Macron et Disney vont bétonner des terres agricoles mais… chut !

Maxime Lerolle


Commentaire : comme le lobby éolien, hein Reporterre? Mais... chut!

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Fin février, le PDG de la Walt Disney Company annonçait, devant Emmanuel Macron, un plan de 2 milliards d’euros pour l’extension du parc d’attractions de Marne-la-Vallée. Mais ni la compagnie ni les organismes publics ne délivrent la moindre information précise sur cet investissement, qui va pourtant accaparer des terres agricoles de grande qualité. Enquête.

Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne et Seine-Saint-Denis), reportage


27 février 2018 : rencontre au sommet à l’Élysée. Robert Iger, PDG de la Walt Disney Company, annonce en grande pompe, aux côtés d’Emmanuel Macron, un nouveau plan de développement pluriannuel pour le parc d’attractions Disneyland Paris. Au total, deux milliards d’euros consacrés à l’expansion du parc Walt Disney Studios autour de trois nouvelles zones thématiques. Elles seront dédiées aux « univers » Marvel, La Reine des neiges et Star Wars, ainsi qu’à l’inauguration d’un lac qui reliera entre elles ces trois aires et accueillera des spectacles.
Emmanuel Macron ne tarit pas d’éloges quant au projet : dans un tweet daté du 27 février, le président de la République se fend d’un « France Is Back ! ». À la suite du chef de l’État, les grands médias français relaient la déclaration avec enthousiasme. Mais sans se poser de question. Pourtant, la déclaration élyséenne élude un point sensible : où s’étendra le parc ? Alors que les terres agricoles de la région de Marne-la-Vallée sont réputées pour leur qualité, un projet d’une telle envergure risque d’accroître une pression foncière des plus fortes sur les derniers agriculteurs du Val-d’Europe, le secteur urbain où se situe Disneyland.

Frozen, Star Wars and Marvel, three new lands to open in @DisneyLandParis. Thank you @RobertIger for your long-term investment and very strong commitment in France. Your confidence shows that France is back! #ChooseFrance

La proximité entre l’État français et Disneyland ne date pas d’hier. À vrai dire, elle remonte à l’origine du projet. Le 24 mars 1987, dans un contexte de crise économique et de chômage de masse, le gouvernement de Jacques Chirac avait signé une convention avec la compagnie états-unienne. Cette convention fixait les règles du jeu jusqu’à 2017. À travers l’Établissement public d’aménagement (EPA) France, l’État s’engageait à préparer la venue d’un investisseur présenté comme providentiel, tout d’abord en rachetant 1.943 hectares de terres agricoles, d’où l’ EPA a exproprié la quasi-totalité des exploitants, puis en prolongeant la ligne A du RER jusqu’à Marne-la-Vallée/Chessy, le terminus actuel de sa branche Nord-Est.

Ce patrimoine foncier, géré par l’ EPA, se trouve aujourd’hui enserré par un boulevard urbain, la « rocade », qui délimite la zone d’extension du parc. En échange, pour son ouverture au public en 1992, Disneyland promettait 15.000 emplois à une ville nouvelle en plein essor. Le 14 septembre 2010, un avenant à la convention a prolongé celle-ci jusqu’en 2030, accordant en outre 287 hectares supplémentaires au parc par-delà la rocade — là encore gagnés sur de riches terres agricoles — dans le cadre du projet Villages nature.



Le parc Eurodisney, sa « rocade » et les terres agricoles qui demeurent (en jaune, partie est)

Redoutant l’extension de l’emprise sur les terres agricoles, Reporterre a souhaité en savoir plus. Mais notre enquête a rencontré un obstacle de taille : le verrouillage de la communication.

Pendant plus d’un mois, Reporterre a multiplié les messages et appels téléphoniques auprès des services de presse de Disneyland et de l’ EPA France. Le premier se montra d’abord courtois, mais catégorique. Dans un courriel début mars, un chargé de communication de la compagnie précisa que « le projet n’étant qu’au stade du creative process, nous n’avons pas de renseignement supplémentaire à vous apporter ». Soit. On peut cependant demeurer sceptique, étant donné que la construction de trois nouvelles aires thématiques et d’un lac se planifie longtemps à l’avance. À défaut d’obtenir des informations sur la teneur de l’extension, Reporterre souhaita connaître la politique de Disney quant à son patrimoine foncier. Or, le premier chargé de communication partit en vacances ; puis les suivants refusèrent de répondre à nos demandes ; enfin, de retour de vacances mi-mars, le premier déclara se mettre en quête de « la bonne personne pour répondre à vos questions ». Malgré nos relances, on attend toujours.


