Les Haut-Marnaises, victimes de la Terreur, Gabrielle-Marie-Josephe de Rose, comtesse de Montarby, épisode II


Baron de L'Horme, Les Haut-Marnaises victimes de la Terreur, p. 19-25, Les Cahiers haut-marnais, n°36, 1er trimestre 1954, Chaumont.


Gabrielle-Marie-Josephe de Rose, comtesse de Montarby, était née le 31 mai 1743, en Bassigny, au château de Dammartin-sur-Meuse, sur la terre acquise en 1709 par son arrière-grand-père, François de Rose, maréchal de camp, érigée en marquisat en 1720 pour son grand-père Louis-Joseph de Rose, et qui appartient aujourd'hui à son arrière-petit-fils, le Commandant Gabriel de Montarby (1). Elle vint au monde, cinquième des six enfants de Nicolas-François Anne, marquis de Rose-Dammartin, seigneur de Dammartin, Provenchères-sur-Meuse, Doncourt, Fresnoy et en partie d' Avrecourt. Forfillières et Maulain, et de Gabrielle-Antoinette de Poutier de Saône, par son père, qui présida les réunions de l'ordre de la noblesse du baillage de Langres en 1789, elle descendait de Guillaume de Rose, mort en 1544, lequel fut président au Parlement de Saint-Mihiel, bailli de Joinville, procureur des habitants de Chaumont, et dont le petit-fils, Guillaume Rose, doyen du Chapitre de Chaumont, fut, en 1584, évêque de Senlis, où lui succéda, en 1602, son neveu Antoine de Rose, qui devint évêque de Clermont en 1612. Par sa mère, elle appartenant à la famille franc-comtoise des de Poutier, seigneurs de Saône et autres lieux, mentionnée dès 1556, et dont la branche aînée s'est éteinte dans notre Bassigny, en 1915, par la mort à Fresnoy du Comte Achille de Poutier. L'aîné de ses frères, François-Nicolas-Gabriel de Rose, lieutenant-colonel de dragons (2) et chevalier de Saint-Louis, mort en 1814, épousa Thérèse-Eléonore du Pasquier de Maizon, sa cousine germaine, et en eut cinq enfants qui ne laissèrent pas de descendance.

Le second, Charles-Joseph, officier au régiment des gardes lorrains, chevalier de saint-Louis, mort en 1815, épousa Barbe-Nicole Girault, tante de Mme de Trestondan. De ce mariage sont nées : Mme Girard de Chambrulard, femme du fondateur de la salle d'asile de Langres, et la baronne de Tricornot dont les descendants ont relevé le nom de Rose éteint en 1845. 

De ses trois sœurs, l'une mourut au berceau, l'autre Hyacinthe-Gabrielle-Claire mourut à 19 ans, en 1755, ayant épousé, l'année précédente, Jean-Baptiste Dubois, seigneur d' Orain ; la dernière, Gabrielle Rose, décéda en 1820, sans enfant de son mariage avec Marie-Joseph-Gabriel Chevillé de Champigny, président prévôt et chef de police en la prévôté de Coiffy.

Gabrielle-Marie-Josephe épousa, en l' église de Dammartin, le 22 novembre 1763, un gentilhomme du voisinage, Etienne-Louis, comte de Montarby, chevalier, seigneur de Dampierre et de Charmoilles en partie. Elle s'alliait à l'une des plus anciennes familles du pays langrois, peut-être originaire de Lorraine, ou peut-être plutôt issue des sires de Nogent-le-Roi dont elle porte les armes, et qui, dès le XIVe siècle, possédait un fief à Dampierre. Le château en appartient aujourd'hui à Mlle Philpin de Rivières, fille d'une Montarby. rare exemple d'un domaine resté depuis plus de cinq siècles l'apanage de la même famille (3).


 château de Dampierre

Le comte de Montarby était né le 29 décembre 1729, au château de Charmoilles, propriété de sa famille depuis le mariage, vers 1400, de Philippe de Montarby, seigneur de Dampierre avec Étiennette de Charmoilles. Il était le fils de Jean-Baptiste de Montarby, chevalier, seigneur en partie de Charmoilles, mousquetaire du roi en la deuxième compagnie, capitaine au régiment d' Agenais et de Marguerite Millet de Marcilly. Il avait deux sœurs plus âgées que lui : François-Catherine, qui fut ursuline à Langres ; Catherine-Joséphine, qui ne se maria pas ; et un frère cadet, Claude-Antoine, qui fut vicaire de Coiffy-le-Haut, puis chanoine de Langres.

