La révolte des scientifiques français, un an plus tard



 

 

Il y a un an, nous parlions de révolte des scientifiques français à propos de deux tribunes collectives signées par des groupes de scientifiques parues dans la presse à quelques jours d’intervalle. Les deux textes se référaient à la « Résolution sur les sciences et le progrès dans la République » déposée en 2017 par les députés Bernard Accoyer (LR) et Jean-Yves Le Déaut (PS), texte dans lequel on pouvait lire : « la France, héritière d’une longue tradition scientifique, rationaliste et de la philosophie des Lumières, a toujours incarné le progrès et la science au service de l’humanité » et que conformément à un rapport de l’Unesco déposé en 2016, « Les sciences, la technologie et l’innovation ont la capacité de changer la donne pour relever pratiquement tous les défis mondiaux les plus urgents. » Qu’en est-il aujourd’hui ?

Choix technologiques
Récemment, le collectif Science Technologie Actions, un groupe de scientifiques engagés politiquement s’interrogeait sur les mauvais choix technologiques de la France : « Dans une société imprégnée de technologie, les scientifiques sont peu consultés, voire marginalisés par les décideurs politiques et les influenceurs d’opinion formés le plus souvent aux sciences humaines et réfractaires à la pensée scientifique. Le champ est libre pour les gourous, marchands de peurs et autres oracles médiatiques en délicatesse avec la réalité factuelle. Les fausses informations martelées par des groupes militants et reprises par des médias deviennent vite vérités, contribuant à manipuler l’opinion. Il en résulte des choix de société aberrants et incohérents rarement dénoncés par les esprits les plus éclairés. » Les auteurs évoquent le cas de trois sujets polémiques : « la génétique suspecte », « la chimie mal aimée » et « l’énergie nucléaire redoutée » !
Pour ces trois thématiques, selon eux, à chaque fois l’idéologie l’a emporté sur toute forme d’argumentation scientifique. La France a interdit les OGM contre les avis des agences sanitaires, les intrants chimiques sont systématiquement dénigrés et le savoir-faire nucléaire est de plus en plus sacrifié sur l’hôtel de la transition énergétique. Selon les auteurs « des décisions majeures sont prises de façon irrationnelle, sous la pression de l’écologisme politique, sans véritable analyse bénéfices/risques, sans s’appuyer sur l’indispensable expertise scientifique, beaucoup trop absente des grands débats citoyens. Pour une grande part, elles aboutissent à l’inverse du but annoncé et à une régression inquiétante, préjudiciable à la France.» Une année après, la révolte des scientifiques français est toujours aussi bien motivée.


Une révolte contre les politiques et les médias

Même si ce sont deux politiques qui se trouvent à l’origine de la résolution citée en introduction, il n’en reste pas moins que les élus sont la cible prioritaire de cette révolte. Dans une des chroniques dont lui seul a le secret, le docteur Laurent Alexandre, dénonce la « nullité scientifique des politiciens ». Ainsi, il s’étonne : « Comment nos hommes politiques peuvent-ils juger un rapport scientifique alors qu’ils ont oublié le programme de l’école primaire ? Comprendre le rendement d’une éolienne, l’impact d’un produit chimique, le fonctionnement des OGM, les dangers et bénéfices d’une technologie, d’un vaccin ou d’un médicament suppose une solide culture scientifique. Et demain, ce sera pire ! Dans un monde ultra-complexe, modelé par les NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives), il sera difficile d’être un citoyen éclairé et plus encore un politicien responsable sans une compréhension minimale de la science et de la technologie. » Les scientifiques en veulent donc à cette majorité de politiques qui ne font aucun effort pour essayer de comprendre ce qu’ils font et cèdent le plus souvent à la démagogie.
Ensuite cette révolte s’en prend également aux médias qui, eux, affectionnent particulièrement le catastrophisme et les trains qui n’arrivent pas à l’heure. Ainsi comme l’explique Catherine Hill, épidémiologiste et bio-statisticienne, spécialiste de l’étude de la fréquence et des causes du cancer, on est passé « d’une étude qui ne montre rien à un projet de loi demandant des pictogrammes sur des produits de consommation. » Tout d’abord, l’abstract de l’étude « ne mentionne pas la réserve (résultats non significatifs) indiquée dans le corps du texte, mais affirme simplement « qu’une association avec les troubles du comportement a été trouvée » ; ensuite, l’Inserm a décidé la diffusion d’un communiqué de presse dont le chapeau annonce qu’« une étude épidémiologique […] montre que l’exposition pendant la grossesse à certains phénols et phtalates est associée à des troubles du comportement des garçons entre 3 et 5 ans », une information reprise sans mesure par l’AFP.
Quelques journalistes tels que Géraldine Woessner d’Europe 1, par exemple, étudieront de près l’enquête. Mais la grande majorité relayera l’information sans chercher à comprendre. Le résultat étant que « le 24 octobre 2017, 23 députés déposent une proposition de loi qui s’appuie explicitement et principalement sur l’étude pour demander « de marquer d’un pictogramme “déconseillé aux femmes enceintes” sur tous les produits contenant des substances à caractère perturbateur endocrinien ». Là encore impossible de généraliser, mais force est de constater que les cas de traitements « légers » de l’information scientifiques par les médias, sont légion.

Sortir « intelligemment » de l’impasse idéologique
Cette révolte est de moins en moins contenue. Il suffit pour s’en convaincre de voir le combat épique suscité par l’émission Envoyé Spécial sur le glyphosate. Avouons-le, il est certains sujets scientifiques et techniques sur lesquels il est devenu impossible de communiquer sans déclencher des polémiques à n’en plus finir. On voit alors à quel point l’incompréhension est totale entre la communauté scientifique, la classe politique, les médias et l’opinion… Ne parlons même pas du travail de sape idéologique réalisé par certaines ONG. Disons-le clairement, certains mots, certaines expressions clés suscitent l’ire de l’auditoire et ont rendu tout dialogue totalement impossible.
De ce fait les scientifiques auront beau invoquer la rationalité et tenter de blâmer ceux qui ne sont pas en mesure de comprendre ce qui se passe, ils risquent de se heurter encore longtemps à un mur et leur révolte n’a que peu de chance d’aboutir. Comment sortir de cette impasse alors ? Les scientifiques devraient abandonner le terrain de l’idéologie et de certains combats perdus d’avance pour se concentrer sur les thèmes qui remportent une certaine aura.
Il en va ainsi, par exemple de tous les secteurs qui peuvent être présentés avec l’épithète « Intelligent ». Spontanément on pense à l’Intelligence Artificielle et aux Objets Intelligents, mais l’opinion n’a pas idée que ce concept peut être décliné dans tous les domaines. Prenons celui de l’agriculture, par exemple, puisque c’est en ce moment le SIA. L’agriculture intelligente est amenée à jouer un rôle de plus en plus important et de nouvelles solutions existent déjà qui permettent, par exemple, de diminuer considérablement le rôle des intrants par le biais d’un meilleur contrôle et d’une meilleure gestion ! Un bel exemple pour comprendre qu’il existe des solutions autres que la confrontation idéologique pour avancer et sortir de l’impasse.


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