Dans la « rocade » d’ Eurodisney

L’ EPA France pratiqua une stratégie similaire. La chargée de communication eut beau se montrer courtoise et bienveillante envers nos demandes, nous n’obtînmes jamais de contacts au sein de l’établissement public. Nos questions concernaient pourtant des informations qui devraient être publiques : nous demandions un historique des terres situées au sein de la rocade de Disneyland, leur statut actuel, ainsi qu’un plan foncier. Fin mars, après trois semaines de relances, arriva un courriel au ton ferme : « Nous n’avons à ce stade pas d’information complémentaire à vous transmettre. » Notons que d’information tout court, nous n’avions jamais eue.
Que doit-on retenir de ce verrouillage complet de la communication sur la mise en œuvre de l’extension annoncée ? D’abord que ne connaissant rien de la nature du projet, ni de son emplacement au sein ou en dehors de la rocade périphérique, on peut s’attendre à tout. Ensuite, que si ni Disneyland ni l’ EPA France — en dépit de son caractère public — ne souhaitent s’attarder sur ce qui se passe à l’intérieur de la rocade. Devenue une quasi-chasse gardée, il y subsiste une quinzaine d’exploitants agricoles, soumis à des baux précaires.
« C’est à prendre ou à laisser. Si les chantiers grignotent nos récoltes, on reçoit des indemnités »

 
Dans la « rocade » d’ Eurodisney.

Reporterre a rencontré l’un d’entre eux. Pierre Dugravot, la trentaine, exploite 90 hectares à l’intérieur de la rocade, compressés entre l’univers aux couleurs kitsch du parc Walt Disney Studios et l’agglomération de Val-d’Europe, à l’expansion continue. Les terres qu’il exploite rasent les murs de Disneyland. À tel point qu’au ronronnement du tracteur dans les champs se mêlent les cris des visiteurs dans les montagnes, les cuivres de la fanfare de Mickey et les pétarades des fêtes venus de l’enceinte du parc.
Depuis cinq ans, le jeune agriculteur produit maïs et blé sur les terres de son père, qui avait vu la majeure partie de l’exploitation familiale expropriée au moment de l’ouverture du parc. Seuls les agriculteurs historiques ou leurs héritiers peuvent encore travailler à l’intérieur de la rocade. Leur situation est des plus précaires. « Chaque année, au mois d’août, l’ EPA nous envoie un plan des projets de l’année, détaille Pierre Dugravot. C’est à prendre ou à laisser. Si les chantiers grignotent nos récoltes, on reçoit des indemnités. Si l’on refuse le plan, un autre agriculteur se chargera de nos terres. »

Aussi, la taille de son exploitation se contracte peu à peu. Le jour de notre rencontre, un chantier d’immeubles résidentiels gagnait du terrain sur son champ de blé. « Je perds en moyenne dix hectares chaque année », dit-il. Une perte certes en partie compensée par la reprise des terres des exploitants partis à la retraite ou la mise en culture de friches, mais une perte tout de même inexorable. Grignotée de toutes parts, l’exploitation ne rapporte plus autant que par le passé : « Je suis à la marge plus qu’au rendement. Mon but, c’est l’équilibre budgétaire. »


Dans la « rocade » d’ Eurodisney

En dépit de cette politique unilatérale, l’exploitant garde le sourire. « Ça fait trente ans que mon père répète que “dans dix ans, y aura plus rien !En attendant, y a toujours quelque chose. » Il sait pour autant que ses terres représentent une aubaine de « court ou moyen terme » et qu’un projet comme l’extension de Disneyland, dont il n’a reçu lui non plus aucune information, pourrait lui « prendre cinquante hectares ».

Heureusement, Pierre Dugravot dispose de 220 hectares à Saint-Soupplets, à une trentaine de minutes en voiture de la rocade, qui constituent son exploitation principale. Une situation commune aux agriculteurs à l’intérieur du boulevard périphérique. Grâce à ces terres extérieures à la rocade, l’exploitant peut afficher une certaine nonchalance quant à la politique de Disneyland et de l’ EPA. Connaissant le destin qui attend ses terres de Val-d’Europe, il ne cherche pas le conflit avec les institutions, et se contente de tirer profit le plus longtemps possible de l’héritage familial : « Je viens, je fais et je repars. »

Pendant ce temps, Mickey prospère sur la résignation des agriculteurs locaux. Et le bétonnage des terres agricoles, parmi les meilleures de France, continue.

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