Comme tous ceux de son nom, il fut d'épée. Il entra au service dès le 28 septembre 1745, c'est-à-dire à 16 ans, comme sous-lieutenant au régiment de Montmorin infanterie, devenu régiment d' Île-de-France en 1762. Il y fut, le 1er août 1747, capitaine d'une compagnie de nouvelle levée ; il passa capitaine en pied en 1759, démissionna à la fin de 1762, eut sa retraite en avril 1763, et revint à Langres. Il était chevalier de Saint-Louis, avait assisté aux batailles de Raucoux (1746) et de Laufeld (1747) et avait été blessé au siège de Berg-op-Zoom en 1747. 

En 1765, naquit à Langres son premier enfant, Jeanne-Claude-Gabrielle, qui ne se maria pas et mourut à Plombières en 1815. L'année suivante, ce fut son fils, Nicolas, né aussi à Langres, mais qui mourut à Dampierre, n'ayant que trois semaines, et fut inhumé en l'église du village, "au devant de la chapelle Saint-Nicolas", au "lieu et place des seigneurs". Marie-Thérèse vient ensuite, qui naquit à Langres en 1767, fut baptisée deux ans plus tard à Dampierre, et mourut jeune.
Les quatre autres enfants du comte de Montarby sont nés au château de Dampierre.
Nicolas-Laurent, venu au monde en 1769 (4), sous-lieutenant au régiment Royal Dragons, puis dans la garde de Louis XVI ; il émigra après les massacres de septembre, servit à l'armée de Condé, fut de l' expédition de Quiberon, rentra en France en 1800, et fit les campagnes de 1813 et de 1814 comme capitaine dans les gardes d'honneur ; nommé commandant militaire de la Martinique en 1817, il y mourut l'année suivante, ne laissant de son mariage avec Joséphine Dupont de Compiègne qu'une fille morte  à paris en 1823, au couvent du Sacré-Coeur, dont elle fut une des premières élèves.
Louis-Charles-Marie, né en 1770, mort à Auxerre en 1850, lieutenant au régiment de Navarre infanterie en 1791 ; il démissionna en octobre 1791, émigra à l'armée des Princes, et rentra, comme son frère en 1800 ; il épousa Louise-Françoise-Césarine de Valoris, et leur descendance est représentée  de nos jours pour leur arrière-petit-fils, le commandant aviateur Paul de Montarby, dont le frère cadet, Jean, est tombé pour la France en Macédoine en 1917 (5).
Gabrielle-Joséphine-Euphrasie, née en 1772, admise à Saint-Cyr en 1781. Elle fut l'amie d' Élisa Bonaparte, princesse Bacciochi, qui la fit lectrice de Madame Loetitia ; elle mourut à Langres sans alliance, en 1859.
Le septième et dernier enfant, Jean-Antoine dit "Tony", né en 1780, mourut en à Dampierre en 1863, ayant fait les campagnes de l' Empire et pris sa retraite comme chef d'escadron de la Vieille Garde, officier de la Légion d' honneur et chevalier de Saint-Louis ; de son premier mariage avec Mlle Verronssat est né le général Antoine-Louis-Claude de Montarby, propriétaire du château de Dammartin ; - de sa seconde union, contractée avec Mlle de Simony, sont nés : un fils, Oswald, tué au Mexique le 11 janvier 1865, chef d'escadron au 1er Chasseurs d' Afrique, et une fille mariée à M. Philpin de Rivières.

