France, électricité : où comment le "bon" temps pour le Français d'une électricité abondante, pas chère et décarbonée, est bien fini...II

Grâce à son remarquable travail explicatif, François Dos Santos nous permet, à nous béotiens - citoyens - consommateurs, de bien saisir la nouvelle organisation du futur de la production électrique et de sa tarification. Et invariablement, c'est le grand saut ; nous allons raquer et pas qu'un peu...
"Le projet vise à exposer davantage le consommateur au prix de marché et mettre l’intégralité de la production sur le marché de gros, améliorant sa liquidité.[...] Ainsi, le consommateur va être tendanciellement soumis au prix de marché sans dispositif de protection."

Passionnant vraiment.

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François Dos Santos


Q4 : Vous parait-il opportun au regard des objectifs poursuivis que la stabilité recherchée avec cette régulation maintienne sur le productible nucléaire une exposition partielle au prix de marché, et le cas échéant quel serait l’amplitude pertinente pour le corridor en €/MWh ?
En tenant compte des réserves émises précédemment, le modèle proposé expose sur le long terme les consommateurs aux prix de marché. L’objectif de stabilité n’est donc pas atteint à long terme, en particulier car l’on ne peut pas préjuger des évolutions des prix de marché.
De plus, le niveau du corridor reste à ce stade inconnu. Le risque que le prix de marché soit significativement en dessous du plancher n’est pas à exclure. La détermination du corridor devrait tenir compte avant tout du coût économique des centrales nucléaires, incluant un loyer économique depuis leur mise en service afin de rémunérer le capital initialement investi, permettant ainsi de mettre fin au défaut historique du dispositif ARENH.
Le plancher du corridor devrait donc en toute logique se rapprocher le plus possible du coût courant économique, qui est de l’ordre de 50€/MWh avec une amplitude la plus restreinte possible pour ne pas générer une sous-rémunération de l’investissement d’EDF. Et ainsi éviter d’altérer sa capacité à investir à l’avenir.
Le choix d’un prix fixe et non d’un corridor, permettant d’assurer la juste rémunération d’EDF n’est pas argumenté par le document de consultation, ce qui ne manque pas d’interroger. Ce prix fixe aurait d’ailleurs l’intérêt de protéger encore davantage le consommateur final par une stabilité des prix d’une année sur l’autre, d’autant plus qu’il va déjà être pénalisé par la diminution du ruban disponible au fil du temps.
A ce stade, rien ne permet d’affirmer que la formule du « corridor » est pertinente, au regard du document de consultation.

Q5 : Un mécanisme reposant sur des règlements financiers parallèles à la cession des volumes sur les marchés tel que présenté ci-dessus vous paraît-il plus pertinent qu’un dispositif d’allocation physique?
En tenant compte des réserves émises dans les Q1 à 4, le propos tenu à la page 10, visant à permettre le « couplage des marchés » est une critique historique faite au dispositif ARENH. L’on comprend donc aisément pourquoi les transactions se feront à prix de marché et que les remboursements liés au plancher et plafond se feront a posteriori. La production nucléaire d’EDF ne serait donc plus mise à disposition des seuls consommateurs français, qui sont pourtant le prétexte de tout le dispositif, via un système de guichet hors-marché mais au profit de l’ensemble du marché européen ce qui est une revendication historique de la Commission Européenne que l’Etat est en train de satisfaire.
Bien qu’ils ne bénéficient pas du corridor, les acteurs européens auront accès au nucléaire français à des niveaux significativement plus élevés qu’aujourd’hui, sans pour autant garantir la bonne rémunération du capital investi par EDF.
Un dispositif d’allocation physique permettrait de garantir que les volumes d’électricité nucléaire et leur compétitivité bénéficierait en priorité aux consommateurs français. Ce qui serait cohérent avec les objectifs affichés par le Ministère.


Q6 : Dès lors que la régulation économique devrait garantir au-delà de 2025 la protection des consommateurs contre des hausses de prix qui seraient déconnectées de la réalité physique de l’approvisionnement électrique français en les faisant bénéficier de l’atout lié à l’investissement consenti dans le parc nucléaire existant, tout en donnant la capacité financière à EDF d’assurer l’exploitation et la maintenance de l’outil de production même dans des scénarios de prix bas, quelles autres dispositifs vous paraîtraient adaptés pour assurer cette double protection ?

