L’Allemagne, le casse-tête des énergies

Cécile Crampon 
12/02/2019



Sur le plan énergétique, l'Allemagne a décidé, en 2011, de sortir progressivement de l’énergie nucléaire en faveur des énergies renouvelables. Fait nouveau, huit ans plus tard, l'Allemagne planifie également sa sortie du charbon/lignite. Comment assurer sa sécurité d'approvisionnement, soutenir les renouvelables intermittentes par une énergie disponible, plus fiable... ? Ne reste, par élimination, que le gaz, qui, malheureusement aussi, est très polluant, et contraire aux objectifs de l'UE. Si cette décision de sortie du charbon est à souligner, elle reste tardive et lente, et pas sans conséquence, quoiqu'il en soit avec le gaz, sur le réchauffement climatique et la pollution de l'air sur le long terme.

En Allemagne, une « Commission Croissance, Changement structurel et Emploi », également appelée « Commission Charbon » a été créée par le gouvernement en juin 2018, pour émettre des propositions sur la sortie progressive de la production d’électricité à base de charbon et de lignite. Les membres de cette Commission, composée d’experts, de représentants des employeurs et salariés du secteur, et d’ONG de défense de l’environnement, sont finalement parvenus à un accord le 26 janvier 2019. En résumé, que préconise la Commission ?
- Une sortie progressive des centrales à charbon et au lignite d´ici 2038 avec une date éventuellement ramenée à 2035 (décision en 2032)
- La fermeture d’ici 2022 d’une capacité de 12,5 GW, dont plusieurs centrales au lignite
- La fermeture des autres centrales jusqu’en 2030 pour une capacité restante sur le réseau de 17 GW
La proposition de la Commission Charbon devrait être examinée par les Länder et le gouvernement allemand qui prendra la décision, par projet de loi. Les coûts de la sortie du charbon/lignite seront importants ; le projet annonce 40 milliards d´euros de mesures compensatoires d’aide à la restructuration des régions concernées, d’indemnisations des énergéticiens pour l´arrêt prématuré de leurs centrales et d’aide aux consommateurs pour baisser leur facture d´électricité.


Le mix-énergétique allemand dominé par les fossiles
L’Allemagne dispose actuellement de 45 GW de centrales charbon/lignite et a aussi décidé de sortir du nucléaire d´ici 2022 (9,5 GW) ; soit une perte sèche de 12 % de sa production d´électricité d´ici fin 2022 avec le nucléaire. A cela pourrait être ajoutée, - selon les préconisations de la Commission Charbon -, la mise hors service de 12,5 GW de centrales à charbon/lignite d´ici fin 2022. L'Allemagne perdrait donc d´un coup 22 GW de moyens pilotables.
En 2018, la part des centrales à charbon/lignite dans la production d´électricité est de 35 %. La réduction supplémentaire de moyens pilotables d´ici 2022 nécessitera donc des investissements rapides pour garantir la sécurité d'approvisionnement, selon la Fédération des entreprises de l'énergie (BDEW). L’Allemagne a donc décidé de remplacer progressivement ses centrales à charbon/lignite par des centrales à gaz moins émettrices en CO2, bien que les conditions financières pour la construction de nouvelles centrales soient une charge lourde supplémentaire, au rendement mitigé des énergies renouvelables.

