Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, épisode I

Préambule
  La Terreur : nom donné à deux périodes de la Révolution française : la première Terreur, 10 août-20 septembre 1792, et la seconde Terreur, 5 septembre 1793-28 juillet 1794.

1. La première Terreur, 10 août-20 septembre 1792
   Après la chute des Tuileries et la formation d'un Conseil exécutif provisoire de six membres, l'Assemblée législative déconsidérée doit s'incliner devant la Commune insurrectionnelle de Paris, qui, inspirée par Robespierre, surveille les autres autorités.

  Première Terreur : massacres de l'Abbaye, 6 septembre 1792

  La plupart des mesures prises par la Législative le sont sous la pression de la Commune : suspension du roi, autorisation donnée aux municipalités d'opérer des visites domiciliaires et de procéder aux arrestations, création d'un tribunal extraordinaire, 17 août, bannissement des prêtres réfractaires, suppression des ordres enseignants et hospitaliers. À Paris, environ 3 000 suspects sont emprisonnés. La peur du « complot aristocratique », l'inquiétude grandissante devant l'invasion prussienne et l'exacerbation des passions populaires provoquent alors les massacres de Septembre.
  Cette première Terreur, qui coïncide avec l'époque des élections à la Convention, 90 % des électeurs s'abstiendront de voter, prendra fin avec la victoire de Valmy.

2. La seconde Terreur, 5 septembre 1793-28 juillet 1794

Deuxième Terreur : massacres de Lyon, 14 décembre 1793

  Après la chute des Girondins, sous la domination des Montagnards, la Terreur vise à assurer la défense de la nation contre les ennemis de l'extérieur : → première coalition, et intérieurs → guerre de Vendée, insurrections fédéralistes et royalistes.

[...]

2.3. La « Grande Terreur »
  À compter d'avril 1794, la Terreur entre dans une nouvelle phase : le décret du 27 germinal an II, 16 avril 1794, dépossède les tribunaux révolutionnaires de province de leurs pouvoirs, au profit de celui de Paris ; la répression est encore accentuée par la loi du 22 prairial an II , 10 juin 1794, qui supprime la défense et l'interrogatoire préalable des accusés et ne laisse au tribunal que le choix entre l'acquittement et la mort.
  Cette aggravation est due au climat d'inquiétude provoqué par la situation militaire et les conspirations contre-révolutionnaires. Mais elle exaspère bon nombre de citoyens, surtout après la victoire de Fleurus, 26 juin 1794. Les exécutions publiques, si elles frappent l'imagination des foules, deviennent alors d'autant plus insupportables qu'elles paraissent moins justifiées. Les excès de la Terreur constituent une des causes – mais non la seule –, de l'isolement du gouvernement révolutionnaire en thermidor an II.

André Chénier

   Entre juillet 1792 et juillet 1794, il y a de 100 000 à 300 000 arrestations et peut-être 35 000 à 40 000 morts ; 16 594 morts, chiffre sûr, celui-là, sont ordonnées par les différents tribunaux révolutionnaires. La grande vague se situe entre le 10 juin et le 21 juillet 1794, après les lois de prairial : 2 554 condamnations à mort en six semaines, dont celle du poète André Chénier ; 52 % des condamnations capitales sont prononcées dans l'Ouest et 19 % dans le Sud-Est, c'est-à-dire dans les régions de guerre civile ; 16 % à Paris. Il semble que les faits idéologiques, agitation des prêtres réfractaires, surtout, aient motivé 19 % des condamnations, les faits économiques, accaparement de denrées et viol de la loi sur le maximum, surtout, 1 % seulement, mais de nombreux emprisonnements. Huit condamnés sur dix sont des ci-devant membres du Tiers état, trois sur dix des sans-culottes, un sur dix est un noble, contrairement à une imagerie largement répandue : « En pareille lutte, les transfuges suscitent moins de ménagement que les adversaires originels », Georges Lefebvre [1874-1959 ; historien, spécialiste de la Révolution française]

