par Pascal de Rauglaudre
Photo: Alexis Plademunt
Pour la plupart d’entre nous, nucléaire et écologie restent deux termes antinomiques. Certains, pourtant, les concilient au nom d’un calcul économique rationnel face aux “énergies utopiques”. Explications.
On les connait peu et pourtant nombre de « verts pronucléaires », revenus de l’écologie anti-atome, font leur « coming out!».
Il faut les entendre car le débat pro ou anti-atome n’est plus rationnel mais quasi religieux.
D’autant plus que les énergies nouvelles sont loin de pouvoir remplacer les énergies fossiles.
Peut-on être à la fois écologiste et favorable à l’énergie nucléaire ? Voilà deux attitudes apparemment incompatibles, tant l’opposition au nucléaire, militaire puis civil, structure toute l’écologie politique depuis les années 1960. Pourtant, au regard de certains écologistes engagés, le nucléaire est une source d’énergie tout à fait acceptable.
Bruno Comby s’est bâti une maison écologique modèle, « aussi étanche qu’un sous-marin », avec pompe à chaleur, puits canadien et panneaux solaires. Il se nourrit des légumes bio de son jardin. Il est l’auteur de « Délicieux insectes » (Jouvence, 1990), apologie du régime à base d’insectes, source inépuisable de protéines. Il a aussi écrit « Le Nucléaire, avenir de l’écologie ? » (F.-X. de Guibert, 1998). Il y condamne sans réserve la bombe atomique, « indigne de l’humanité », mais défend le nucléaire civil, « l’énergie du futur », seule capable de satisfaire l’augmentation des besoins énergétiques au XXIe siècle. Il soutient qu’il n’y a aucune raison de se méfier de la radioactivité, phénomène naturel, quand elle est appréhendée avec précaution. Quand son livre est sorti, Comby a été mis au ban des milieux alternatifs qu’il fréquentait jusqu’alors.
Pour donner plus de crédit à son engagement, il a fondé en 1996 l’Association des écologistes pour le nucléaire (AEPN), qui réunit aujourd’hui environ 10 000 membres, écologistes patentés, de tous les pays du monde. Parmi eux, Patrick Moore, l’un des fondateurs historiques de Greenpeace en 1971. En 1985, il naviguait en Nouvelle-Zélande à bord du navire Rainbow Warrior, juste avant que les services secrets français ne le sabordent. Un an après, il quittait Greenpeace, en désaccord avec son évolution et ses méthodes.
L’AEPN reçoit aussi le soutien de l’un des pères de l’écologie moderne : James Lovelock, qui a préfacé le livre de Bruno Comby. Ce vénérable écologiste anglais, âgé de 91 ans, est connu dans le monde entier pour avoir formulé « l’hypothèse Gaïa » dans les années 1970 : la Terre fonctionnerait comme un gigantesque organisme vivant, capable de s’autoréguler pour maintenir les conditions propices à la vie. Longtemps opposé au développement du nucléaire, il défend aujourd’hui son utilisation, « seule solution économiquement acceptable » contre l’effet de serre. Dans son dernier ouvrage, « La Revanche de Gaïa » (Flammarion, 2007), il écarte l’énergie éolienne et les biocarburants, inefficaces et coûteux, car il n’est plus temps d’expérimenter des « énergies utopiques ». En danger imminent, la civilisation ne doit plus hésiter à recourir à la technologie nucléaire, sous peine de « subir les foudres de Gaïa outragée ».
Le charbon tue aussi
Mais le nucléaire n’est-il pas fondamentalement dangereux pour notre santé ? « Ça dépend », répond Jean-Marc Jancovici, provocateur « Il l’est beaucoup moins que d’autres énergies. Le charbon tue chaque année plusieurs milliers de personnes dans les mines ; le pétrole et le gaz aussi, dans les explosions de raffineries, d’oléoducs et d’immeubles». Et de citer un rapport publié en 2007 par la Commission européenne selon lequel l’énergie nucléaire est la plus sûre par unité d’énergie produite.
Ses détracteurs eux-mêmes en conviennent : Jean-Marc Jancovici, ingénieur polytechnicien, est l’un des meilleurs spécialistes français du changement climatique et du pic pétrolier. Il leur a consacré plusieurs ouvrages de vulgarisation et son site Internet fourmille d’analyses scientifiques pointues (www.manicore.com). Lui-même s’efforce d’adopter un mode de vie plus respectueux de l’environnement. Pour ses déplacements, il a par exemple renoncé à l’avion, trop émetteur de gaz à effet de serre.