Moins de charbon, plus de gaz, toujours des énergies fossiles

En 2018, le gaz représente environ 13 % du mix-électrique allemand. Pour pallier les baisses programmées du nucléaire et du charbon, ce pays a un projet : le gazoduc Nord Stream 2, dont la construction devrait s'achever fin 2019. Il acheminera 55 milliards de m3 de gaz russe par an vers l’Europe - soit environ 11 % de la consommation annuelle européenne (487 milliards de m³ selon Eurostat) - via la mer Baltique, en traversant les eaux territoriales de cinq pays, la Russie, la Finlande, la Suède, le Danemark et l’Allemagne. Le projet associe Gazprom à plusieurs entreprises européennes, Shell, OMV en Autriche, Wintershall et Uniper en Allemagne, et Engie en France.
Outre la privation de l’Ukraine, de la Pologne et de la Slovaquie de substantiels droits de transit, l’importation de gaz au cœur de l’Europe soulève la question de l’indépendance énergétique, à commencer par la Commission européenne. En effet, une « directive gaz » a été proposée dès 2017 pour que les infrastructures non européennes puissent respecter, dans l’acheminement du gaz, les mêmes règles que celles suivies par les infrastructures européennes, notamment en termes de transparence des prix ou encore de séparation des activités entre fournisseurs et gestionnaires des infrastructures. Finalement, le 8 février 2019, les membres de l’UE ont tranché pour un compromis où il incombe à l’Allemagne, pays de l’UE, de décider pour des gazoducs avec des pays tiers, comme la Russie, du moment où ils sont reliés pour la première fois au réseau européen. Cette décision n’a pas été prise sans soulever des tollés de l’autre côté de l’Atlantique, ou plus près, au cœur de l’Allemagne. Cela peut expliquer en partie la décision du gouvernement allemand en 2018 de diversifier son approvisionnement en ayant en projet la construction, en parallèle, d’un terminal méthanier pour l’importation de gaz naturel liquéfié (GNL); voire de deux à l'occasion d'une annonce le 12 février 2019. Actuellement, trois sites sont en discussion : Brunsbüttel (favori), Stade et Wilhelmshaven. D’une capacité de 8 milliards de m3 de GNL (environ 8 % de la consommation annuelle en Allemagne selon Eurostat), ce projet devrait faire l’objet d’une décision finale fin 2019. La construction est estimée à plusieurs centaines de millions d’euros avec un lancement prévu en 2022. 


Le gaz, énergie fossile et effet de lock-in
Bien que le gaz émette moins que le charbon, il reste une énergie fossile très fortement émettrice de gaz à effet de serre.
Le gaz naturel ou GNL émet près 640 gCO2/kWh (centrale à cycle simple) et 420 gCO2/kWh (centrale à cycle combiné) - valeurs de VGB Power Tech -, certes moins que le lignite (950 à 1230 gCO2/ kWh) ou le charbon (790 à 1080 gCO2/ kWh), mais plus de 50 fois plus que le nucléaire (12 gCO2 /kWh ), équivalent à l’hydroélectricité ou l’éolien. L’Union européenne, qui s’est engagée le 28 novembre 2018 dans la droite ligne de l'objectif de l'accord de Paris avec une décarbonation complète du secteur électrique européen d’ici 2050, se met en difficulté avec la mise en service d’énergies fossiles. Dans le cas de l’Allemagne, fermer des réacteurs nucléaires à court terme entraîne la nécessité de devoir construire des centrales à gaz (avec un risque de « lock-in » pour de nombreuses années) pour assurer la sécurité d’approvisionnement du pays, au risque de pénaliser les objectifs déjà contraignants au niveau européen. 


Des risques en matière de sécurité d’approvisionnement
L’Allemagne qui compte plus de 82 millions d’habitants est aussi le plus grand consommateur d’électricité par habitant en Europe. Les quatre grands gestionnaires de réseaux de transport allemands – les GRT - ont publié le 24 janvier 2019 les bilans prévisionnels de l’équilibre offre-demande 2017-2021. Pour ce faire, ils utilisent une approche déterministe conservative et accordent une disponibilité de 0 % au photovoltaïque et de 1 % à l´éolien pour la gestion des périodes de pointe pouvant atteindre une demande d’environ 82 GW en 2021. Dans cette hypothèse, le pays pourrait faire face à un déficit d’approvisionnement en électricité de 5,5 GW en 2021, hors importation. A noter toutefois que le bilan prévisionnel des GRT est une démarche théorique et suppose la simultanéité d’événements relativement improbables comme une situation de pointe combinée avec une production extrêmement faible d’énergies renouvelables et ne tient pas compte des importations possibles dans une situation difficile.



Sur le sujet de l’importation, Peter Altmaier, ministre fédéral des Affaires économiques et de l'Énergie, a eu l’occasion de s’exprimer le 28 janvier dernier. Il a précisé que compte-tenu de la sortie du nucléaire en Allemagne, l’achat d’une électricité provenant de cette source, même bon marché, ne pouvait être une alternative. Certes. Mais c’est occulter qu’un réseau électrique ne fait pas la différence entre une électricité d’origine fossile, nucléaire ou renouvelable. C’est aussi reconnaître la compétitivité du nucléaire face aux autres énergies. A titre d’exemple, aujourd’hui, un ménage allemand paye sa facture d’électricité 70 % plus chère que celle d’un ménage français. En se passant du nucléaire, énergie bas carbone, la politique Energiewende positionne l'Allemagne en dernière place avec la Pologne, en matière de décarbonation. 


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