3. Les autres terreurs
  Après thermidor, la Terreur est appliquée aux anciens robespierristes et réapparaît périodiquement, y compris dans la législation d'exception, jusqu'en 1799, appliquée aux royalistes et aux Jacobins, parfois simultanément ; mais elle a perdu son caractère populaire. Puis l'usage s'instaure d'appeler « terreur » toute répression exceptionnelle, y compris les terreurs contre-révolutionnaires ou terreurs blanches.
  Source

***

 21 Pluviôse an II - 9 février 1794


Rapport de Bacon, W 191
  J'ai porté aujourd'hui mes regards du côté de Vaugirard ; j'ai assisté à la société populaire établie à cette commune. Voilà ce qui s'est passé.
  Il y avait beaucoup de monde à la séance, et le nombre de femmes, aux tribunes, était assez considérable. On s'est occupé du foin, de l'avoine, des moyens qu'il fallait employer pour conserver les bestiaux. Chacun s'est empressé de donner son avis, et je dis ici que la société a pris des arrêtés fort sages. On a ensuite lu des instructions pour les enfants. Le secrétaire et le président ont invité les femmes qui avaient des enfants à leur faire apprendre par coeur la Déclaration des droits. Applaudi. On a aussi lu un petit imprimé1 du citoyen Bellavoine, ex-moine, et greffier de la municipalité de Vaugirard. Les bases de ce petit discours roulent sur le fanatisme, sur les crimes et la scélératesse des prêtres. L'auteur fait sentir, d'une manière énergique, combien le peuple a été trompé par tant de fainéants qui, dit-il, buvaient le sang le plus pur qu'il avait dans les veines, en l'endormant par des orémus [oraison]. Cette phrase a été bien applaudie, et à fait beaucoup rire les citoyennes. L'esprit public excellent dans la société populaire.
  Dans le faubourg Saint-Antoine et dans différents quartiers, on murmure beaucoup de ce que toutes les denrées augmentent à vue d’œil. J'ai entendu, non pas une femme, mais vingt, dire que le peuple prendrait les armes pour aller à la Convention, et lui demander si elle voulait enfin mettre un frein aux brigandages que tous les marchands exercent sur le malheureux. Le peuple murmure aussi de ce qu'on souffre, au Palais-Royal, que l'argent se vende.
  Barrière de Sèvres [Les barrières de Paris sont de trois sortes : les 57 barrières à la limite, fixée en 1674 et modifiée en 1724, au-delà de laquelle il était interdit de bâtir. Elles correspondaient en partie à la limite fiscale et comprenaient 53 barrières par terre et 4 barrières par eau, ou pataches.  Contrairement à celles du mur des Fermiers généraux, les barrières par terre étaient, pour la plupart de modestes installations en planches, quelques-unes avec des grilles de fer. Elles étaient situées à la limite des dernières constructions des faubourgs, un peu en arrière de la future enceinte des Fermiers généraux ; les barrières d'octroi du mur des Fermiers généraux ; les 23 barrières de l'enceinte de Thiers, 1841-1845], près le corps de garde, des femmes et des ouvriers parlaient de la cherté des denrées. Une d'entre elles disait : " Comment voulez-vous que tout n'augmente pas? On dit qu'il y a des députés qui vendent leur argent." On ne comprend rien à ce galimatias [discours ou écrit embarrassé, inintelligible ; Larousse]

Barrière de Sèvres, 15ème arrondissement, Paris, démolie en juin 1860. Leymonnerye, Léon, 1803-1879, dessinateur.

  À Vaugirard, dans un cabaret, des hommes disaient qu'il y avait une grande émeute du côté d'Auxerre, et qu'il y avait eu de nouvelles trahisons. On a ensuite parlé du discours de Robespierre2. Une femme disait : " Ce Robespierre a bien d'esprit, et il s'occupe bien de nous autres."
  J'ai parcouru les environs de Paris du côté de Vaugirard, et tout m'a paru tranquille.

