Saviez-vous que La Poste est exemptée à 95 % de taxe foncière et de contribution économique territoriale ? Que cet argent économisé est censé lui permettre de « moderniser » les bureaux de poste grâce au « fonds postal national de péréquation territoriale » ? Mais que La Poste s’en sert en réalité pour en fermer un maximum en les transformant en petits relais postaux ? Connaissez-vous les « modes opératoires » publiés par La Poste pour expliquer à ses cadres locaux comment fermer habilement un bureau, même s’il ne désemplit pas ? Vous a-t-on dit que l’État et les élus locaux sont souvent complices de cette destruction du service public ? Grâce à quelques documents internes, Le Postillon, journal local isérois partenaire de Basta !, vous explique quelques combines de la direction de La Poste.
Cet article a été initialement publié dans le numéro d’automne du Postillon, journal régional de Grenoble et de sa région.
En 2008, on comptait 204 bureaux de poste en Isère. Dix ans plus tard il n’en reste plus que 125. Beaucoup ont tout simplement fermé, d’autres ont plus subtilement été « adaptés en point de contact ». En novlangue managériale cela signifie qu’un recoin de mairie ou de supérette orné du logo jaune et bleu permet de faire quelques opérations basiques comme déposer un colis. Cette ruse est inspirée de la poste allemande privatisée dès 1995, qui est parvenue à fermer la majorité de ses bureaux en ouvrant des points relais dans des commerces. Fermer des bureaux de poste fait partie des objectifs des directeurs de La Poste. Un consultant en « management du changement » chez IBM a même rédigé des « modes opératoires » pour aider les cadres sup’ de La Poste à bien s’y prendre.
Dans la pratique, ce que vous observerez c’est d’abord une réduction des horaires d’ouverture et des services de votre bureau de poste. Ensuite, des fermetures se font un peu au hasard selon le manque de personnel. La direction fait alors un « diagnostic partagé » avec la mairie pour constater que la fréquentation du bureau est en chute libre. Ou plutôt elle remplit les cases vides d’une lettre type aux élus (que Le Postillon s’est procuré) dans laquelle elle constate « un niveau faible d’occupation du guichet, à hauteur de xx heures hebdomadaires et une diminution de xx% de la fréquentation du bureau ».
Pour expliquer cette baisse, La Poste invoque « l’évolution des modes de consommation des citoyens avec le développement de l’économie numérique qui entraîne une réduction de flux de clients ». Philippe Wahl, PDG de La Poste, affirme dans une lettre à l’Association des maires de France que les réductions d’horaires d’ouverture sont dues à « la baisse tendancielle de la fréquentation des guichets qui résulte du développement de l’accessibilité multicanale attendue par notre clientèle ».
La Poste a (presque) tout prévu
C’est donc la faute à internet et aux clients si on doit fermer votre Poste, sûrement pas à la privatisation. Heureusement, après avoir créé le problème, La Poste sait aussi souffler la solution : elle invite la commune « à faire une mutualisation de l’activité avec la mairie, sous la forme d’une agence communale ou la reprise d’activité par un commerçant, sous la forme d’un relais ». Mais parfois ça se complique. Comme à Grenoble où six bureaux devaient être fermés courant 2017 et 2018. Alerté par les syndicats Sud et CGT, un collectif de défense des bureaux de poste constitué d’habitants, d’unions de quartiers, de commerçants, de quelques élus et de syndicats a mené la bataille pour tenter de sauver les bureaux. Réunions publiques, pétitions, et même une manifestation le 1er juin 2017.
Lors d’une réunion publique le 25 septembre 2017, Anne-Marie Vassallo, directrice régionale de La Poste, vient défendre en personne les fermetures, projections vidéo à l’appui. Face aux explications du collectif d’usagers, le dirigeant du magasin Natural games qui était pressenti pour devenir « relais poste commerçant » à la place du bureau de Grenoble Championnet annonce au nez de la directrice qu’il se retire du « partenariat ». Il n’a aucune intention de voir son enseigne servir de prétexte à la fermeture du bureau de poste du quartier, et explique quelques jours plus tard que La Poste n’a pas été « franche du collier » [1].
Des exonérations d’impôts qui servent à... fermer vos bureaux de poste
Anne-Marie Vassallo boude désormais les réunions publiques iséroises. Son bras droit continue le combat et confie au journaliste de Place Gre’net : « On ne peut pas reprocher à La Poste d’évoluer. Les concurrents font exactement comme nous ! » Mais La Poste n’est pas une entreprise comme les autres : elle est signataire d’un « contrat de présence territoriale » conclu avec l’État et l’Association des maires de France. Elle est également investie par plusieurs lois d’une mission d’aménagement du territoire reconnue par la Commission européenne.
La Poste est ainsi tenue à des règles d’accessibilité du service public, en particulier dans les zones rurales et les quartiers prioritaires de la ville. Une grosse contrainte ? Pas exactement. Car pour financer le coût de ce maillage géographique, La Poste est quasiment exemptée de taxe foncière et de contribution économique territoriale. L’argent ainsi économisé en impôts est reversé au Fonds postal national de péréquation territoriale.
En 2017, l’enveloppe du fonds de péréquation allouée pour le seul département de l’Isère était de plus de 2,6 millions d’euros. Cet argent devrait servir à maintenir les bureaux de poste ouverts. Mais, dans les faits, en Isère, plus des deux tiers de la somme financent les travaux, équipements et rémunérations des « points de contact » externalisés. Ce fonds de péréquation sert donc avant tout à transformer des bureaux de poste en petits relais postaux. La Poste utilise donc l’exonération des impôts qu’elle doit à vos communes pour fermer vos bureaux de poste !