Il est à ce stade inexact d’affirmer que la protection des consommateurs serait assurée, pour deux raisons :

  • Elle dépend du positionnement et de l’amplitude du corridor. 
  • Aucun dispositif n’est prévu pour garantir que la rente nucléaire reversée par EDF à ses concurrents sera bien rétrocédée au consommateur final.
Ce dernier point est essentiel. Aujourd’hui, l’ensemble des consommateurs finaux bénéficie du prix bas de l’ ARENH uniquement parce que les concurrents d’EDF alignent leurs offres sur celles de l’opérateur historique – tarifs réglementés pour les petits consommateurs et offres de marché calées sur l’ ARENH pour les gros. Or, le projet présenté par le gouvernement a justement pour finalité de priver EDF de sa base commerciale, en séparant la production et la fourniture, et en subventionnant les fournisseurs concurrents. A long terme, les pertes de parts de marché d’EDF auront un effet prévisible : les offres d’EDF ne seront plus la référence du marché, sur laquelle les concurrents alignent leurs prix. Ce processus sera en outre favorisé par la diversification croissante des offres, qui va atténuer la comparabilité des prix : électricité « verte », tarifs de plus en plus horo-saisonnalisés à la faveur du déploiement de Linky, fourniture d’énergie associée à des services, gestion de l’énergie … .
De plus, le consommateur français est exclu partiellement du bénéfice du nucléaire existant puisqu’une partie des volumes sera exportée via le couplage des bourses d’électricité, conformément à ce qui est indiqué aux pages 10 et 11 du document de consultation.
D’ailleurs, rien ne permet d’établir que le modèle proposé permettrait de donner à EDF la capacité d’assurer l’exploitation et la maintenance de l’outil de production. Ce dernier point dépend essentiellement du positionnement et de l’amplitude du corridor. Le projet vise d’ailleurs à priver EDF de sa base clients à partir de la filialisation des activités commerciales, la privant d’un atout commercial majeur. Enfin, rien ne permet d’affirmer qu’EDF serait en capacité de gérer le renouvellement du parc nucléaire à terme, puisqu’aucune ressource financière n’est garantie par le dispositif en l’état.

La libéralisation du marché de l’électricité a été une grossière erreur, soutenue par plusieurs gouvernements successifs et personne aujourd’hui ne semble dispose à en faire le bilan avant de poursuivre un tel processus.
Dans ce contexte, si elles ne semblent pas souhaitable a priori, d’autres solutions moins pénalisantes que le « corridor » sont envisageables pour, non pas priver EDF de son parc de production, mais procéder à un partage des risques équitable avec les concurrents d’EDF qui souhaiteraient s’implanter en France :
- Le maintien de l’ ARENH à hauteur de 100 TWh en réévaluant son prix tout en affichant auprès des fournisseurs alternatifs une extinction progressive sur 10 ans afin de les engager à construire leurs propres moyens de production ou conclure des partenariats long terme avec les producteurs existants.
- La mise en place d’un « ticket d’entrée », une somme d’argent à verser afin d’avoir un droit d’accès au corridor. Cela apporte une recette immédiate à EDF pour financer son projet industriel de long terme et procède à un partage équitable des risques.
- La mise en place de contrats de long terme par un co-investissement sur les centrales futures : versement d’une quote-part des OPEX et CAPEX annuellement en contrepartie d’un droit en une fraction de la production issue de la centrale à l’image des contrats d’allocation de production conclus avec ENBW, Electrabel, Luminus sur le parc historique.

En définitive, la meilleure solution consisterait en l’abandon pur et simple de l’ouverture à la concurrence sur le marché de l’électricité français, conduisant à des désoptimisations importantes, filialisations d’Enedis et RTE, des coûts de transaction significatifs, et empêchant l’investissement et la planification de long terme. L’opérateur public pourrait être l’acheteur unique de l’électricité non détenue par EDF aujourd’hui, notamment les ENR. Les surplus d’électricité pouvant être mis en bourse à destination de nos partenaires européens.

Conclusion
Le dispositif soumis à consultation semble une nouvelle « rustine » sur le marché de l’électricité et n’est vraisemblablement pas durable en raison de la fermeture progressive du parc nucléaire historique, soit par application de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), soit en raison de l’arrivée en fin de vie de composants qui ne pourraient y être remplacés.
Le besoin de réguler les errements de la bourse de l’électricité est un objectif qui peut être allègrement partagé. Toutefois, il masque des intentions moins louables qui ne sont pas d’intérêt public.
Dans le modèle proposé, les prix de l’électricité augmenteront tendanciellement au fur et à mesure de l’extinction des actifs nucléaires, car les consommateurs seront progressivement soumis au prix de marché sur la totalité de leur consommation. Il ne s’agit donc pas d’une proposition de long terme.
Le secteur de l’électricité subit une libéralisation à marche forcée qui peine à réconcilier les objectifs des politiques publiques : 

