Influence : " pouvoir social et politique de quelqu'un, d'un groupe, qui leur permet d'agir sur le cours des événements, des décisions prises, etc. "
Larousse
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Chère énergie (suite)
Descartes2021 10 29
Cette semaine a vu la publication du rapport commandé à RTE et sobrement intitulé « Futurs énergétiques 2050 ». Le rapport est maintenant disponible, et pour ceux qui rechigneraient à lire plusieurs centaines de pages, une synthèse fort bien faite peut être téléchargée (1). Dans ce qui suit, les références concernent cette synthèse.
Le rapport s’est attaché à étudier six scénarios pour la production d’électricité qui permettant d’atteindre la neutralité carbone. Ces scénarios vont d’un scénario dit « N03 », 50% nucléaire/50% renouvelables, à un scénario dit M0 dit « 100% renouvelable ». Il n’en faut plus pour qu’un certain nombre de nos leaders politiques en tirent des conclusions à tort et à travers. Jean-Luc Mélenchon, pour ne nommer que lui, va jusqu’à écrire que « le rapport RTE et Négawatt démontrent qu’atteindre le 100% renouvelables et la neutralité carbone en 2050 est tout à fait possible ».
Une telle conclusion est, bien entendu, absurde. Elle montre par ailleurs une grande méconnaissance de la manière dont les études sont conduites. En fait, les six scénarios sont choisis à priori, dès le démarrage des travaux. On aurait pu par exemple prendre un scénario 80% nucléaire, qui est certainement réalisable – puisqu’il est réalisé – mais que RTE n’a pas retenu puisque l’autorité politique reste fixée sur l’objectif de 50%, et que l’étude aurait pu aboutir à démontrer que le scénario 80% est finalement le plus économique… L’étude ne fait ensuite qu’établir à quelles conditions ces scénarios pourraient être réalisés.
Et quand on regarde le scénario 100% renouvelable, on se rend compte que ces conditions sont particulièrement contraignantes. Elles sont bien résumées dans le tableau qui se trouve à la page 17. À côté des colonnes listant les différentes sources de production, éolien, solaire, etc., on trouve une mystérieuse colonne intitulée « bouquet de flexibilités en 2050 ». Cette colonne liste les moyens de production nécessaires au pilotage du réseau – notamment liés au caractère intermittent des renouvelables. Et si ces moyens sont fort limités pour les scénarios à 50% de nucléaire, pour les scénario « 100% renouvelable », elles sont particulièrement croquignolettes : « flexibilité de la demande (2) : 15 GW ; vehicule-to-grid (3) : 1,7 GW ; nouveau thermique décarbonné : 29 GW ; batteries : 28 GW ». Ces « flexibilités » sont détaillées page 37 du rapport.
Prévisible, n’est-ce pas ? Pour aboutir à « 100% renouvelable », il faut une puissance de soutien installée supérieure à la puissance de notre parc nucléaire existant, ce qui est logique puisqu’il faut pouvoir prendre en charge la totalité de la production au cas où le vent tomberait et que le ciel serait couvert. Et ce n’est pas tout : le « nouveau thermique décarbonné », i.e. alimenté par la biomasse, le biogaz ou par des fossiles avec capture du CO2, dépend de technologies qui n’existent pas encore. Quant aux batteries, il faudrait un saut technologique majeur – dont rien ne dit qu’il soit possible – pour aboutir à de tels capacités à un prix raisonnable (4). Autrement dit, ce scénario n’est « tout à fait possible », pour reprendre la formule mélenchonienne, que si l’on suppose ces technologies disponibles.
