La « votation citoyenne » grenobloise : démocratie participative ratée ?

Laurie Debove
10 mai 2018




Jeudi 3 mai, le rapporteur public, au tribunal administratif de Grenoble, a tranché en faveur du préfet de l’Isère, Lionel Beffre, qui veut faire annuler le dispositif d’interpellation et votation d’initiative citoyenne mis en place par l’équipe municipale de Grenoble. Alors que ce dispositif est présenté comme un outil innovant de démocratie participative, il est pourtant l’objet de nombreuses controverses et déceptions parmi les citoyens grenoblois.

Pétition et « votation citoyenne »
Mis en place depuis 2016, le dispositif d’interpellation et votation d’initiative citoyenne se veut un outil de démocratie participative innovant pour les habitants de Grenoble. L’objectif ? « Enrichir l’offre en matière de démocratie locale » selon l’avocate chargée de défendre le projet face au préfet de l’Isère, comme le rapporte la journaliste Séverine Cattiaux pour le média local Place Gre’ Net.
Pour interpeller les élus, les grenoblois doivent d’abord présenter une pétition « relevant de la compétence municipale ». Une fois que les services de la Ville ont validé les critères de recevabilité, le(s) porteur(s) de pétition doi(ven)t alors récolter 2 000 signatures. Si le nombre de signatures est atteint, le(s) porteur(s) peuvent ensuite présenter leur proposition pendant un conseil municipal. Soit le Maire retient la proposition, soit il la soumet à l’avis des Grenoblois. C’est là qu’entre en jeu le terme de « votation citoyenne ». Construite à la façon d’un référendum, elle permet aux grenoblois de se prononcer sur la proposition concernée. Si cette dernière réussit à obtenir une majorité favorable sur un minimum de 20 000 votants participants, le Maire de Grenoble « s’engage à la mettre en œuvre ».


Innovation démocratique et législation
Le préfet de l’Isère, Lionel Beffre, reproche à ce dispositif de ne pas respecter les lois en vigueur en la matière, notamment l’article 72-1 de la Constitution sur les référendums locaux et le droit de pétition local, et l’article L. 1112-15 du Code général des collectivités territoriales qui prévoit la possibilité de consulter les citoyens. Par exemple, le préfet pointe du doigt le fait que les résidents grenoblois peuvent participer à une « votation citoyenne » même sans être inscrits sur liste électorale, et dès l’âge de 16 ans, alors que dans le référendum légal seuls peuvent participer les électeurs (donc majeurs) inscrits sur liste. Également, le nombre de 20 000 voix proposé par les élus municipaux est trop faible par rapport au texte de loi sur le référendum local qui exige que plus de la moitié des électeurs s’exprime pour qu’une décision soit adoptée.

Surtout, le préfet de l’Isère accuse la Ville de se prendre pour un législateur. L’équipe municipale grenobloise plaide « l’innovation démocratique » tandis que le rapporteur donne raison au préfet en précisant au tribunal jeudi matin que « la Constitution n’a pas voulu que la population impose des décisions ». Cette dernière phrase peut soulever quelques interrogations, si ce n’est des inquiétudes, dans une démocratie représentative où les représentants politiques sont censés incarner la volonté générale des citoyens.

Dispositif innovant ou dispositif de communication ?
L’avocate de la Ville a voulu rassurer le rapporteur et le préfet en leur rétorquant que le dispositif est « loin de dicter l’ordre du jour au Maire » puisqu’il n’a été, en deux ans, utilisé qu’une seule fois concernant la hausse des tarifs du stationnement. La pétition alors lancée demandait … « une vraie concertation » sur le sujet. Si la pétition avait bien recueilli les 2 000 signatures, la « votation citoyenne » concernée, elle, n’avait pas regroupée les 20 000 participations nécessaires, annihilant la demande de concertation. Le Comité de liaison des unions de quartier de Grenoble (Cluq), qui portait la demande, avait reproché à la Ville de ne pas avoir mis en place les bureaux de vote nécessaires pour atteindre l’objectif des 20 000 participations. 
Autre polémique, la Mairie de Grenoble avait refusé que la pétition du collectif « Touchez pas à nos bibliothèques » ne soit soumise à votation citoyenne, ne respectant donc pas la promesse de son « dispositif démocratique innovant » et soulevant l’indignation parmi les défenseurs des bibliothèques. Cette volonté de « permettre le dialogue dans l’intérêt général », dixit Pascal Clouaire, adjoint à la démocratie locale, ne serait-il alors qu’un dispositif de communication ? C’est l’avis du Groupe d’Analyse Métropolitain (GAM), groupe informel de citoyens, qui considère ce dispositif comme « une farce démocratique ».
A leurs yeux, si l’équipe municipale avait été sincère dans sa démarche, elle aurait alors dû utiliser l’expérimentation législative locale pour mettre en place le dispositif en bonne et due forme, et pouvoir faire figure de précurseur en matière de démocratie participative directe. Pour Romain Rambaud, professeur de droit à l’ UGA, « le vrai problème est la loi sur le plan national, qui est trop conservatrice ».
La décision finale sur le sort de cet outil démocratique local sera rendue publique dans 15 jours. Cette polémique résonne de concert avec le nouveau documentaire de Datagueule paru il y a 5 jours : Démocratie(s) ?

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