France-Allemagne : on refait le match sur le terrain de la production électrique

  Si d'un point de vue footballistique, la France domine l' Allemagne sur le pré carré depuis maintenant une bonne vingtaine d'années, force est de constater que, dans le même laps de temps, les "bleus" politiques, sélectionneurs compris, enchainent défaites sur défaites sur la bataille de la production d'électricité.
    Le nouveau sélectionneur appelé en avril 2022, pourra-t-il sortir le pays de cette spirale négative?
Va savoir, Charles!

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Débats présidentiels 2022 : Évidences électriques d’une catastrophe annoncée


Jean-Pierre Riou
2021 10 04

  La réindustrialisation de la France est inéluctable. Pour autant, la reprise économique mondiale post-covid révèle déjà son talon d’Achille : la disponibilité d’une énergie que les objectifs climatiques souhaitent transférer sur l’électricité. Et c’est rien moins que l’écroulement d’un château de cartes qui se profile dans un système interconnecté où chacun compte de plus en plus sur le voisin. Les débats électoraux ne sauront s’affranchir de la question énergétique, car elle est au cœur même de chaque programme.

 

Rappel en 3 illustrations
   1° En France, les prélèvements et les dépenses sociales sont nettement supérieurs à la moyenne européenne, et les moyens de toute politique se mesurent à l’aune du produit intérieur brut (% du PIB)

        

  2° Ce PIB est intimement corrélé à la production industrielle

              

  3° Les 2 points précédents, ainsi pertinemment illustrés par l’économiste Claude Sicard dans la Revue politique et parlementaire, doivent interroger sur le déclin de la balance commerciale française, dont le site Statista propose une édifiante illustration reproduite ci-dessous.                                                               

Les raisons d’espérer
  Le climat l’exige, la pandémie l’a rappelé : la France doit relocaliser son industrie. Afin d’assurer sa sécurité en biens essentiels, mais aussi pour revenir sur des délocalisations vers des régions fortement émettrices de gaz à effet de serre (GES) destinées à éviter d’en payer les taxes dans l’Hexagone, tout en se targuant d’un honnête bilan carbone « hors importations ».
  Désormais l’Europe envisage d’instaurer une taxe carbone à ses frontières, dont l’objectif environnemental lui permet de ne pas contrevenir aux accords de libre échange imposés par l’OMC, tandis que le plus gros des émissions territoriales de l’U.E. est couvert par la tarification carbone de l’U.E , la plus forte au monde, derrière le Liechtenstein, la Suisse et la Norvège.
  Cette taxe pouvant d’ailleurs être un facteur de justice sociale et non un poids supplémentaire pour les ménages selon le mode d’affectation de son produit.
  Ce contexte offre une chance à saisir pour l’industrie française. Mais sa compétitivité, liée notamment aux dépenses salariales, le sera également à son énergie, c’est à dire sa sécurité d’approvisionnement et son coût.
  Et, quelles que soient les aspirations de décroissance du prochain Exécutif, il importera qu’il prenne la mesure de la nécessité d’accompagner l’inéluctable relocalisation de nos entreprises, par une vision de long terme de l’énergie dont elle dépendra, c’est-à-dire essentiellement l’électricité.

La France au cœur du boom électrique

  Ces circonstances ont amené Thierry Breton, commissaire en charge du Marché intérieur, à anticiper le doublement de la consommation électrique européenne d’ici 2050.
  L’AIE anticipe d’ailleurs ce doublement de la consommation électrique au niveau mondial dans son scénario NetZeroby2050.
  C’est également ce que prévoient les 2 scénarios « électrification », EL80 et EL95, de l’étude DENA pour l’Allemagne, tandis que ses scénarios « mix technologique », MT80 et MT95, envisagent l’utilisation de différents combustibles.
  Il faut noter que dans ces scénarios « électrification », l’Allemagne s’attend à devenir importatrice nette d’électricité en 2050 : jusqu’à 136TWh pour EL95, 95% de réduction d’émissions.
  On ne peut ignorer que la France est le plus gros exportateur MONDIAL d’électricité quasiment chaque année depuis 1990. Et que le caractère garanti de ses fournitures serait indispensable à l’Europe dans un contexte de relocalisation des industries si l’Allemagne devait devenir importatrice.