Rapport de Charmont, W 191
  C'est incroyable combien il y a de citoyens qui allaient aujourd'hui à l' Enfant-Jésus3, barrière d'Enfer, pour entendre la messe ; cela commence à donner de l'inquiétude à beaucoup de citoyens amis de la tranquillité, surtout dans l'affection que ces dévots mettent pour faire leurs saluts.
  Des juifs disaient hier qu'ils avaient trouvé le moyen d'avoir de la farine pour manipuler le pain des azymes [aliment rituel du judaïsme, se caractérise par son absence de levain, donc de fermentation] ; ils se plaignaient de ce qu'on l'avait brisé, à Metz, les tables de la Loi [" Sur ces tables de la loi sont inscrits les dix commandements, ou décalogue, reçus de Dieu au mont Sinaï par Moïse et apportés par lui au peuple israélite errant dans le désert après sa sortie d’Égypte au XIIIe siècle avant Jésus Christ..." ; source], tables dont ils faisaient beaucoup de cas.
  Les bouchers sont toujours assaillis de monde dans leurs étaux : le voeu se prononce pour que l'on délivre la viande avec des cartes attendu la grande difficulté4. Il en a été beaucoup question dans plusieurs assemblées générales de sections. Les uns accusaient les bouchers d'aristocratie, les autres jetaient la faute sur les marchands en gros, et personne n'a pu asseoir aucune bonne idée là-dessus. Le tout est qu'il faut attendre les évènements.
  En outre les bouchers qui n'ont plus de viande, les charcutiers ne possèdent point une once de lard chez eux, ils n'en font plus ; ils trouvent qu'il y a beaucoup plus d'avantage de le vendre tout frais à vingt sols la livre ; par ce moyen ils n'ont point la peine de saler. On assure qu'il y avait un peu de leur faute. Dans tout cela, le citoyen manque du plus grand nécessaire. On se dit les uns aux autres : " Qu'allons-nous devenir si cela continue? Bientôt nous n'aurons plus rien du tout."

 

  1 sol aux balances 1793 type française



Pièce de 1 sol aux balances 1793, An II. Pour mémoire : 12 deniers font 1 sol ; 1 livre vaut 20 sols ou sous. Source

  " Les cordonniers ne sont plus en réquisition5, disait un de ces citoyens qui sont dans cet état. Quand à moi, disait-il, j'ai rempli ma tâche, et j'ai bien employé mon temps. Mais il y en a beaucoup dans Paris qui n'ont pas fait la moitié de ce qu'ils devaient faire. Je voudrais qu'on les y contraigne, et qu'ils soient encore en réquisition pendant un mois, pour leur punition." On prétend même que les comités révolutionnaires ont cette idée-là.
  Plusieurs citoyens se plaignaient de ce que les contributions publiques étaient considérables, qu'il était presque impossible à des malheureux de satisfaire à cette obligation nationale. Un citoyen présent à ce dire disait que dans l'ancien régime la ville de Paris l'en avait exempté, à cause qu'il était père de seize enfants, reste de vingt-sept qu'il a eus, mais que depuis le nouveau régime il a été imposé comme tous les autres citoyens, sans avoir égard à la grande famille dont il est le père. Un citoyen qui écoutait lui demanda s'il ne s'était pas présenté à la Convention avec toute sa famille ; il a répondu que cela ne se pouvait pas, attendu qu'il en avait plusieurs au service de la Nation et un autre dans les Iles, mais qu'il avait fait des réclamations à ce sujet, mais que l'on ne l'avait pas écouté. On lui demanda son nom, a dit se nommer Carpentier6, demeurant place Cambrai7, dont le citoyen présent à pris note.