Le calme de la vie familiale ne tarda pas à être troublé par les prodromes de la Révolution. Lorsque se réunirent les assemblées bailliagères en 1789, le comte de Montarby y fut convoqué dans l'ordre de la noblesse, tant à Chaumont, comme seigneur de Dampierre, qu'à Langres comme seigneur de Charmoilles. Sans doute ne prévoyait-il pas les jours sombres qui se préparaient ou du moins se croyait-il en sûreté dans sa terre ancestrale, au milieu des gens à qui il n'avait fait que du bien, distribuant secours et remèdes aux indigents que sa femme visitait. Mais les idées nouvelles fermentaient, et il suffit de quelques exaltés pour entrainer toute une population contre les ci-devant seigneurs. les vexations commencèrent bientôt. M. de Montarby  dut fermer son colombier, souvenir du privilège féodal, et il vit marteler ses armoiries au fronton de son château. Le 17 mai 1790, il fut "assommé à la chasse par quatre inconnus" et dut quitter Dampierre pour aller se faire soigner à Langres. Il y revint le 1er septembre, mais ce fut pour en partir à nouveau dès le 3, "ayant été pourchassé et tiré de deux coups de fusil de la part de deux habitants".

Quatre ans se passent. Bien des têtes sont déjà tombées. Au début de cette année 1794, le marquis de Bologne et le baron de Marivetz sont montés à l' échafaud. L'inquiétude est partout, et les basses vengeances, les rancunes se donnent libre cours, encouragées par par l' attitude du maire de Langres, Pierre Varaigne, que le général de Piépape a pu justement, dans un de ses ouvrages, appeler : "Le Robespierre de Langres". M. et Mme de Montarby avaient été inscrits en 1793 sur la liste des suspects avec nombre de personnes des plus honorables de la ville. Le 22 floréal an II (11 mai 1794), ils furent dénoncés par un groupe d'habitants de Dampierre au Comité de Surveillance de la commune. Le 9 prairial (28 mai), Bragard, agent national près l'administration  du district de Langres, invita le Comité de Surveillance de la section du couchant de cette ville à commencer l'instruction contre M. de Montarby, détenu en la maison de réclusion, et contre sa femme.

Les principaux griefs d'accusation relevés contre lui sont : d'avoir menacé et maltraité des gens de Dampierre qu'il aurait traité de F... bêtes ; d'avoir tiré sur eux ; de leur avoir tué des chiens, chats, poules et chèvres ; d'avoir fait voler des claies dans les bois communaux ; d'avoir refusé de payer ses ouvriers et ses domestiques ; de s'être opposé à la fermeture de son colombier et à l'enlèvement de ses armoiries ; d'avoir traité la Nation de s... marâtre ; d'avoir dit que les Assemblées Nationales étaient composées d'un tas de gueux et de coquins ; d'avoir traité les volontaires de brigands. En outre, il est soupçonné d'avoir favorisé l'émigration de ses fils et est représenté comme "un homme violent, dangereux et emporté".
Le 12 prairial (31 mai), Nicolas Glépin, gendarme à Langres, porteur d'un mandat d'arrêt délivré la veille par le Comité, se rend à Dampierre et y donne assignation aux dénonciateurs d'avoir à se trouver le lendemain, à 7 heures du matin à Langres, en la maison ci-devant Écoles chrétiennes, pour y être entendus dans l'instruction ouverte contre les époux de Montarby. Quatorze sur vingt-deux se présentèrent.
Le 14 (2 juin), le Comité ordonne l'interrogatoire des prévenus et, le jour même, M. de Montarby comparait devant lui, à 2 heures de l'après-midi, amené par le commandant de la Garde Nationale  de Langres, Desgrey. Il se défend de son mieux, repoussant avec fermeté les allégations portées contre lui ; mais que pouvait-il contre des juges décidés à ne pas l'entendre?
Le lendemain, le même Desgrey amène au Comité Mme de Montarby, dont l'interrogatoire, commencé à deux heures, ne prit fin qu'à six heures et demie du soir.