Prévisions françaises

  Les scénarios RTE, reprenant les hypothèses de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) prévoient plusieurs variantes de consommation, entre un minimum de 550TWh/an et un maximum de 770TWh/an, contre environ 475TWh aujourd’hui : 483 TWh en 2016 et 473TWh en 2019.
  Soit une augmentation comprise entre 15,8% et un maximum de 62,1% pour le scénario nécessitant l’électrolyse de la « révolution hydrogène » pour l’industrie, sidérurgie verte, la mobilité lourde ou le transport aérien.
  On doit s’interroger sur la pertinence de si faibles prévisions et sur les conséquences pour la France, et l’Europe entière, d’une pénurie d’électricité au moment de saisir sa chance industrielle.

France-Allemagne

  Il est évident que la compétitivité des industries françaises dépendra du coût de son énergie, que celle-ci sera électrique, et que l’Allemagne ne souhaite pas laisser à la France l’avantage actuel du faible prix de son kWh, notamment pour les gros consommateurs que sont nos industriels ainsi que l’illustre l’infographie ci-dessous. ²
                                                          

  Et on comprend l’intérêt de l’Allemagne au développement du réseau européen pour lui permettre de refouler ses surplus éoliens quand le vent souffle sur la Mer du Nord et d’acheter à ses voisins dès que ce vent tombe, plutôt que rallumer de coûteuses centrales à charbon. Le tout en entraînant la convergence des cours européens du MWh grâce aux interconnexions.
  Ces interconnexions font partie des objectifs européens qui imposent à chaque État membre une capacité d’interconnexion d’au moins 10% de sa capacité de production installée, envisage 15% pour 2030 et vient de conclure, dans ce but, un accord sur une enveloppe de 33 Md’€ pour 2021/2027.

Le nucléaire LTO (long term operation)
  Une récente étude de l’ AIE a chiffré les coûts de production d’électricité en intégrant les spécificités de chaque pays et propose un calculateur pour simuler différents taux d’actualisation.
  La prolongation du nucléaire existant, nuclear LTO, y apparaît comme la plus économique.
 Voir illustration ci-dessous, avec un taux de 7%.

                                                              

 

  C’est ainsi que 89 des 97 réacteurs américains ont obtenu la prolongation de leurs licences à 60 ans de fonctionnement, dont 6 d’entre eux une prolongation supplémentaire, subsequent licence renewal, jusqu’à 80 ans. La limitation de la durée de ces licences ayant été fixée explicitement à l’origine pour raison antitrust et non pour une limite technique liée à leur vétusté : This original 40-year term for reactor licenses was based on economic and antitrust considerations — not on limitations of nuclear technology.
  Pour autant, 5 des réacteurs américains dont les licences avaient été renouvelées, ont dû fermer pour cause économique. Car la moitié des réacteurs américains perdraient de l’argent, près de 3 milliards de dollars par an en 2017, face aux gaz de schiste et au véritable « dumping subventionné» des énergies renouvelables.

Le gâchis industriel
  La France vient de fermer la doyenne de ses centrales après 42 ans de fonctionnement, alors que l’Autorité de sûreté nucléaire considérait encore en 2018 que ses performances en matière de sûreté nucléaire, la « distinguent de manière favorable par rapport à la moyenne du parc ».
  Parallèlement, on nous prétend qu’aujourd’hui la France ne serait plus en capacité de permettre un renouvellement de son parc nucléaire susceptible de lui permettre de dépasser 50% de la production nationale dans 30 ans, contre plus de 70% aujourd’hui.
  Notamment RTE qui précise, dans Futurs énergétiques 2050, page 12 « Or ce chiffre (50%) résultait bien d’une analyse technique : en intégrant les contraintes sur la durée de vie du parc existant, les rythmes maximaux de renouvellement du parc nucléaire par la construction de nouveaux réacteurs de troisième génération ainsi que l’effort d’électrification nécessaire pour atteindre la neutralité carbone, une part du nucléaire [de] l’ordre de 50 % de la production d’électricité en 2050 apparaît comme un maximum ».
  Cette prévision, confirmée par EDF, tend à devenir une sorte de justification de la fuite en avant vers plus d’intermittence, sans en assumer la responsabilité.
  EDF étant détenu à 83,77% par l’État il n’est pas étonnant que les discours concordent, puisque la volonté politique de ce dernier brille par son absence.
  Ce qui est un euphémisme en regard de sa stratégie bas carbone puisque le ministère écrivait en novembre 2018 « Le Gouvernement se fixe l’objectif d’atteindre une part du nucléaire au sein du mix électrique de 50% à l’horizon 2035. L’atteinte de cet objectif impliquera la fermeture de 14 réacteurs nucléaires d’ici 2035, avec la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim au printemps 2020 et de 4 à 6 réacteurs supplémentaires d’ici 2030 ».