 

Plan parcellaire du quartier de la « place Cambrai », figurant notamment le Collège royal et le collège de Cambrai, au XVIIIe siècle. Bibliothèque en ligne Gallica

  On assure qu'il y a beaucoup de marchands de vin qui vont fermer boutique attendu les plaintes que l'on porte contre eux ; qu'ils aiment beaucoup mieux se retirer que de s'exposer à la fureur stipendiée [payer quelqu'un pour accomplir une tâche méprisable ou criminelle, acheter sa complicité ; Larousse] de mauvais sujets qui ne vivent qu'en faisant le mal pour le mal même.
  L'ordre du jour appelle la discussion sur la rentrée du Parlement britannique8. Il y a des orateurs pour et contre ; mais, s'il y a quelqu'un qui se soit attaché l’estime des vrais républicains français, c'est, sans contredit celui de Shéridan9 [Richard Brinsley, 1751-1816 ; homme politique et dramaturge irlandais]. On dit que, quoique le Parlement ait voté pour l'adresse au roi, cela n'empêche pas que tôt ou tard la commotion éclatera, et plutôt qu'on pense ; et voici ce qu'on dit : " La Révolution française ne s'est point opérée le même jour qu'elle s'est assemblée, le temps est grand maître, il amène tout."

Rapport de Grivel10, F11 201
  [Vols de vin et de combustibles sur les quais de Seine. La rareté de la viande se fait de plus en plus sentir. Un des remèdes possibles est l'interdiction de tuer les jeunes animaux]

Rapport de Jarousseau, W 191
  Paris serait assez tranquille ; toujours de grandes inquiétudes sur les subsistances.
  J'ai vu, sur les quatre heures du soir, à la porte St-Antoine un rassemblement d'environ douze à quinze femmes qui faisaient des motions que la " Nation avait promis de faire du bien aux femmes et aux enfants des défenseurs de la Patrie. Cependant l'on ne nous donne rien, les sections nous donnaient vingt sols par jour parce que tous les vivres sont renchéris, la plupart des sections donnent plus que dix sols, et rien à nos enfants s'ils ont dix ans. "
  Sur les midi, le nommé Laferrière et sa femme10, demeurant rue Barbette, ont été mis en arrestation par le comité révolutionnaire de la section de l' Indivisibilité, et incarcérés. Ils étaient en deuil de Custine [Adam-Philippe, comte de, 1742-1793 ; général ; député de la noblesse à l'Assemblée nationale ; commandant de l' Armée du Rhin puis du Nord, de la Moselle et des Ardennes, 1793 ; suspecté de traîtrise avec les Prussiens, il est jugé et reconnu coupable ; guillotiné]. L'on a aussi arrêté en même (temps), trouvé chez eux, un quidam, ci-devant croix de Saint-Louis, connu pour escroc ; [il] a été conduit à la mairie.

 

Adam, Philippe Custine de Sarëck, 1740-1793. Source

   Le juge de paix11 de la section du Panthéon a été mis en arrestation par sa section.
  Vous entendez partout [à] Paris, avec plaisir : " Point de paix ni de trêve avec les tyrans ! "

Premier rapport de Latour-Lamontagne, W 191

  On se plaint beaucoup des entraves que certains administrateurs de la Société des Jacobins [club révolutionnaire, 1789-1799 ; " Formé à Versailles en mai 1789 par des Constituants bretons, Lanjuinais, Le Chapelier, auxquels s'adjoignirent des députés d'autres provinces et des hommes politiques en vue, duc d'Aiguillon, Pétion, l'abbé Grégoire, Robespierre, Sieyès, Barnave et les Lameth, le Club breton, venu à Paris avec l'Assemblée, s'installe, sous le nom de « Société des amis de la Constitution », au réfectoire du couvent dominicain de la rue Saint-Honoré, d'où le nom de « club des Jacobins » qui lui est donné par dérision par les royalistes..." ; source] mettent à la circulation du Journal de la Montagne [Organe des Jacobins ; parution 1793-1794 ; Jean Charles Thibault de Laveaux en fut le premier rédacteur ; source] ; quelques distributeurs, ne pouvant atteindre au prix exorbitant qu'on a exigé d'eux, ont depuis quelques jours cessé de le vendre, de façon qu'à moins de s'y abonner, ce que tout le monde ne peut pas faire, il est aujourd'hui très difficile de se procurer cette feuille. On regrette que, par une spéculation mercantile, les sans-culottes soient privés d'un journal aussi propre à éclairer et à diriger l'opinion publique, dont la Société devrait favoriser la circulation de tout son pouvoir. On croit que cette Société, qui a fait chaque jour de si grands sacrifices à la chose publique, ne partage point les vues intéressées de ses commissaires.


