Jean-Pol Poncelet: «En Europe, la politique énergétique va droit dans le mur»

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Xavier Counasse
samedi 6 mai 2017

L’ex-ministre Jean-Pol Poncelet (CDH) admet que la dérégulation du marché de l’énergie, qu’il a lui-même défendue dans les années 90, était une erreur.


© AFP.

Jean-Pol Poncelet
Né le 10 avril 1950, Jean-Pol Poncelet est ingénieur civil en physique nucléaire diplômé de l'UCL.
En 1995, il est nommé Vice-Premier ministre et Ministre de la Défense au sein du gouvernement Dehaene. Il fut également ministre de l'Énergie en 1998. Il quitte la politique en 2001, et dirige aujourd’hui le lobby nucléaire européen Foratom.


L’histoire de l’Union européenne est intimement liée à celle de l’énergie. Tout démarre en 1951, avec la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. À six au début. À 28 (-1) aujourd’hui. Mais s’il est un sujet sur lequel l’Union s’est désunie avec le temps, c’est l’énergie.

Un sujet qui valait bien un bouquin. Jean-Pol Poncelet, ex-ministre de l’Energie (CDH), s’en est chargé. Dans sa Chronique d’une ambition énergétique manquée, il raconte les ratés européens autour du gaz, du nucléaire, des renouvelables. Et plaide pour la fin de la dérégulation du marché électrique.

Pourquoi ce livre ?
J’ai quitté la politique belge en 2001. Depuis 15 ans, mon quotidien, c’est l’Europe. D’abord au sein de l’Agence spatiale européenne, puis Areva, et maintenant Foratom (le lobby européen de l’industrie nucléaire, NDLR). Je vais quitter mes fonctions cet été à 67 ans. Juste après l’anniversaire des traités de Rome. Des traités. Car il y en avait deux, même si la Commission ne veut plus parler du second, baptisé Euratom. Ce livre, c’est l’occasion d’en parler. L’occasion de raconter ce que je vis au quotidien : l’échec de la politique européenne de l’énergie.

L’échec, c’est l’absence d’une politique énergétique coordonnée ?
Il faut rendre grâce aux fondateurs de l’Union, qui avaient une vision. Aujourd’hui, nous n’avons plus de vision collective. Depuis que Jacques Delors est parti, il n’y a plus de grand penseur, de grand stratège européen. Mais revenons au traité Euratom, consacré à l’énergie nucléaire. Il créait des mécanismes supranationaux auxquels on n’ose même plus penser aujourd’hui. Exemple : une agence d’approvisionnement unique. Tous les opérateurs nucléaires devaient donc acheter leur uranium à travers cette même société. Imaginons que l’on ait aujourd’hui un acheteur unique pour le gaz naturel en Europe, pour tous les consommateurs. Notre relation à Poutine changerait directement ! Pour le nucléaire, on l’a fait. En 1957 ! Si on avait eu l’audace de mettre en place ce modèle pour le gaz naturel ou les renouvelables – où il n’y a que des mesures nationales hétérogènes - on aurait un tout autre monde. Mais les États membres n’en ont pas eu le courage. La volonté.

Un comportement « suicidaire », écrivez-vous…
On va dans le mur. Sur le plan géopolitique, ce n’est pas l’Allemagne, la France ou l’Italie qui vont imposer leur point de vue. Ils ne comptent pas, individuellement. Mais collectivement, on a une petite chance. Et ça, un certain nombre de gouvernements ne l’a pas encore compris. La Commission a régulièrement rappelé que, pour une vraie politique énergétique européenne, il fallait se soucier de trois choses : la compétitivité, la sécurité d’approvisionnement, et la durabilité. La compétitivité parce que l’énergie est le moteur de la croissance, donc du bien-être. La sécurité d’approvisionnement car nous dépendons pour une grande partie de ressources fossiles majoritairement russes. Et la durabilité, ou l’action climatique, car il faut décarboner l’économie. L’Union européenne n’a privilégié que ce troisième volet, au détriment des deux autres. Et encore, elle l’a mal fait. Mais la vertu climatique sera de peu de secours quand il s’agira d’affronter la vraie géopolitique. Si vous pensez qu’être vertueux en matière climatique empêchera M. Poutine de couper le robinet, oubliez ! On est naïf.

Vous dites qu’on décarbone mal. Pourquoi ?
On a confondu la fin et les moyens. Décarboner l’économie, ça ne veut pas dire uniquement faire des renouvelables. On a focalisé l’effort de décarbonation sur la seule électricité, qui n’est qu’une petite partie de notre approvisionnement énergétique. Et on a fait cela à un moment où l’électricité était en pleine réforme (la « libéralisation » du marché, NDLR). On n’avait même pas fini cette réforme un peu bancale qu’on lui a superposé les subventions aux renouvelables. Résultat, le marché de l’électricité est sinistré. Et il n’y a plus d’investissements hors subvention.

Il faut donc s’attaquer aux économies d’énergie ? Au secteur du transport ?
Évidemment. Le dossier le plus important, et le plus faible dans la politique européenne, c’est l’économie d’énergie. Il y a des gisements colossaux d’économie, qu’on a laissés de côté. Parce que ce n’est pas sexy politiquement. On préfère dire qu’on va implanter du photovoltaïque.
Un monde 100 % renouvelable, vous y croyez ?
Pas avec les technologies actuelles. C’est une illusion de croire que dans les 15-20 années à venir, on pourrait substituer totalement les énergies fossiles par du renouvelable. On a vendu des solutions mensongères.

Et « l’Union de l’Énergie » de Jean-Claude Juncker ?
C’est un emballage politique à la Juncker. On donne l’illusion d’une ambition, par nature irréaliste. Car le traité de Lisbonne (2009) empêche cette union. Il confirme la compétence exclusive des seuls États membres s’agissant de l’exploitation de leurs ressources énergétiques, du choix de leurs sources d’énergie et de la structure de leur approvisionnement.

Vous avez validé la « libéralisation » du marché de l’électricité quand vous étiez ministre. Des regrets ?
J’ai vendu cette réforme de bonne foi, en affirmant qu’en dérégulant, il y aurait plus d’acteurs sur le marché. Donc plus de concurrence. Et des prix plus bas. Aujourd’hui, j’ai l’humilité de reconnaître que ça n’a pas marché. Le résultat, c’est qu’il y a moins de concurrence et que les prix ont augmenté. Sur ce marché illusoire, on vend à certaines heures de l’électricité à des prix négatifs. Autrement dit, certains sont prêts à payer pour qu’on achète leur électricité. Si ce n’est pas la preuve que cela dysfonctionne…

Il faut faire marche arrière ?
Est-ce qu’un marché, totalement myope, est capable d’investir à long terme ? Est-ce qu’il tient compte de défis tels que les changements climatiques, la sécurité d’approvisionnement, la précarité de certaines familles… Évidemment que non. Il faut aller voir un peu ce qu’il se passe ailleurs. La Californie est un bel exemple. On a dérégulé totalement le marché. Et ça a été la plus grande faillite de l’histoire des États-Unis. Mais il n’a pas fallu cinq ans pour réagir. Ils ont recréé une sorte de commission publique, et tout est géré par cette puissance publique, qui programme les investissements, qui détermine les tarifs, qui encourage les économies d’énergie…

Et l’Europe devrait suivre l’exemple californien…
Ils n’ont pas encore viré leur cuti. La Commission est toujours dans l’idée que la solution au problème, c’est le marché. Et que si ça ne fonctionne pas encore bien, c’est qu’on n’a pas été assez loin dans le marché. C’est une erreur monumentale. 

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