Par: Laurent Pinatel, paysan dans la Loire,
porte-parole de la Confédération paysanne
Nous sommes donc en crise, mais en crise pourquoi ? Par manque de revenu ? Oui, c'est sûr, mais ce n'est pas forcément nouveau. En crise de surproduction ? Oui, aussi, et l'un et l'autre sont liés, mais ce n'est pas non plus un scoop. On a surtout l'impression que dans notre profession, c'est en permanence la crise : un coup les légumes, un coup les fruits, puis le porc, la viande bovine, ovine, le lait...
Il faut résoudre ces crises dans l'urgence, pour que leurs victimes soient le moins nombreuses possible, mais il faut aussi voir au-delà. On pourrait, par exemple, parler de l'accaparement de l'agriculture par la finance, les semenciers, l'agro-industrie… On pourrait parler d'un métier qui a perdu son sens, de paysans qui ont perdu leurs repères... On pourrait parler d'une machine qui s'est emballée au point de broyer celles et ceux-là même qui se sont sacrifié.e.s pour leur passion de l'agriculture, avec les contraintes et les sacrifices que ça implique, pour les joies et les bonheurs aussi d'être simplement paysan.ne.
Nous sommes dans la crise d'un mode de développement, celle d'un système agricole. La preuve ? Toutes les agricultures ne sont pas en crise. L'agriculture de qualité (bio, AOP*/AOC*...), qui n'est pas uniquement une agriculture de niche, résiste mieux. C'est un fait indéniable.
Pourtant, pour sauver l'agriculture, on nous propose de financer encore plus d'industrialisation, plus de dépendance aux firmes, encore moins de liberté pour les paysan.ne.s, moins de plaisir à bosser, toujours plus d'endettement qui nous ronge, qui nous bouffe au point que certain.e.s d'entre nous ne voient plus de solution…
Soyons sérieux ! Des gamins joueraient à ce jeu-là, on en sourirait en se disant qu'ils n'ont pas encore tout appris du monde qui les entoure. Mais là, ce sont nos gouvernant.e.s, les plus hautes instances de notre pays et de l'Europe qui continuent de financer une agriculture du passé, celle qui ne marche pas depuis des décennies, qui brise des vies paysannes, produit des aliments de qualité de plus en plus faible, risque d'affecter durablement nos sols, notre environnement, le climat aussi dont il est beaucoup question dans ce numéro...
Nous sommes à un tournant: La face de l'agriculture peut changer. Si pour une fois on irriguait l'agriculture qui rémunère, qui vit en symbiose avec les paysages, avec les gens aussi, plutôt que de foncer tête baissée dans cette p*** d'agriculture qui nous bouffe et nous détruit !
Cette crise, vivons la comme une chance, une opportunité pour enfin peser et changer de direction ! Ensemble, paysan.ne.s piégé.e.s par des politiques publiques folles, citoyen.ne.s sur tous les territoires, pesons de tout notre immense poids pour réorienter les soutiens publics vers une autre agriculture, qui crée de l'emploi, de la valeur ajoutée, qui respecte notre environnement, qui redonne vie aux villages, aux campagnes...
On pourrait même l'appeler « agriculture paysanne », cette agriculture-là... C'est joli non, agriculture paysanne ?
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