Journal de la Montagne, Société des amis de la Constitution (Paris), 1793-1794. Source

  On a arrêté hier au Palais-Égalité [nouveau nom du Palais-Royal au 10 août 1792 ; source], un enfant de sept à huit ans prévenu d'avoir dérobé un assignat de 50 livres. On a débité, à ce sujet, qu'il s'est formé depuis quelque temps une bande de voleurs composée d'enfants des deux sexes, et que les paysans sont tout à la fois provoqués au libertinage par les uns et dévalisés par les autres. Ce désordre, s'il existe, appelle toute la surveillance de la police.

Philippe Égalité, 1747-1793, par Michel Garnier, Chantilly, musée de Condé. copyright RMN.

   " Pourquoi, disait-on dans un groupe, rue Saint-Honoré, livrer aux flammes tant de superbes édifices dans les villes qui ont levé l'étendard de la révolte? Pourquoi ne dispose-t-on pas de tous les bâtiments souillés par le crime en faveur des familles sans-culottes, qui les purifieraient en y exerçant toutes les vertus républicaines? Rien ne mortifierait peut-être plus les aristocrates que de voir leurs maisons habitées par ces mêmes sans-culottes qu'ils laissaient autrefois mourir de faim à leur porte. "
   On faisait ce soir la motion d'abandonner aux hommes de couleur que la Convention vient d'appeler à la Liberté12, la partie de Saint-Domingue qui appartient aux espagnols. " Si ce décret était rendu, disait l'orateur, je répondrais de sa propre exécution." Cette proposition a trouvé des approbateurs et des contradicteurs.
   On a fort applaudi au discours de Robespierre13, à la suite duquel Brichet, qui proposait d'aller en masse à la Convention pour l'inviter à un scrutin épuratoire, a été rayé des listes des Jacobins.

Deuxième rapport de Latour-Lamontagne, W191
   On parle toujours de la seconde réquisition14 ; les bruits même, à cet égard, semblent prendre une sorte de consistance.
  Le peuple a fort applaudi ce matin au départ de plusieurs chariots remplis d'ouvriers, qu'on envoie à Valenciennes15 ; cette place dit-on, va être vigoureusement chauffée. L'opinion générale est que nos vils ennemis seront bientôt chassés du territoire de la République.

 

Source

  Voici le bruit que les malveillants répandent au sujet de Valenciennes. Le commandant, par une feinte trahison, a attiré les Français vers cette place, où 5 à 6000 hommes, surpris et enveloppés, dit-on, par l'ennemi, ont été taillés en pièces16.
  On assure que Mallais17, de la section du Temple, qui a dénoncé Talbot18, est un intriguant, et qu'au mépris de la loi, il occupe trois places, toutes trois salariées.

Rapport de Le Breton, W 191
  Les propositions de paix faites par les despotes à la République française19 est (sic) le sujet de toutes les conversations des cafés. Chacun en glose à sa manière, et le résumé de tout ce que j'ai entendu est conforme aux intérêts de notre République.
  On se plaint toujours de ce que le bois devient cher par le prix qu'on est obligé de payer pour les frais de transport. On se propose de mettre un ordre à cela.
  Je causais aujourd'hui avec un chaudronnier de Saint-Cloud qui paraît franc patriote et qui se plaignait encore que, dans ce bourg, il y avait encore quelques conciliabules aristocrates, et que différents bourgeois de Paris, sous prétexte de venir à la campagne, venaient tenir là leurs séances. Il ajoutait que, au Calvaire20, on y disait des messes souterraines.
  Celui qui s'est jeté par la croisée, rue Saint-Louis, Saint-Honoré est le citoyen Veymerange21, ancien administrateur des Postes sous le ci-devant Polignac.