Des élus qui trahissent le service public
La Poste peut-elle utiliser l’argent de ce fonds librement ? Pas tout-à-fait. Normalement, des élus sont censés contrôler son utilisation. Un décret du 25 mars 2007 impose la création dans chaque département d’une Commission départementale de présence postale territoriale (CDPPT). Cette commission a pour rôle de proposer la répartition de l’intégralité de la dotation départementale du fonds postal national de péréquation territoriale, et de donner un avis sur le projet de maillage des points de contact de La Poste dans le département.
La CDPPT iséroise est composée de quatre élus locaux désignés par l’association des maires de l’Isère, deux conseillers régionaux, deux conseillers départementaux, d’un représentant de la préfecture, et d’un autre de La Poste. À noter que seuls les élus ont une voix délibérative. Mais que peuvent-ils bien se raconter durant ces réunions ? Le Postillon s’est procuré le compte rendu de la réunion du CDPPT du 23 juin 2017, en plein débat sur la fermeture des bureaux grenoblois. Où l’on se rend compte que les élus locaux et le préfet sont largement complices de la démolition du service public postal.
Maintenir un bureau de poste : oui, mais pour les stations huppées
Il y en a qui sont complices par omission : cinq des huit élus étaient absents, laissant ainsi les mains libres à la direction de La Poste. Les trois restants n’ont pas été plus vaillants et se sont contentés de prêcher pour leur paroisse. Marie-Claire Terrier, maire de Clelles et élue régionale sur la liste de Laurent Wauquiez (LR), est seulement intervenue pour « regretter les fermetures inopinées sur sa commune au bénéfice de Mens ». Daniel Michoud (maire PS des Avenières et soutien LREM) a « fait part du mécontentement de son conseil municipal au sujet des horaires d’été ». Le préfet de l’Isère a lui un combat encore plus important : Lionel Beffre « fait remarquer qu’il faut être vigilant sur la commune d’Huez ».
Les bleds paumés du Nord-Isère, les quartiers grenoblois ? Pas grave : ce qui compte c’est la présence postale dans les stations de ski huppées : Huez est un village de 1300 habitants, mais son bureau de poste est encore ouvert 20 heures par semaine, contrairement à beaucoup des villages de cette taille. Francis Gimbert, président de cette CDPPT et président de la communauté de communes du Grésivaudan (PS) va d’ailleurs dans le même sens : il souhaite « qu’une réflexion soit menée sur ce type de stations ». Ce serait quand même vraiment dommage que les riches touristes n’aient pas un bureau postal à portée de main.
Fermetures en cascade
Coté Poste, Anne-Marie Vassallo est venue accompagnée de trois cadres supérieurs de La Poste, contrairement à ce qui est prévu par le décret. Remarquons que la direction régionale ne semble pas en manque de personnel, contrairement aux bureaux de poste. Ils en ont profité pour faire ce qu’ils font de mieux : une séance vidéo publicitaire pour présenter les produits que La Poste vend aux collectivités. Tablettes tactiles pour les personnes âgées, offre canicule et grand froid, offre vigie urbaine et Géoptis, audit de voirie avec une caméra collée sur la Kangoo du facteur. Le préfet est « étonné par la qualité de ces services » et Daniel Michoud se dit ravi de l’offre canicule qu’il trouve « simple et efficace ». Sachez que Daniel Michoud est aussi cadre supérieur retraité de La Poste, ce qui en fait un excellent commercial. La Poste remercie les élus, la réunion est finie.
Pas un mot sur les bureaux de campagne en sursis, rien sur les bureaux de Grenoble, aucun débat réel sur les plus de 2,6 millions d’euros d’argent public. En 2018, en plus des nombreuses réductions d’horaires, sept bureaux ont déjà fermé en Isère : ceux de Claix, Jarcieu, Seyssins, Tignieu Jameyzieu, Vaulx-Milieu, ainsi que deux bureaux de Grenoble, Championnet et Grand Place. Le bureau de Championnet fermé début juin a été remplacé en septembre par un « point relais » dans une enseigne Carrefour qui recevra des commissions sur les opérations postales mais aussi 3804 euros par an prélevés sur le fond de péréquation. Quant aux centaines de clients qui fréquentaient chaque jour le bureau de Grand’Place ils se heurtent à une affiche : « La Poste de Grand’Place change d’adresse. Retrouvez nos services à Grenoble Lionel Terray ».
Le problème c’est que le bureau de Grenoble Terray situé entre le Village olympique et la Villeneuve débordait déjà. Le manque de personnel et d’espace font monter la tension alors les « incivilités » ont encore explosé cet été (voir le premier épisode du feuilleton dans Le Postillon n°46). Pour apaiser la situation, La Poste pourra compter sur des médiateurs qui expliqueront au public comment patienter plus longtemps sans s’énerver. Et ça tombe plutôt bien pour La Poste qui ne payera même pas leur gilet : les médiateurs sont financés intégralement par le fond de péréquation et l’état.
Le Postillon
Dessin : © Sylvain Florin
Cet article a été initialement publié dans le numéro d’automne du Postillon, journal régional de Grenoble et de sa région. Le dossier du numéro d’automne est consacré à la profession d’ingénieur.
Notes
[1] Voir Place Gre’net, 04/10/2017.
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