Etudes énergétiques : quelle crédibilité peut-on leur accorder ?

Elsa Pinelli 
15/02/2019


Dans le cadre du dernier débat public sur la PPE, plusieurs études énergétiques ont largement critiqué la place accordée au nucléaire dans le futur mix électrique national. Que valent-elles ? Sur quels fondements reposent-elles ? 


Une PPE qui fait débat
Réflexion en profondeur sur le futur modèle énergétique national, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) promettait des discussions sans fin sur le rôle de chaque filière en France. Un an après le lancement du débat public, le consensus est encore loin d’être trouvé entre les différents acteurs du secteur énergétique et le gouvernement, qui a présenté fin novembre 2018 les orientations à suivre pour la décennie à venir. Parmi ses conclusions, un sujet concentre les critiques des études et autres analyses d’experts en énergie : le maintien d’une filière nucléaire prépondérante, avec une part dans le mix électrique français réduite à 50 % d’ici 2035, au lieu de 2025 comme initialement prévu. Lors de l’annonce des conclusions de la PPE, Emmanuel Macron n’avait d’ailleurs pas exclu de construire de nouveaux réacteurs EPR afin d’apporter une réponse « fiable, décarbonée, à bas coût » à la demande grandissante en électricité. Déjà anticipée un an plus tôt par l’ancien ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot, l’annonce de ce recul sur la dénucléarisation n’est pas du goût de l’ ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), qui a préparé sa propre étude en « réponse à ses adversaires », intitulée Trajectoires d’évolution du mix électrique 2020-2060. Dans la synthèse de 36 pages publiée moins de deux semaines après la présentation des résultats de la PPE, l’agence est bien obligée d’admettre, à travers l’analyse de deux scénarios d’une demande électricité basse et haute, que « la prolongation d’une partie du parc nucléaire existant permet […] une transition efficiente d’un point de vue économie et climatique ». Mais elle ajoute, sans surprise, que « le nucléaire de nouvelle génération [de type EPR] ne serait pas compétitif pour le système électrique français ». Contrairement, bien sûr, aux énergies renouvelables, dont « la place très prépondérante » est jugée « sans appel d’un point de vue strictement économique ».


« Mettez des éoliennes, des panneaux photovoltaïques partout et vous aurez un jus pas cher. Et surtout moins cher qu’avec du nucléaire », ironise Dominique Finon, directeur de recherche émérite au CNRS, en réaction à la présentation publique du rapport de l’ ADEME. Si l’économiste résume ainsi ses conclusions, c’est parce qu’il met en doute les résultats de l’étude comparative sur l’évolution du système électrique français. Selon lui, d’autres travaux de recherche similaires auraient déjà été menés par des équipes scientifiques en France, en Allemagne et aux États-Unis à l’aide d’un outil de calcul similaire à celui de l’agence française. « Or, elles trouvent toutes des résultats très différents de l’équipe de l’ ADEME, affirme-t-il. En effet, dans toutes ces autres simulations, si les ENRv ne parviennent pas à évincer le nucléaire, c’est que la valeur économique réelle de l’électricité qu’elles produisent ne supporte la compétition. La raison principale ? Elle provient d’un phénomène intuitif : puisque cette électricité varie en fonction des variations naturelles des vents et du soleil, [les ENRv] ne suivent pas celles de la demande. Or, la valeur économique de l’électricité est justement déterminée par cette dernière. Si vous avez trop de jus à vendre par rapport à la demande, comme vous ne pouvez pas le stocker, vous devez le brader. À l’inverse, si vous avez un moyen de production pilotable, pouvoir répondre à la demande vous permet de le vendre très cher lorsqu’il est nécessaire et sans compétiteurs. » Et Dominique Finon d’expliquer que les projections économiques de l’ ADEME se fondent sur l’addition brute des puissances installées de l’éolien et du photovoltaïque, sans prendre en compte la fluctuation quotidienne de la demande qui, quand elle est faible, oblige par exemple les exploitants allemands à vendre à perte. Comme lui, l’Académie des technologies porte également un regard critique sur les travaux de l’ ADEME. S’interrogeant sur la « façon réellement scientifique » dont a été menée l’étude, les académiciens estiment que ses conclusions « font courir des risques importants pour l’avenir énergétique de la France ». Ils pointent notamment du doigt plusieurs erreurs de méthodes et des contradictions, comme le fait de se concentrer sur le secteur électrique sans considérer les interactions avec les autres filières énergétiques. Et soulignent un oubli majeur du rapport : la réduction des émissions de CO2, pourtant prioritaire pour le gouvernement…