Or, les auteurs du rapport n’y croient qu’à moitié. Ils l’écrivent dans un langage policé mais sans équivoque : « Ces quatre conditions sont les suivantes : (1) l’arrivée à maturité de solutions technologiques permettant de maintenir la stabilité du système électrique sans production conventionnelle, (2) le déploiement à grande échelle des flexibilités, (3) la maîtrise des enjeux de développement des réserves techniques, et (4) une mise à niveau des réseaux électriques nationaux. Les validations techniques à apporter pour atteindre cette cible demeurent importantes et nécessitent un effort de R&D conséquent ». page 42. Pourquoi alors avoir inclus ce scénario ? Pour une raison très simple : si ce scénario figure dans le rapport, ce n’est pas parce que RTE y croit, mais parce que lors du lancement de l’étude le ministère chargé de l’énergie a lourdement insisté pour qu’un tel scénario figure parmi les « possibles »… Hors de question donc de l’exclure, ou de tirer la conclusion que le choisir pour référence pourrait mettre en danger l’avenir énergétique du pays. D’où le travail plus ou moins honnête fait par les experts : on met les contraintes sur la table, et à chacun de tirer ses conclusions…
Ce qui suppose, bien entendu, que le politique fasse une lecture sérieuse du rapport. On peut douter, en lisant les réactions de Mélenchon, de Jadot ou d’autres, que ce soit le cas. Mais ce n’est pas le plus déprimant. Le plus terrible dans ce rapport se trouve lorsque les auteurs écrivent que « les nouveaux réacteurs, de troisième génération, dont la construction serait décidée aujourd’hui, entreraient en service à compter de 2035 au mieux, au rythme d’une paire tous les quatre ans ». Autrement dit, on suppose qu’entre la décision de construction et la mise en service il se passera au minimum quinze ans. À titre de comparaison, il s’est écoulé sept ans entre la décision de construire Fessenheim et la mise en service du premier réacteur. Quant à la deuxième tranche du programme, elle a été décidée en 1974 et les premiers réacteurs démarrent en 1980, soit six ans plus tard. Entre 1980 et 1986, on mettra en service entre quatre et cinq réacteurs par an. En faisant la comparaison, on ne peut que pleurer sur notre recul industriel. Car s’il est incontestable que l’ EPR est bien plus complexe que nos 900 ou 1300 MW, on doit aussi constater que nos moyens de calcul, nos technologies de chantier, etc. ont-elles aussi fait un saut quantique. Alors, pourquoi faut-il aujourd’hui trois lustres là où un seul suffisait hier ? Quant aux réacteurs à neutrons rapides… ils ne sont mentionnés que pour rappeler qu’on a arrêté toute recherche dans ce domaine !
Mais le rapport en question montre aussi une certaine prise de conscience. Ainsi, les auteurs écrivent que « Les projections économiques des « Futurs énergétiques 2050 » montrent qu’il est peu probable que les énergies renouvelables se financent directement par les revenus sur les marchés sans aucune forme de soutien public ou de contrat long terme de type Power Purchase Agreement (PPA). Ainsi, même si la production d’énergie solaire est très compétitive, sa rémunération attendue sur les marchés pourrait être plus faible qu’attendue en raison du phénomène de « cannibalisation » de la valeur, les prix de marché s’effondrent quand la production solaire est maximale. Il en va de même du nucléaire. Les nouveaux réacteurs sont des investissements extrêmement capitalistiques, et l’expérience de ces dernières années montre qu’ils ne pourront se développer sans soutien public fort, qu’il prenne la forme de contrats pour différence ou d’un investissement public direct. Leur pertinence économique est assurée sous réserve de bénéficier de conditions de financements cohérentes par rapport à celles des autres technologies bas-carbone, souligné des auteurs.
On espère qu’à Bruxelles on jettera un œil sur ce rapport… mais en attendant, on est obligé de constater qu’on fait beaucoup de rapports, mais qu’on ne prend jamais la moindre décision. Le rapport de RTE évoque d’ailleurs les décisions qui devraient être prises lors de l’élaboration de la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en 2023. Encore une année de perdue…
(1) https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-10/Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats_0.pdf
(2) la « flexibilité de la demande » est la capacité du gestionnaire du réseau à « effacer » tel ou tel consommateur.
(3) le « véhicule-to-grid » est la capacité d’utiliser l’électricité stockée dans les batteries des voitures en cours de chargement pour supporter temporairement le réseau.
(4) pour donner une idée des ordres de grandeur, une batterie de voiture neuve peut fournir une puissance de l’ordre de 700 W pendant une heure. Pour fournir 26 GW, il faudrait donc quelque 40 millions de batteries de voiture… et si en plus il faut stocker l’énergie pendant la journée pour la rendre pendant toute la nuit… vous voyez le tableau.
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