Rapport de Letassey, W 191
  Sur le boulevard des Italiens, au café, une conversation se tenait entre plusieurs personnes. Les uns disaient : " Il faut croire que plusieurs des agents qui ont été envoyés dans nos départements n'ont cherché qu'à nous tromper, car il n'est pas croyable que l'on manque de viande de toute espèce à la fois." Un autre dit : " J'arrive du département de la Manche, et j'ai vu beaucoup de bestiaux. - Tu a raison, dit un autre, mais les gains de tous les marchands sont montés à un point extraordinaire ; ils veulent tous trop gagner. Les bouchers de Paris s'arrangent pour que ce soit la Commune qui les fournisse, par ce moyen ils verraient leur gain clair, et ne seraient exposés à aucune perte ; voilà le fin mot. Les financiers qui cherchent à donner des assignats pour reprendre leur trame ordinaire, et qui prêtent à toute main, rendent les citoyens paresseux malgré eux."
  À la fabrication des armes, aux Capucins22, il s'est élevé quelque difficulté parce qu'ils s'étaient grisés, mais cela n'a pas eu de suite.
  Les prisonniers de Saint-Lazare, faubourg Saint-Denis [" (...) située dans les anciens bâtiments de la maison mère de la congrégation de la Mission ou maison Saint-Lazare, à Paris, 10e arrondissement au no 107 de la rue du Faubourg-Saint-Denis, dans l'ancien enclos Saint-Lazare..." ; source] ont voulu se révolter ; il a fallu redoubler la garde pour les mettre à la raison23.


Corridor de la prison Saint-Lazare, vers 1794, Robert Hubert, 1733-108, Peintre. Source

 Image illustrative de l’article Prison Saint-Lazare

Dès la fin de la Terreur, la prison Saint-Lazare est affectée aux femmes. Elle est fermée en 1927. Ici, en 1912. Bibliothèque nationale de France.

  Cela vient de ce que des malveillants se permettent de faire courir le bruit que la Convention va en faire sortir une grande quantité. d'ailleurs, ceux-ci se disaient : " On nous laisse dépérir ici, on ne nous interroge pas ; ce sont les ci-devant qui obtiennent la préférence."
  Ces paroles troublent les esprits, et se distribuent dans beaucoup de cafés.
  Etant sur les différents ports et sur celui de l' Arsenal, il arrive beaucoup de bateaux de bois et des trains ; du foin aussi et des vins. Il faut espérer que les modérés, qui craignent toujours de manquer, seront rassasiés dans peu.
  Rue Saint-Antoine, plusieurs citoyens de la campagne, du côté de Roissy et Dammartin24, disaient : " Il est bien étonnant qu'une personne qui n'a du blé que pour sa consommation, on le lui enlève pour le mettre dans le grenier d'abondance. Si cela continue, disent-ils, cela fera soulever les campagnes qui craignent de manquer, parce qu'on porte tout à Paris et qu'on ne veut rien laisser sortir." Un observateur leur dit : " N'en faites rien ; car vous seriez regardés comme ceux des environs de Meaux25. Vous avez juré obéissance aux lois : tenez votre parole ; la Nation est juste, et ne vous laissera pas manquer de ce que vous avez besoin. N'écoutez pas ceux qui vous donnent de mauvais conseils, et ça ira ; et criez : Vive la République!"

 

Le fossé de l'Arsenal en 1739, plan Turgot. Après la destruction de la Bastille pendant la Révolution française en juillet 1789, le bassin de l'Arsenal remplace de fossé et est crée un port. Source

 Rapport de Pourvoyeur, W 191


   À suivre...

