Président du Comité scientifique, économique, environnemental et sociétal d’Équilibre des Énergies
Le coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire de 2,58, utilisé dans la réglementation relative aux bâtiments, a eu pour effet de porter la part du gaz dans le chauffage des logements collectifs neufs à 75% (en 2017) et d’inciter à convertir au gaz les logements existants. Que faut-il en penser à l’aube de l’adoption de la nouvelle réglementation « RE2020 »(1) ?
Une notion ancienne devenue obsolète
Il faut tout d’abord rappeler que le coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire résulte d’une convention statistique adoptée en 1972 pour permettre de dresser des bilans énergétiques au niveau national, en agrégeant l’électricité d’origine hydraulique avec l’électricité produite par les moyens thermiques de l’époque (charbon et fioul). Le rendement moyen de ces centrales thermiques était alors de 38,7 % et on considérait que 1 kWh hydroélectrique, dont le rendement était fixé par convention à 1, permettait ainsi d’économiser 2,58 kWh thermiques d’énergie primaire d’origine fossile. Les énergies fossiles étaient largement substituables entre elles et une thermie(2) de pétrole était considérée comme équivalente à une thermie de charbon ou de gaz sans qu’il soit nécessaire d’introduire un coefficient de conversion pour passer de l’une à l’autre.
Avec les crises énergétiques, ce coefficient de 2,58 a été conservé pour mesurer les économies d’énergie ; puis il est passé dans la réglementation au point que la RT2102, à la différence de la RT2005, n’a retenu que ce seul critère d’appréciation de la performance énergétique des bâtiments.
Or, la notion d’énergie primaire n’a pas de signification intrinsèque, en dehors du cas des combustibles fossiles pour laquelle elle est représentative d’un prélèvement effectué sur la nature. Elle a cependant été introduite en 2009 dans la loi du Grenelle I de l’Environnement , bien que ce ne soit pas une grandeur physique reconnue, mais sans y avoir été définie. Sur le plan électrique, elle n’a plus de signification : l’électricité n’est pratiquement plus fabriquée en France à partir d’énergies fossiles : elle l’est à partir du nucléaire, de l’hydroélectricité et des autres énergies renouvelables, qui n’ont ainsi rien à voir avec le coefficient de 2,58.
Le coefficient de conversion de 2,58 est devenu une arme de ceux qui luttent contre le développement de l’électricité...
La notion d’énergie primaire est trompeuse : passer de l’électricité au gaz améliore le bilan en énergie primaire mais n’allège pas la facture énergétique des particuliers (au contraire) et augmente les émissions de CO2. Ainsi, remplacer un kWh électrique utilisé à des fins de chauffage par du gaz fait passer, selon les chiffres de la base Carbone gérée par l’Ademe(3), les émissions de CO2 associées de 147 g/kWh à 244 g/kWh (chiffres pour 2018).
On observera par ailleurs que le coefficient d’énergie primaire n’est utilisé que dans le secteur du bâtiment et est complètement ignoré du monde automobile qui raisonne uniquement en grammes de CO2 émis par km et en consommations d’énergie finale, en litres de carburant aux 100 km et à présent en kWh électriques aux 100 kilomètres. Il vise spécifiquement l’électricité et aucun facteur de conversion n’est retenu pour les installations thermiques productrices de chaleur (avec combustible fossile) quelles qu’elles soient.
En fait, le coefficient de conversion de 2,58 est devenu une « arme par destination » de ceux qui luttent contre le développement de l’électricité soit par conviction antinucléaire, soit parce qu’ils ont intérêt à préserver d’autres modes de chauffage. Ce faisant, ils ne se rendent pas toujours compte qu’ils pénalisent les énergies renouvelables auxquelles ils sont généralement attachés.
Alors que faire ?
Le coefficient de 2,58 est une construction intellectuelle, technocratique pourrait-on dire, qu’il faut abandonner le plus rapidement possible pour revenir aux valeurs qui font sens pour l’usager et qui sont celles retenues comme critères premiers par la loi relative à la transition énergétique et à la croissance verte du 17 août 2015 :
- la consommation d’énergie finale, celle qu’on livre à l’usager et qu’il paie au travers de ses factures, exprimée en unités physiques ou en euros ;
- les émissions de gaz à effet de serre.
Le recours à l’énergie finale aurait le gros avantage de caractériser un bâtiment par une grandeur qui lui est propre et qui ne se trouve pas affectée par un système externe. C’est un indicateur que chacun peut alors faire progresser en améliorant la qualité du bâti ainsi que l’efficacité énergétique de son système thermique. C’est l’indicateur idéal pour le diagnostic de performance énergétique (DPE)
Certains préconisent de conserver l’énergie primaire mais d’utiliser un coefficient de conversion de 1. Mais alors l’énergie primaire s’identifie à l’énergie finale et autant appeler les choses par leur nom.