Tous les œufs dans le même panier européen

  C’est ainsi que pour intégrer le modèle allemand de productions électriques intermittentes, l’équilibre du réseau européen repose sur un système au sein duquel les difficultés prospèrent plus vite que leurs ruineux aménagements.
  Et l’exercice d’équilibrage en temps réel du réseau européen par des énergies qui varient indépendamment des besoins et sont dépourvues de la stabilité dynamique des énormes turbo-alternateurs des centrales conventionnelles synchronisés à 50Hz, est parfaitement illustré par l’exercice d’équilibriste assumé par le gestionnaire du réseau français RTE dans sa vidéo explicative.




  Celui-ci n’ignore pas que l’introduction dans le mix électrique d’une large part renouvelable mais intermittente reste encore strictement conditionné à la réalisation de 4 impératifs technologiques encore hors de portée :
   1° Parvenir à compenser l’absence de stabilité dynamique du réseau,
   2° Parvenir à stocker l’énergie à grande échelle et à piloter la flexibilité de la demande,
   3° Parvenir à dimensionner des réserves suffisantes pour compenser les aléas de production,
   4° Parvenir à étendre et renforcer une restructuration en profondeur du réseau pour lui permettre de transporter les flux spécifiques aux énergies renouvelables.

Un panier percé qui sent le gaz
   Julien Teddé, directeur général du courtier Opera Énergie rappelle dans l’Usine Nouvelle que dans un système connecté, « les prix à terme tendent vers le prix spot », et que ce prix spot « dépend du prix de production de la dernière ressource qui a été appelée par le gestionnaire de réseau, en France, RTE, pour équilibrer la tension sur le réseau à 50 Hz, c’est-à-dire l’offre et la demande ».
   La convergence des cours entre pays interconnectés est fonction de leurs capacités d’interconnexion. Toute divergence étant le signe de l’engorgement de celles-ci.
Dans son rapport de juillet 2018 sur les interconnexions, la CRE explique en effet « Une interconnexion est gérée efficacement si elle est utilisée tant qu’il existe un différentiel de prix entre les deux pays qu’elle connecte . Une faible occurrence de la saturation d’une interconnexion implique alors un taux de convergence des prix important entre les deux places de marché. »
C’est-à-dire que le coût de production le plus élevé, appelé pour équilibrer l’ensemble du système, se répercute sur les pays qui produisent à moindre coût, tant que les interconnexions ne sont pas saturées.
   En juillet 2021, Montel décrivait déjà l’envolée du prix spot du MWh français en raison des sommets atteints par le gaz, le charbon et le prix du carbone et précise : « De nombreuses centrales âgées alimentées au charbon et au gaz du nord-ouest de l’Europe, dont les coûts d’exploitation sont plus élevés, ont fonctionné récemment, faisant grimper le prix marginal de l’électricité ».

La fin d’un modèle
  À la suite du plan Messmer, annoncé le 6 mars 1974, l’essentiel de notre parc nucléaire avait vu le jour sous la présidence de V. Giscard d’Estaing (1974-1981), et ce septennat avait vu la France surpasser le PIB par habitant de l’Allemagne.
  Moins de 10 réacteurs ont été mis en chantier lors de la décennie qui a suivi. Puis aucun pendant 30 ans, jusqu’à l’ EPR de Flammanville.
  Les débats présidentiels de 1981, conservés par l’INA, méritent une attention particulière sur la question du nucléaire, qui ne manquera pas d’orienter les débats de 2022.
  Michaël Mangeon, chercheur à l’UMR5600, a présenté sur Twitter , une brève analyse de ces échanges dont l’actualité reste brûlante.
   "Puisque le nucléaire sera peut-être au cœur de la prochaine campagne présidentielle, je vous propose de revivre en vidéos les échanges sur ce sujet lors du débat présidentiel de 1981 entre le président sortant Valéry Giscard d'Estaing et le candidat François Mitterrand.",
  Et dans laquelle nous voyons V.Giscard d’Estaing déplorer que son concurrent F. Mitterrand souhaite interrompre le programme électronucléaire au niveau alors atteint, en se limitant à l’achèvement des projets en cours. Alors que ce programme nucléaire était destiné à libérer la France de « la dépendance humiliante des pays producteurs de pétrole » en assurant 50% de notre indépendance énergétique.
   Contrairement à F. Mitterrand, VGE assure qu’on ne pourra pas compter sur la fusion nucléaire avant … 2020 et ne cautionne pas le développement du charbon ou des énergies renouvelables préconisés par son rival dans un souci de diversification.