Le premier grief qui lui fut fait est d'être allée, avec son fils, chez divers habitants de Dampierre pour leur reprendre la pêche qu'ils avaient faite dans la rivière. Elle répond que ce poisson, bien qu'il ait été pris dans la rivière appartenant à son mari, elle l'a payé, en ayant besoin, au pêcheur Pierre Thomas. C'était en juin 1790. Son fils n'a pas menacé le paysan de ses pistolets, et jamais elle n'a répondu à ce dernier, qui aurait prétendu avoir autant qu'elle le droit de pêcher en vertu des décrets, qu'elle se f.... des décrets de la Nation, que la Nation serait bientôt f...., étant composée de f.... canailles, et qu'elle-même aimerait mieux avoir le cou coupé que de céder. Revenue de Langres à Dampierre avec son mari en septembre 1790, c'est parce qu'elle eut peur de le voir insulté par des volontaires du village qu'elle fit un jour seller un cheval et le lui donna pour lui permettre de leur échapper par une porte de derrière.
Mais un domestique, ayant vu la place vide à l'écurie, cria : " Nous sommes vendus! aux armes! aux armes!". Deux hommes s'élancèrent sur les traces de M.de Montarby et tirèrent sur lui. Mais le fusil de l'un des deux fit long feu, la platine de celui de l'autre se détacha, et ils ne purent l'atteindre.
Mme de Montarby proteste n'avoir pas dit que, plutôt que de se soumettre aux lois de l' Assemblée Nationale, elle préférait qu'on lui coupât les bras jusqu'aux coudes et les jambes jusqu’aux genoux. 
Son colombier? Elle l'aurait fermé ; mais les gens de Dampierre lui avaient déjà tué tous ses pigeons.

Son fils, lui est-il été demandé, n'a-t-il pas un dimanche, en 1789, frappé un homme de Dampierre qui lui aurait dit : "Est-ce à cause du décret qui abolit les colombiers que vous me frappez?" Et n'a-t-elle dit alors à son fils : "Il faut, une autre fois, lui f.... un coup de fusil à travers les fesses, c'est un gueux qui tue nos pigeons"? Elle répond que tout cela n'est qu'imposture et qu'elle n'a jamais dit : "Le décret qui abolit les colombiers ne réussira pas, et nous nous défendrons jusqu'à la mort".

Lorsque, sur l'ordre de la municipalité, les armoiries furent effacées au devant du château, n'a-t-elle pas dit à ses domestiques : "Laissez-les faire, laissez-les monter, les gueux et les coquins, nous les arrangerons ; tous ceux qui seront de mon parti, je les cacherai, je les sauverai, je nourrirai leurs femmes et leurs enfants, et les autres seront écrasés"?Elle s'en défend, assure que la municipalité ne l'a jamais invitée à enlever ses armoiries, qu'elle a regardé faire, demandant seulement s'il y avait un décret prescrivant cette destruction, afin de s'y conformer de suite, et ajoutant : "Quand vous les jetterez bas, votre pot en sera-t-il plus gras?"

Elle est accusée d'être allée à divers reprises, les dimanches et jours de fêtes, dans les villages voisins de Dampierre, dire aux habitants qu'elle avait des lettres de Mgr de la Luzerne, ancien évêque de Langres, et qu'ils seraient damnés s'ils croyaient aux décrets de l' Assemblée. Mais elle nie toute correspondance avec l'évêque et déclare qu'elle n'allait pas ailleurs qu'à Charmoilles où l'appelait le soin de ses propriétés, et qu'elle "n'a point parlé de ces choses là". 

