Commentaire : bien remettre l' Humain à sa (petite) place dans l'Histoire de la planète. À couper le souffle. Et, n'oublions pas :
"De passage, de passage,
Triste, heureux voyage,
Dans ce monde en rage,
Dis-toi bien, je suis seulement de passage."
Extrait de la chanson : "De passage"
(Léonard Cohen-Graeme Allwright)
Adaptation française de "Passing through"
(Léonard Cohen)
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La preuve par l’argile. C’est l’apport d’un article à paraître dans American Journal of Science, une revue de sciences de la Terre,
bien cotée dans les labos. La preuve que des traces fossiles
exceptionnelles – celles d’un écosystème diversifié et marqué par des
êtres de taille décimétrique qui s’épanouissaient il y a 2,1 milliards
d’années dans les eaux d’une mer peu profonde – ont bien bénéficié d’un
régime de conservation lui aussi exceptionnel.
L’équipe scientifique animée par le Professeur Abderrazak El Albani (Université de Poitiers)
qui présente cette découverte à ses pairs améliore ainsi un record de…
500 millions d’années. Celle de la plus vieille argile issue de la
transformation des cendres volcaniques – dite bentonite – conservée en
l’état depuis sa formation. Jusqu’alors, les géologues dataient d’il y a
1,5 milliard d’années la plus vieille bentonite connue. Une sorte
d’argile connue pour ses propriétés « gonflantes » lorsqu’on l’hydrate,
capable ainsi de colmater les trous où elle s’est insérée. Celle que
l’équipe d’ El Albani a dénichée, provient d’un site fossilifère du
Gabon, dans le bassin de Franceville, d’une importance cruciale pour
l’histoire de la vie.
Son origine ? El Albani raconte ainsi son histoire. «Il
y a environ 2,1 milliards d’années une forte éruption volcanique s’est
déroulée. Dans les parois de sa chambre magmatique, se trouvaient de
minuscules grains de zircons archéens de 2,9 milliards d’années,
enchâssant des isotopes du plomb et de l’uranium dont les proportions
trahissent l’âge de la formation de la chambre magmatique ainsi que le
type très explosif de l’éruption. Puis, il y a 2,1 milliards d’années,
une violente éruption a projeté dans l’atmosphère une énorme quantité de
« cendres ». Des poussières de roches qui, lors de leur montée, ont
raclé les parois et emporté avec eux ces minuscules grains de zircon.
Puis, ces poussières se sont déposées dans l’eau de la mer proche. En
réagissant avec l’eau, elles se sont transformées en bentonite et ont
constitué une couche bien nette, de 10 à 20 centimètres, entre deux
couches de sédiments marins. Pour l’œil du géologue, c’est une évidence,
avec cette sorte de sandwich, formé de deux couches grisâtres enserrant
une couche verdâtre, fine, soyeuse et brillante… la bentonite.»
La protection du craton
L’équipe
d’ El Albani a méticuleusement étudié cette argile pour en publier une
analyse complète. Son origine, sa géochimie, sa minéralogie, sa
formation, son altération… On comprend facilement son intérêt, en raison
d’une ancienneté qui constitue un record impressionnant. Et surtout
d’un état de conservation tout à fait unique. Cette argile ayant été
protégée durant deux milliards d’années des réchauffements,
compressions, torsions et autres tortures géophysiques et géochimiques
qui ont profondément altéré la quasi totalité des argiles aussi
anciennes. Nul mystère, pourtant, dans la durée de ce régime spécial. Le
bassin de Franceville est en effet sous la protection d’un « craton »,
une formation granitique archaïque qui l’a mis à l’écart des agressions
susceptibles de métamorphiser cette argile, lui faisant perdre son
allure et ses propriétés d’origine.
Un écosystème exceptionnel
Un écosystème exceptionnel
Toutefois, son importance scientifique
est loin de se limiter à ce record. Elle provient surtout de son lien
avec l’une des découvertes les plus formidables de l’histoire de la vie
sur Terre. Lorsque le volcan entre en éruption, l’actuel bassin de
Franceville est une mer peu profonde, en bordure d’un super continent,
placé dans l’hémisphère sud.
Or, cette mer abrite un écosystème
complexe comprenant des êtres multicellulaires de tailles décimétriques.
Des êtres formés de cellules variées, flottant entre deux eaux, rampant
sur le fond ou creusant des tunnels dans la vase.
Découvert en 2008, publié dans la revue Nature
en 2010 puis Plos One en 2014, cette découverte fut un coup de
tonnerre, écroulant un dogme de la paléontologie : il n’y a pas de vie
multicellulaire avant 700 millions d’années. La revue en fit sa Une
tant la surprise fut grande. Cet écosystème varié, qui va de colonies
bactériennes à des êtres complexes, va durer environ 200 millions
d’années. Puis disparaître, puisqu’il faudra attendre la première faune
d’ Ediacara, il y a 635 millions d’années, pour retrouver des êtres
macroscopiques et multicellulaires.
La découverte de l’équipe d’ Abderrazak El
Albani a depuis donné lieu à de nombreuses recherches. En particulier
sur l’histoire de la teneur en oxygène de l’atmosphère. Son augmentation
il y a 2,1 milliards d’années, jusqu’à 20% de sa valeur actuelle,
semble constituer la clef de l’apparition de ces êtres vivants macroscopiques
– plus d’oxygène permettant un métabolisme plus actif. Puis la
réduction de cette teneur pourrait expliquer la disparition, durant près
d’1,5 milliard d’années de toute forme de vie multicellulaire et
macroscopique. L’analyse de cette argile en constitue une pierre de
plus, confirmant le caractère tout à fait exceptionnel de la
conservation des traces fossiles de l’époque. Elle indique peut-être
vers où diriger d’autres fouilles, dans des lieux eux aussi susceptibles
d’avoir été protégés aussi bien et aussi longtemps. Mais elle avertit
aussi qu’il n’est pas impossible que cette qualité de conservation pour
des roches de cette époque, très rares, soit unique sur la planète.
Cette hypothèse renforce la nécessité de
considérer le site fossilifère gabonais comme un trésor scientifique
planétaire. Au moins tant qu’un autre site présentant la même faune
n’aura pas été trouvé. Et l’on se dit que l’équipe d’ El Albani devrait
être correctement financée pour des recherches aussi excitantes, sur un
sujet où elle joue un rôle de leader mondial incontesté. Or, comme le relatait cet article paru dans Le Monde,
cette équipe se heurte à un refus prolongé de tout financement par
l’Agence nationale de la recherche (ANR)… laquelle, il est vrai,
repousse 90% des projets présentés par les chercheurs dans son programme
non thématisé, faute de moyens. Les derniers travaux d’ El Albani, dont
celui sur la bentonite, n’ont pu se dérouler qu’avec le soutien de
l’ex-région Poitou-Charente… et celui de l’Etat Gabonais.
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