Le château de cartes interconnecté
  L’envolée du prix de l’énergie vient tout juste de donner un sérieux coup de frein aux usines françaises, selon les informations de Montel, qui précise « La hausse des prix de l’électricité devrait coûter « environ EUR 1 milliard » aux électro-intensifs pour 2022, soit une augmentation d’un tiers de leur facture d’électricité », et rapporte que de nombreux groupes ont réduit leur activité, jusqu’à 40% pour le groupe de fertilisants Yara et son usine du Havre.
  C’est la raison pour laquelle Bruno Lemaire a décidé de dénoncer les aberrations de ce marché unique de l’électricité. Marché qui fait payer à l’Europe le prix de l’intermittence allemande à travers celui de son réseau et de ses énergies fossiles, en privant la France de son avantage compétitif sur l’électricité, qui aurait été déterminant à horizon 2050.
  Aujourd’hui, l’Irlande, qui visait 70% de son électricité d’origine renouvelable en 2030, anticipe des coupures de courant pour les 5 prochains hivers et la révision de son système électrique pour utiliser des énergies fossiles.
  Ce qui pourrait n’être qu’un avant goût des pannes monstres et rationnement d’électricité en Chine qui frappent tout le pays en forçant des usines à s’arrêter plusieurs jours d’affilée et font redouter l’arrivée de l’hiver, en compromettant la reprise économique, mais aussi les chaines mondiales d’approvisionnement.
  On imagine l’effet domino d’un tel scénario sur le château de cartes interconnecté européen dans
lequel chacun compte sur le voisin quand le vent tombe.

Une dépendance critique
  Le cours des matières premières, et notamment des énergies fossiles, dépendent plus que jamais de la demande chinoise et indienne, ainsi que des manœuvres géostratégiques telles que celles de la Russie qui renforce son emprise en livrant avec parcimonie son gaz à l’Europe au moment où les stocks doivent être remplis à l’approche de l’hiver.
  Or, si les énergies renouvelables dépendent du gaz pour le lissage de leur production, voir prévisions allemandes à 2050, elles dépendent aussi dramatiquement des ressources minérales dont l’ AIE a relevé  « l’ inadéquation imminente entre les ambitions climatiques renforcées du monde et la disponibilité de minéraux essentiels qui sont nécessaires à la réalisation de ces ambitions ». Les besoins des EnR en minéraux devant doubler d’ici 2030, selon l ’AIE, et quadrupler d’ici 2040. Besoins notamment en cuivre, en zinc, en aluminium et, pour l’éolien en mer, en terres rares.
  Et dans ces marchés, la Chine se taille la part du lion.
  En regard de ces hypothèques, la France dispose de 2 à 3.000 ans de réserve de combustible pour des réacteurs de 4ème génération, du type de Superphénix, arrêté en 1997, pour raison d’accord électoral avec les écologistes, après sa meilleure année de fonctionnement.

Combien de temps encore resterons-nous sourd aux avertissements ?
  Le 22 juin 2007, André-Claude Lacoste Président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) mettait en garde le Gouvernement sur la nécessité de disposer de capacités de production électrique suffisantes pour gérer sereinement les réexamens de sûreté des réacteurs nucléaires. Et concluait « Il importe donc que le renouvellement des moyens de production électrique, quel que soit le mode de production, soit convenablement préparé afin d’éviter l’apparition d’une situation où les impératifs de sûreté nucléaire et d’approvisionnement énergétique seraient en concurrence. »
  L’Europe se croit à l’abri d’un écroulement de son système électrique tel que celui qui paralyse aujourd’hui l’économie chinoise, et la France se permet de fermer des réacteurs nucléaires en parfait état et pour lesquels nous avons de 3 à 5 années de réserve de combustible sur notre territoire.
  Nos élus pensaient également que le covid resterait en Chine.
  À court terme, la France risque de payer très cher la confiance accordée aux capacités de production liées aux caprices de la météo, aux minéraux chinois et au gaz russe, en négligeant leurs effets délétères sur la compétitivité de notre parc nucléaire.

  Image par Alison Innes de Pixabay


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