Pour éviter le réchauffement climatique et anticiper l’épuisement des hydrocarbures, les deux menaces les plus graves pour l’avenir de la civilisation, la première chose à faire, selon lui, serait d’économiser l’énergie. Mais nous n’en prenons pas le chemin. Le nucléaire s’impose donc comme une évidence. « C’est une question d’arithmétique », dit-il. « Les énergies fossiles couvrent aujourd’hui 80 % des besoins énergétiques de l’humanité. Quand elles seront épuisées, par quoi seront-elles remplacées ? Le nucléaire doit figurer dans le bouquet d’énergies qui prendront la suite du pétrole et du gaz. »
Parmi les très nombreux griefs faits au nucléaire par les défenseurs de l’environnement, le traitement des déchets est l’un des plus récurrents. Le philosophe écologiste Michel Serres, qui a tant écrit sur la nécessité de « léguer aux générations futures un monde où l’harmonie entre l’homme et les choses sera préservée », ne s’en inquiète pas. « Nous aurons l’ingéniosité de trouver des solutions », se rassure-t-il. « Les autres industries produisent des déchets bien plus dangereux et on n’en fait pas toute une histoire ! » Un argument que Jean-Marc Jancovici décline en chiffres, en rapportant les déchets nucléaires à la totalité de la production de déchets des Français : « Chaque année, nous confinons 200 tonnes de déchets nucléaires, qui tiendraient dans 4 ou 5 voitures. Dans le même temps, nous dispersons dans la nature 100 000 tonnes de pesticides de synthèse nocifs et aux effets sur l’environnement autrement plus graves. Sans compter les millions de tonnes de déchets ménagers et industriels, dont beaucoup hautement toxiques ». Bruno Comby rappelle que les déchets nucléaires n’explosent pas et ne se déplacent pas : Une rupture éventuelle de leur confinement ne pose de problèmes que localement.
La radioactivité ne reste-t-elle pas dangereuse pendant des siècles ? « Le stockage des déchets radioactifs à long terme peut être effectué, en principe, dans de bonnes conditions de sécurité. » C’est ce qu’écrit en 2009 George Monbiot, grande figure de l’écologie radicale anglaise et longtemps pourfendeur de l’énergie nucléaire, dans un éditorial du quotidien anglais « The Guardian ». Un rapport de l’autorité finlandaise des déchets radioactifs, paru en 2002, l’en a convaincu. Le déchet est confiné dans de la fonte, enveloppé dans du cuivre puis déposé dans un puits rempli de bentonite. Dans ces conditions, la barrière de cuivre tiendrait au moins un million d’années. Sa méfiance vis-à-vis de l’atome n’a pas pour autant diminué, insiste-t-il, mais le nucléaire devient un moindre mal en comparaison de la menace climatique. Il pose quatre conditions à la poursuite d’un programme nucléaire : Prise en compte de la totalité des émissions de gaz à effet de serre, depuis l’extraction de l’uranium jusqu’à la gestion des déchets ; connaissance exacte des sites de stockage ; transparence sur les coûts ; garanties que le nucléaire civil ne servira pas au militaire.
Un écologisme suspect
Ces écologistes favorables au nucléaire se défendent d’être liés d’une manière ou d’une autre aux lobbys industriels. Diplômé en génie nucléaire, Bruno Comby est entré à EDF à la fin de ses études, mais il en a démissionné dix mois après pour se consacrer à l’écriture de livres sur les modes de vie écologiques. Jean-Marc Jancovici prend soin d’avertir sur son site qu’il n’a rien à voir de près ou de loin avec Areva, EDF, ni toute autre entreprise du secteur. Et il ne viendrait à l’idée de personne de reprocher à James Lovelock ou à George Monbiot d’avoir un quelconque intérêt dans l’industrie nucléaire.
Pourtant, aux yeux des écologistes traditionnels, ils restent suspects. « En relançant la construction de nouveaux réacteurs, la France passe à côté de la révolution des énergies renouvelables », s’enflamme Corinne Lepage, députée du Modem au Parlement européen et membre du Conseil éditorial de CLES. « C’est une erreur historique majeure ». Elle conteste les estimations financières de l’Agence internationale de l’énergie, qui minimiseraient le coût réel de la relance du programme nucléaire, tout comme celui du démantèlement des centrales existantes.
Avec la même conviction, Yves Marignac, directeur de Wise-Paris, service d’études et d’information sur l’énergie, récuse l’idée que le stockage des déchets nucléaires serait une affaire réglée. Et le nucléaire ne renforce pas l’indépendance énergétique de la France, il l’aggrave, puisque comme pour le pétrole, la France dépend à 100 % de l’extérieur pour ses approvisionnements en combustible nucléaire. Démontant lui aussi le mythe de l’auto-suffisance énergétique par le nucléaire, Yves Cochet, député des Verts à l’Assemblée nationale, avance un autre argument : Les nouvelles centrales en projet entreraient en fonction bien après le déclin des hydrocarbures. À quoi bon gaspiller du temps et de l’argent dans leur construction ? La seule solution réaliste, ce sont les économies d’énergie : « À investissement égal, la sobriété énergétique et les filières d’électricité renouvelable font mieux que le nucléaire, de beaucoup. »
Les positions paraissent inconciliables, et la question du nucléaire continue de déclencher les passions. Pour sélectionner leurs candidats aux élections, les militants des mouvements écologistes évaluent leur détermination à « sortir du nucléaire ». La réponse d’Eva Joly, candidate pressentie d’Europe Écologie à l’élection présidentielle de 2012, les a sidérés : « Nous allons promouvoir beaucoup d’énergies alternatives, éoliennes, photovoltaïques. Nous maintiendrons les centrales nucléaires existantes et puis nous verrons ».
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