  • planifier et réaliser l’investissement, 
  • maintenir des prix bas et stables tout en respectant l’impératif de stimulation de la concurrence. 
A défaut d’une concurrence effective sur le marché de gros, l’Etat choisit une concurrence portée par le marché de détail, qui ne représente que 5% de la chaine de valeur. Cette stimulation est permise pour l’essentiel grâce à un détournement des actifs d’EDF au profit de ses propres concurrents, générant chez elle un manque à gagner ne permettant pas de financer son projet industriel.
La question déterminante après 2025 n’est pas le maintien d’une subvention déguisée pour les concurrents d’EDF, mais bel et bien la capacité de financement du renouvellement du parc électrique français, qu’il soit nucléaire ou non d’ailleurs.
Comme l’indiquait récemment Jacques Percebois, économiste, dans une tribune :
« Ainsi la dimension « régulation » du marché de l’électricité se renforce avec ce système puisque cela revient à créer 100% d’ ARENH… Cela prouve qu’il est difficile de s’appuyer sur des mécanismes de marché de court terme pour financer des investissements de très long terme. La part régulée du prix du kWh TTC payé par le consommateur final va encore croître puisque les péages d’accès aux réseaux de transport et de distribution et les taxes échappent déjà à une stricte logique de marché. Encore un effort et on s’apercevra que les monopoles (publics) intégrés et régulés ont des vertus… »
Il semble indispensable aujourd’hui de procéder à un bilan de la dérégulation du secteur de l’électricité avant d’engager une fuite en avant qui pourrait générer le démantèlement pur et simple d’EDF, ne serait-ce qu’au travers de la séparation de l’EDF producteur et de l’EDF fournisseur explicitement indiquée dans le document de consultation.

Le grand absent de cette consultation est bien évidemment « Hercule », projet de filialisation de la Direction commerciale d’EDF, le fournisseur, d’EDF en Outre-Mer et en Corse, et l’apport de Dalkia, EDF Renouvelables et Enedis, le gestionnaire du réseau public d’électricité, dans une entité dont 35% du capital serait privatisé. Le Président de la République et le Président d’EDF ayant clairement inscrit ce projet comme un objectif, étroitement lié à l’aboutissement du dossier « régulation » qui est l’objet de la présente consultation. Ainsi, le partage de la rente nucléaire se voit doublé par un partage des profits des activités régulées dont les revenus sont totalement garantis par l’Etat, EDF Outre-Mer et Corse, EDF Renouvelables, Enedis, au profit des marchés financiers.
Il reste à ajouter les contreparties significatives que pourrait demander la Commission Européenne alors même qu’aucun contentieux n’est en cours et que l’Etat français n’était nullement obligé de rediscuter l’ensemble de l’organisation du marché intérieur de l’électricité.

Nous arriverons à une situation éminemment paradoxale où tout le système électrique reposera sur la garantie publique – encore faut-il avoir confiance dans l’Etat pour gérer ce système dans l’intérêt général – sans pour autant être un service public.
En effet, d’un côté la production pilotable décarbonée sera portée par EDF mais mise à disposition de tous les fournisseurs privés qui n’auront jamais investi. De l’autre la production des énergies renouvelables intermittentes qui bénéficie d’une double garantie, en premier lieu par la subvention publique - 6 milliards d’euros par an aujourd’hui – et en second lieu par le relais que prendra la production pilotable pour palier à l’intermittence des énergies renouvelables, au risque de dégrader le facteur de charge et donc la compétitivité du nucléaire.

Personne ne peut affirmer aujourd’hui que ces projets sont porteurs d’amélioration du service public, de baisse des prix et de protection de l’investissement public et des entreprises de service public.