  Pierre Caron, Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, tome IV - 21 pluviôse an II - 10 Ventôse an II, 9 février 1794 - 28 février 1794, , La Société de l' Histoire de France, Librairie Marcel Didier, Paris, 1949, pp . 1-10.


1. Pas de renseignements sur cet imprimé ni sur son auteur.
2. Du 17 pluviôse, cf. t. III, p. 352, note 2.
3. Institution des Pères de l' Oratoire , aujourd'hui, " Il subsiste peu de chose aujourd’hui des anciens bâtiments de l’institution des pères de l’Oratoire, rue d’Enfer à Paris, dans le faubourg Saint-Jacques, tout près de l’Observatoire...", source
4. Cf. t. III, p. 392 - Cette pression publique, qui allait devenir de plus en plus vive, n'aboutit pas à l'institution de la carte de viande pour tous. Le Conseil général de la Commune s'en tint à adopter, le 17 ventôse [7 mars 1794], des mesures tendant à assurer la distribution régulière de la viande, sur le vu de bons délivrés par les comités civils des sections, aux femmes enceintes, en couche, ou nourrices, ainsi qu'aux malades des deux sexes. Moniteur, réimp., t. XIX, p. 655.
5. La réquisition prononcée par le décret du 18 frimaire [8 décembre 1793] avait effectivement pris fin le 20 pluviôse [8 février 1794]. cf. t. II, p. 109, note 1.
6. Pas de renseignements.
7. Fait actuellement partie de la place Marcelin-Berthelot dans le 5e arrondissement de Paris.
8. Cf. t.III, p. 88, note 4. Le Moniteur du 20 pluviôse [8 février 1794], réimp., t. XIX, p. 411-413, en publie une traduction.
9. Voir le texte de ce rapport dans : P. Caron, Rapports de Grivel et Siret..., Bulletin de la Comm. de l' hist. écon. de la Révol., 1907, pp. 163-165.
10. Pas de renseignements.
11. S'il s'agit bien de Hù, cf. t. Ier, p. 16, note 1, la nouvelle était inexacte : arrêté dans la nuit du 29 au 30 frimaire [19 décembre au 20 décembre 1793], il avait été relâché le 9 pluviôse [28 janvier 1794].
12. Décret du 16 pluviôse [4 février 1794]
13. À la séance des Jacobins du 19 pluviôse [7 février 1794], cf. t. III, p. 373, et note 3, Brichet, Mathieu-Jean, originaire de l' Anjou, âgé de 47 ans en l'an II, employé puis sous-chef de bureau au ministère de la Guerre en 1793, membre et secrétaire des Jacobins, d'où Robespierre le fait chasser au cours de la séance sur-indiquée, démissionnaire de ses fonctions à la Guerre le 14 ventôse [4 mars 1794], mis en arrestation quatorze jours plus tard, compris dans la deuxième fournée de la "conspiration du Luxembourg", et condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire le 21 messidor [9 juillet 1794]. Arch. nat., F7 4617, doss. 1 ; W 410, doss. 943.
14. Cf t. III, p. 143, note 2.
15. Cf. t. II, p. 5, note 3.
16. Pas de renseignements confirmatifs de ce bruit.
17. Cf. t. Ier, p. 389, note 1.
18. Cf. t. III, p. 359, note 1.
19. Cf. t. III, p. 273, et note 2.
20. Au Mont-Valérien, cf. t. III, p. 323, note 3.
21. Cf. t. III, p. 265, note 2.
22. Cf. t. II, p. 31. note 2.
23. Cf. t. III, p. 283, note 2.
24. Roissy-en-France, Seine-et-Oise et Dammartin-en-Goële, Seine et Marne.
25. Allusion à l'affaire de Coulommiers et aux condamnations à mort qu'elle venait d'entraîner, cf. t. III, p. 196, note 1.

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