère la conclusion : la décision de dévoyer la lutte des sidérurgistes, en utilisant cyniquement des groupes de casseurs manipulés par la police, fut prise et organisée au plus haut niveau.

Favoriser le désordre

Aussi, depuis le début du mouvement contre la Loi Travail, je n’ai été ni dépaysé ni surpris par le spectacle abondamment filmé, relayé et commenté, des casseurs à l’œuvre. Mais vite interpellé par leur niveau d’organisation, et l’absence de vergogne de ceux qui savent qu’ils ne risquent rien. Et aussi par l’attitude des forces de l’ordre. Il apparaît maintenant grâce aux témoignages, aux déclarations de syndicalistes policiers, grâce aussi à tous les films qui circulent, que l’utilisation de la police n’a eu qu’un objectif : favoriser le désordre. Par la pratique des nasses, la segmentation des cortèges, les charges intempestives, en laissant les compagnies en prendre plein la tête pendant des heures avec interdiction de bouger pour les lâcher exaspérées au plus mauvais moment, et surtout avec l’incroyable inefficacité vis-à-vis de ces groupes de casseurs parfaitement identifiables. Alors comme ça, en plein état d’urgence, sous la menace terroriste, on n’est pas capable d’identifier ceux qui composent ces groupes, pas capable de les bloquer, de les isoler, de les arrêter ? Il faudrait éviter de se moquer du monde monsieur Cazeneuve. Et que dire de l’attitude des médias David Pujadas entête? En dernier lieu l’exploitation de la dégradation de l’hôpital Necker a pris une tournure hystérique, empêchant les médias, plus occupés à relayer les réactions de quelques excités, de nous expliquer sérieusement ce qui s’était passé. Pour dramatiser encore, le ministre de l’Intérieur est allé jusqu’à violer le secret médical et s’est dispensé d’une prudence élémentaire en faisant savoir que l’orphelin des deux policiers assassinés y était hospitalisé.
Toutes les études et les sondages démontrent que la Loi Travail suscite une forte opposition, d’ailleurs probablement majoritaire. Empêtré dans ses rodomontades et ses postures, Manuel Valls veut passer en force. La Constitution permet avec l’article 49–3 de se dispenser du débat parlementaire et de demander leur avis aux représentants de la Nation. Pourquoi pas, les textes le permettent et il faut plutôt faire porter la responsabilité de l’absence de délibération, à l’inconsistance politique et la pleutrerie des soi-disant frondeurs.
En revanche, que penser d’un François Hollande qui tente aujourd’hui d’interdire par des méthodes inavouables la légitime expression des citoyens ? Simplement qu’un Président de la République qui se prétendait« socialiste » porte atteinte sans aucun état d’âme à une liberté fondamentale dont il est pourtant le gardien..

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