Le consortium d’études, conduit par le Fraunhofer Institute, chargé en 2016 par la Commission européenne de faire des propositions à ce sujet, avait suggéré en solution de base, de se limiter, dans le calcul de l’énergie primaire, à la prise en compte des énergies fossiles. Cette proposition avait du sens mais cette solution ferait double emploi avec l’indicateur CO2 qui est tout à fait approprié pour évaluer la dépendance aux énergies fossiles.
Que penser de la proposition de l’Union européenne d’utiliser le coefficient de 2,1 ?
Par la directive du 11 décembre 2018 modifiant la directive 2012/27 relative à l’efficacité énergétique(4), l’Union européenne a donné aux États membres la possibilité d’adopter comme coefficient de conversion la valeur de 2,1 sans justification particulière. On aurait préféré que la Commission européenne incite à renoncer à ce critère mais il faut comprendre qu’en Europe, la production d’électricité est globalement beaucoup plus carbonée qu’en France et que la notion de prélèvement sur la nature a encore un sens dans ce domaine en Allemagne, en Pologne, en Italie, en Espagne, etc.
Une ambiguïté subsiste sur la question de savoir si ce coefficient par défaut est également applicable aux bâtiments qui font l’objet d’une autre directive. La réponse est probablement oui, car le coefficient de 2,1 est d’ores et déjà retenu dans les textes sur l’ éco-design et l’ éco-labelling en cours de révision.
Le coefficient de 2,1 nous semble [...] la moins mauvaise solution que l’on puisse adopter à titre transitoire.
Les États souhaitant continuer, pendant un certain temps au moins, à utiliser la notion d’énergie primaire ont tout intérêt à s’aligner sur cette disposition car on imagine mal qu’un équipement, une pompe à chaleur par exemple, puisse voir sa performance déterminée avec un coefficient de 2,1 dans un texte et un coefficient différent dans un autre.
Le coefficient de 2,1 nous semble, dans une optique de traitement provisoire du problème posé, la moins mauvaise solution que l’on puisse adopter à titre transitoire. Toute autre solution, on a entendu parler en France d’un coefficient de 2,2 ou de 2,3, ne serait qu’un compromis boiteux cherchant à ne pas trop indisposer certains lobbies mais ne correspondant à aucune logique.
En Europe, les usages divergent mais la plupart des pays ne portent pas au coefficient l’importance qu’il a prise en France. En Suède, qui a un profil électrique proche du nôtre, le coefficient a été ramené, avant la publication de la directive européenne, à 1,6.
Un passage à 2,1 pourrait-il déséquilibrer le marché dans l’autre sens et relancer l’usage des convecteurs avec des effets sur la pointe électrique ?
À nouveau, ce risque est mis en avant par les opposants à l’électricité. Mais il faut bien comprendre que le coefficient de 2,58 pénalise toutes les utilisations de l’électricité, y compris les pompes à chaleur dont un développement massif est par ailleurs nécessaire pour atteindre la neutralité carbone.
Lorsque les pompes à chaleur ne peuvent pas être installées pour des raisons techniques, en logements collectifs notamment, une solution associant des radiateurs à haute performance combinés à un chauffe-eau thermodynamique est une solution satisfaisante.
Les radiateurs modernes, et non pas les anciens convecteurs ! offrent des fonctionnalités de régulation fine, au demi-degré près, et de pilotage ainsi que de détection de présence et de fenêtre ouverte. Compte tenu du niveau d’isolation des logements, leur appel à la pointe est faible, même par grand froid ; nous l’estimons à 500 W maximum par logement en collectif, ce qui est inférieur de six fois à la puissance appelée par les logements construits dans les années 1980/90.
Imaginons que 100 000 logements neufs aient recours chaque année à l’électricité, l’incidence sur la puissance appelée à la pointe serait d’environ 50 MW supplémentaires par an, ce qui est très faible, surtout si on la compare à la réduction des appels de puissance à la pointe, de plusieurs GW, qu’il serait possible de réaliser par le remplacement des quelque 20 millions de vieux convecteurs datant des années 1980/90, mal régulés et non pilotables, qui équipent encore 4 à 5 millions de logements.
Sources / Notes
- Réglementation environnementale 2020.
- Ancienne unité de quantité de chaleur.
- Base Carbone de l'Ademe.
- Directive du 11 décembre 2018 modifiant la directive 2012/27 relative à l’efficacité énergétique.
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