Annexes


1. Note du contrôle général économique et financier, 2013
 

2. Dominique Finon (CIRED, CNRS) « La complexité des marchés électriques : les limites de la libéralisation des industries électriques », Décembre 2015
« Sans revenir aux monopoles de service public, il devient impératif d’aménager les marchés électriques en donnant aux gouvernements le pouvoir de planifier le développement des parcs électriques et de passer des contrats de long terme à prix garantis avec les investisseurs, ou d’instaurer des arrangements de long terme comme les tarifs d’achat, pour limiter leurs risques, faire baisser les coûts d’emprunt et leur permettre de s’engager vraiment dans des investissements lourds en capital à grande échelle. Le gouvernement britannique vient d’en décider ainsi. Mais dans l’Union européenne, on en est encore loin. La réflexion à ce niveau est entravée par la culture de marché et le respect strict des règles des Traités européens qui permettent à la Commission européenne d’interdire de telles évolutions, car les arrangements de long terme à prix garantis sont considérés comme des «aides d‘Etat » susceptibles de fausser la concurrence, et à ce titre condamnable.
Finalement on pourrait regretter l’époque du planificateur et des ingénieurs économistes. Malgré les excès technocratiques de ces derniers, on savait organiser de façon rationnelle la programmation des investissements lourds et la rentabilité « juste et raisonnable » des capitaux qui sont investis dans l’industrie électrique. On ne s’y adonnait pas au culte aveugle de l’efficacité du Marché et de la Concurrence, alors que cette industrie est si complexe à organiser sur des bases marchandes »

3. Jacques Percebois, « Ouverture à la concurrence et régulation des industries de réseaux : le cas du gaz et de l’électricité », Économie publique/Public economics [En ligne], 12 | 2003/1
« Ne faudrait-il pas remplacer le système des bourses obligatoires ou facultatives par un système « d’acheteur unique » ? Dans ce cas, le gestionnaire du réseau (RTE en France) ne serait pas seulement l’opérateur en charge de dispatching et de l’équilibre du réseau de transport; il appellerait les centrales selon le « merit order » en étant le seul acheteur de tous les vendeurs potentiels. Il pourrait ainsi mieux « planifier » les programmes d’investissements de capacité. La renationalisation déguisée de certaines entreprises énergétiques en difficultés (comme British Energy par exemple) ne prouve-t-elle pas que l’État « brancardier » ne saurait se désintéresser d’activités aussi stratégiques que la production d’électricité, surtout lorsqu’elle est nucléaire ? Plus généralement cela pose la question du rôle de l’État face à de telles industries : les investissements à faible rentabilité financière mais à forte rentabilité socio-économique, comme c’est souvent le cas avec les services publics, peuvent-ils être durablement confiés à des opérateurs privés ? Si oui quel doit être le rôle d’un État-régulateur efficace ? »

4. Marcel Boiteux, intervention dans le documentaire « EDF, les apprentis sorciers », réalisé par Gilles Balbastre 2006.
« Pour des boites qui vont être obligées de construire des centrales… une centrale ça dure entre quarante et soixante ans une boite privée peut pas amortir, il faut qu’ils amortissent sur vingt-cinq ans au maximum ou à vingt ans. Donc ils sont obligé d’avoir des prix très élevés pour pouvoir faire cet amortissement en cours »

5. François Soult, intervention dans le documentaire « EDF, les apprentis sorciers », réalisé par Gilles Balbastre 2006.
« A long terme le marché ne va pas être capable d’indiquer aux producteurs qu’il faut faire des investissements à temps pour éviter de faire face à des ruptures. Parce qu’un investissement en électricité, entre le moment où la décision est prise et le moment où il est réalisé, il faut des années et des années »

6. Marcel Boiteux, Les ambiguïtés de la concurrence. Électricité de France et la libéralisation du marché de l'électricité. Revue Futuribles n°331, 2007.
« A vrai dire, Bruxelles a une autre raison de demander qu’on supprime les tarifs régulés, et autres tarifs de transition, c’est que, face à EDF, aucun concurrent ne peut survivre en pratiquant des prix aussi bas. S’il est producteur, il lui est impossible de prospérer sans la « rente nucléaire », sauf à se spécialiser dans les outils de pointe et/ou la chasse – giboyeuse– aux subventions. S’il est pur commerçant, et achète en gros au prix du marché, il n’a d’espoir de revendre au détail qu’aux clients qui, ayant quitté EDF, avaient opté eux-mêmes pour les prix du marché (et s’en mordent les doigts). Avec la suppression des tarifs régulés que demande Bruxelles, il ne s’agit donc plus, comme on pouvait le croire initialement, d’ouvrir la concurrence pour faire baisser les prix, mais d’élever les prix pour permettre la concurrence. Le fait est, en tout cas, que le chemin est étroit pour les concurrents. Leur vraie chance réside dans l’obligation où se trouve EDF de s’ingénier par tous les moyens à les maintenir discrètement en vie, du moins les plus compétents, pour éviter d’encourir à Bruxelles l’accusation d’abus de position dominante, et la punition d’avoir à se démanteler un peu plus. »

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