Nucléaire : des faits qui ne trompent pas
Une autre étude plus récente sur la PPE, celle du cabinet parisien de Wise, a déjà suscité, elle aussi, une vive contestation. Comme pour l’ ADEME, la méthode utilisée semble décrédibiliser ses auteurs. Alors que la PPE ne fournit des éléments qu’à l’horizon 2035, ces derniers ont extrapolé des scénarios d’évolution du parc nucléaire jusqu’en 2050, envisageant même une prolongation de certaines tranches au-delà de 60 ans… Sur le fond, l’étude de Wise part aussi du principe que les coûts de prolongation annoncés par EDF sont sous-estimés et que ceux du nucléaire vont croître dans le temps pour avancer – sans référence légitime – un coût de l’électricité « supérieur à 50 euros/MWh ». Elle part ensuite d’une hypothétique situation de surproduction causée par le fort développement des EnR et un maintien du nucléaire, qui tirerait les prix à la baisse et plomberait EDF, pour affirmer que la sortie du nucléaire ferait, à l’inverse, monter les prix du marché. Pourtant, les calculs économiques de l’énergéticien tendent à prouver exactement le contraire, à savoir que prolongation du parc sera rentabilisée dans la durée et qu’elle n’empêchera pas les prix de l’électricité d’augmenter. D’autant que l’éventuelle surcapacité redoutée devrait s’avérer toute relative compte tenu de la hausse des besoins en électricité à prévoir pour les transports, la production de chaleur ou encore la domotique, telle que prévu par la stratégie nationale bas carbone (SNBC) pour atteindre les objectifs climatiques de la France. Mais qu’Yves Marignac, le directeur de Wise-Paris, se rassure : son étude est loin d’être la seule à se fourvoyer sur le nucléaire, à en croire le récent rapport du SFEN (Société française d’énergie nucléaire) qui liste celles ne prenant pas en compte l’analyse du cycle de vie (ACV) entier de l’atome pour le calcul des émissions de CO2…

Car malgré ces avis d’experts confirmant des objectifs de recherche posés a priori, les faits plaident encore et toujours en faveur de la filière nucléaire, tant d’un point de vue économique qu’environnemental – hausse à venir de la demande électrique et décarbonation obligent. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder hors des frontières françaises. En Allemagne, où la sortie du nucléaire a été actée pour 2022, près de 50 % de la production électrique nationale est désormais issue d’énergies fossiles (35 % de charbon et 12,5 % de gaz), si bien que Berlin ne tiendra pas ses objectifs de réduction d’émissions de GES pour 2020. Malgré le développement des ENR, la fin du charbon ne devrait pas intervenir avant 2038, avec cependant une note de plus de 40 milliards d’euros à la clé. En comparaison, le Royaume-Uni est quant à lui passé de 37 % (2013) à 6,7 % (2017) de part de charbon dans son mix électrique en seulement quatre ans. Son secret : instaurer un prix plancher pour la tonne de carbone émise afin de favoriser des sources d’énergie moins émettrices (gaz naturel et nucléaire). Aux États-Unis, plusieurs États comme le New Jersey ont également mis en place des mécanismes de compensation carbone pour soutenir l’atome face à la concurrence grandissante du gaz de schiste. Enfin au Japon, qui a fermé son parc nucléaire en 2011 suite à la catastrophe de Fukushima, le ministre de l’Environnement déplore le grand nombre de projets de construction de centrales à charbon. Devant l’augmentation des émissions de CO2 japonaises (3 % du total dans le monde), le gouvernement s’est résolu à redémarrer l’activité de neuf réacteurs sur 54 afin de contribuer à plus 20 % de la production d’électricité nationale d’ici 2030.


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