Questionnée sur ses fils, elle répond qu'elle en a eu trois. L'aîné, âgé de 25 ans, est entré en service  comme sous-lieutenant au Régiment Royal Dragons en 1787, en est sorti lors de la formation de la garde à cheval du ci-devant roi, et s'est rendu directement de sa garnison  à Paris, ne s'arrêtant à Langres que pour y coucher, et sans passer par Dampierre. Aussi bien, le croit-elle mort, car elle est sans nouvelles de lui depuis août ou septembre 1792 (6).
Le second, Charles, âgé de plus de 23 ans, est parti pour Malte en septembre 1791, et l'on ignore ce qu'il est devenu.
Quant au troisième, qui n'a que treize ans et demi, il est à Langres, chez l'instituteur Guillaume.
Elle assure que ses fils aînés n'ont pas émigré et qu'elle n'a jamais poussé personne à le faire.

On l'accuse d'avoir, en 1792, engagé ses voisins à se réunir chez elle pour y faire la prière? Ne leur disait-elle pas, la nuit, qu'il lui semblait entendre le canon? Ne s'en réjouissait-elle pas, voyant déjà les patriotes écrasés et disant : "Ne m'abandonnez pas, j'ai du pain, vous n'en manquerez jamais et nous écraserons tous ces gueux-là, j'ai leurs noms en écrit?" Elle répond que tout cela est faux.
N'a-t-elle pas reçu des prêtres assermentés et des aristocrates en les faisant passer par une porte de derrière pour les soustraire aux yeux de la commune de Dampierre? Elle répond que ceux qu'elle a reçus, c'était par la porte d'entrée, et non par celle de derrière.
N'a-t-elle pas dit sur un ton ironique : "Ça ira, ça ira, mais c'est autrement que vous ne pensez, les Français soutiennent une guerre injuste". Et, ce disant, n'affectait-elle pas " de montrer son derrière"? Elle proteste n'avoir jamais dit ces propos, "ni jamais montré son derrière".

En octobre 1792, quand l'ennemi était dans les plaines de Châlons, n'a-t-elle pas à Changey, le jour de sa fête, au cours d'une rixe où les patriotes eurent le dessous, donné de l'argent à ceux qui les avaient maltraités, et n'a-t-elle pas dit : "Courage, mes enfants, l'ennemi approche. Bannes, Neuilly et Changey, seront préservés. Dampierre et les autres seront écrasés"? elle répond qu'elle ignorait la présence de l'ennemi en Champagne, qu'elle n'a pas donné d'argent et qu'elle disait aussi bien aux paysans de Dampierre qu'à ceux des autres villages : "Bonjour, mes enfants ; bonjour braves gens". 

Elle nie avoir dit, en 1792, à une femme qui venait chercher des remèdes au château : "Voyez, ma chère, je suis plus haute en noblesse que je ne l'ai jamais été!

Accusée d'avoir voulu former un parti, offrant aux gens de les nourrir ainsi que leurs femmes et leurs enfants, et leur disant que mieux valait aller à la messe dans les bois que d'assister à celles des prêtres constitutionnels, elle s'en défend formellement, ajoutant qu'elle ne s'est jamais offerte à nourrir qui que ce soit ni ses enfants, ayant assez des siens.
Elle proteste n'avoir jamais dit que les prêtres constitutionnels étaient des scélérats, tous calvinistes, que sous peu, ils périraient tous et qu'on ne parlerait plus de la Nation.

Il lui est reproché d'avoir dit, en 1792, que sa noblesse était petite, mais qu'elle espérait qu'elle deviendrait plus grande, qu'elle se f.... du peuple, et qu'elle aimerait mieux avoir la tête coupée que de céder. c'est dit-elle, un mensonge et elle ajoute qu'elle n'est pas "assez bête pour tenir pareil propos". À une autre accusation, elle répond qu'elle n'est pas assez barbare pour avoir engagé son mari à "donner des coups de fusil aux gens de Dampierre qu'elle aurait tous traités de gueux."

Enfin elle se défend d'avoir tenté de provoquer le rétablissement de l'ancien régime et d'avoir dit que les nobles avaient le bras plus long que la Nation.

Ce long interrogatoire s'achève enfin ; elle en signe le procès-verbal à chaque page avec les membres du Comité, reconnaissant qu'il contient vérité, et affirmant qu'elle persiste dans ses dires et qu'elle n'a rien à y ajouter.

Arrêt est aussitôt rendu, portant que Gabrielle rose, femme Montarby, sera arrêtée et conduite à la maison d’arrêt, comme prévenue d'avoir tenu des propos contrerévolutionnaires tendant à l'avilissement de la représentation nationale et des autorités constituées. C'est encore Desgrey qui l' emmène et qui la conduit à l'ancien couvent des Ursulines, où sont détenues les femmes. 

Trois jours plus tard, le 18 prairial (6 juin 1794), Bragard adressait les pièces à Fouquier-Tinville qui dès le 22, donnait l'ordre d'envoyer les accusés à Paris. Le 27, Bragard mandait "au citoyen Duchoul, lieutenant de la gendarmerie nationale à Langres, de faire transférer sur le champ et sous sa responsabilité, de la maison d'arrêt de Langres en celle de la commune de Paris près le Tribunal révolutionnaire, les nommés Etienne-Louis Montarby et Gabrielle Rose, sa femme, prévenus de crimes contrerévolutionnaires.Les citoyens gendarmes chargés de la conduite seront tenus de rapporter bonne et valable décharge de la remise des prévenus dans la maison d'arrêt du Tribunal révolutionnaire". Le 28, Duchoul donnait l'ordre d'extraire dès le lendemain, de la maison d'arrêt de Langres, les deux accusés pour être conduits à Paris, "par deux gendarmes nationaux des brigades de Langres et de Prauthoy, à qui il sera accordé 30 sols par lieue en allant et revenant, et l'étape pour un jour seulement". 

M. et Mme de Montarby ne s'illusionnaient pas sur leur sort. Séparés de leurs enfants, c'est un dernier et touchant adieu qu'ils leur envoient par ces lettres datées du 28 prairial (16 juin 1794).
M. de Montarby écrivait :
"Nous partons demain pour Paris, mes très chers enfants, n'en prenez aucun chagrin, nous suivrons les décrets de la Providence. Remerciez-la avec nous de la grâce, qu'elle daigne nous accorder.
Si elle nous appelle à elle, c'est pour sa gloire et notre bonheur. Si elle nous rend à vous, c'est pour l'adorer ensemble et mériter un jour le ciel où nous aspirons tous. Je vous engage à nous imiter en pardonnant à nos ennemis et en cherchant plutôt à leur faire du bien qu'à vous venger du mal qu'ils veulent nous faire. C'est l'exemple que vous a toujours donné votre respectable de mère. Vous ne pouvez mieux faire que de l'imiter. Nous prions Dieu de vous bénir, et de vous prendre sous sa sainte garde.
Nous vous donnons notre bénédiction et nous recommandons à vos prières et à celles de vos compagnes à qui j'offre ma reconnaissance et mon respect.
À Dieu, mes chers enfants. Je vous embrasse aussi tendrement que je vous aime. Je suis votre bon père.
E-L de Montarby"

La même fermeté, la même résignation, la même confiance en Dieu se reflètent dans la lettre de la mère :
"Allons, du courage, mes chers enfants. Dieu nous a fait la grâce de nous en accorder en pardonnant à nos ennemis. Nous partons demain pour Paris. Regardez cet évènement comme une faveur du ciel sous tous les rapports. Si nous sortons victorieux, c'est une épreuve ; si nous succombons, c'est pour la gloire de Celui qui conduit tout et qui par là veut notre satisfaction. Priez-le qu'il vous l'accorde ; quant à nous, mes très chers enfants, je ne puis trop vous recommander le pardon aux délateurs et je vous prie de le recommander de même à toux ceux qui voudraient nous venger. Si jamais vous êtes à portés de faire du bien, que ce soit particulièrement à ceux qui nous ont calomniés. Et vous, soyez toujours craignant de l'Être suprême, n'oubliez jamais les principes que vous avez reçus de religion d'honneur, de délicatesse. Soyez unis entre vous, aimez-vous cordialement, soyez doux, humbles et tous religieux et soumis à vos supérieurs. Oubliez les torts que j'ai pu avoir avec vous et si jamais je vous ai scandalisés, pardonnez-le moi, comme je vous pardonne tous vos manquements envers moi. Je vous recommande votre frère, servez-lui de père et de mère.
À Dieu, mes chers enfants, je vous embrasse mille et mille fois.
Rose de Montarby"
Le comte et la comtesse de Montarby quittèrent Langres le jour même où, au coucher de soleil, six coups de canon annonçaient le lendemain la fête consacrée à l' Être suprême.

 Nous ne savons rien de leur triste voyage (7). À la Conciergerie, ils durent subir le sort commun et, dans l'angoisse de l'attente, entendre chaque jour l'appel des condamnés. Leur tour vint le 24 messidor an II (12 juillet 1794). Ce jour-là, ils comparurent devant le Tribunal révolutionnaire dans la salle de l' Égalité. Leur interrogatoire ne nous a pas été conservé ; il ne fut sans doute, comme c'était général, que la répétition de celui passé à Langres. Les archives du château de Dampierre conservent, en revanche, l'acte d'accusation dressé par Fouquier-Tinville, rappel véhément de tout ce qui leur avait été reproché, et l'arrêt de condamnation porté contre eux et cinq autres accusés. Les deux époux furent exécutés le jour même à la Barrière du Trône, et leurs corps furent jetés à la fosse commune de Picpus. Mme de Montarby, pour épargner à son mari la douleur de la voir mourir, voulut qu'il passât le premier, et les derniers mots qu'elle lui adressa furent : "Courage, Montarby, tu meurs pour ton Roi, et tu vas voir ton Dieu!" Et quand ce fut son tour, elle monta sereine à l'échafaud, ayant sans doute au coeur, avec la vision des bien-aimés qu'elle laissait le souvenir des calmes demeures familiales de Dammartin et de Dampierre où sa jeunesse avait connu le bonheur.
Sans doute aussi se souvint-elle de la vieille mendiante de Dampierre qui, naguère, s'était à plusieurs reprises arrêtée à la grille du manoir pour crier à la très blonde châtelaine encore ignorante du danger qui la menaçait : "Sauve-toi, la Roussote! ils vont venir te prendre!" Folie, disait-on, mais bien plutôt écho des bruits menaçants qui couraient dans le village. 

1. Celui-ci, y est mort en 1932, et le château a été vendu pendant la dernière guerre.
2. À la date de rédaction de cette étude (1927).
3. Celle-ci, décédée en 1935, l'a légué à son neveu le Général de Montarby.
4. Élève, de Brienne avec Bonaparte, il arriva à Paris par le coche d'eau (v. Lenôtre, vieilles maisons, vieux papiers, l' hôtel de Cherbourg) pour entrer à l' École royale militaire de Paris, le 22 oct. 1784 avec 4 camarades : Bonaparte, de Castries, Laugier de Bellecourt et Comminges.
5. Aujourd'hui Général de Montarby, auteur de ces notes.
6. Il avait en fait pris part à la défense des Tuileries le 10 août, à la fin de quoi il prit le commandement d'un détachement de gardes-suisses dont le chef, le Sous-Lieutenant St-Venant de Forestier avait été tué et avec lesquels il réussit à se sauver. C'est pourquoi le gouvernement suisse lui décerna au début de la Restauration l'une des 2 médailles d'or frappées en mémoire du massacre des Suisses à la journée du 10 août, médaille pieusement conservées dans la famille.
7. Ils adressèrent à leurs enfants une lettre datée de Charenton, annonçant qu'ils seront, le lendemain à Paris. J'ai trouvé trace de l' écrou d’Étienne-Louis à la Conciergerie, mais non de sa femme, par Fouquier-Tinville (G1 de Montarby).


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