Par Jean-Luc Einaudi,
historien
1 juin 1998
Commentaire: «L'homme qui lutte pour la justice et la vérité trouvera toujours le moyen d'accomplir son devoir tout entier».
Lire: «De nos frères blessés; Joseph Andras; Éditeur Actes Sud; ISBN 978-2-330-06322-1. Prix Goncourt du premier roman 2016 (refusé par l'auteur)
historien
1 juin 1998
Commentaire: «L'homme qui lutte pour la justice et la vérité trouvera toujours le moyen d'accomplir son devoir tout entier».
Victor Hugo (1802-1885)
Lire: «De nos frères blessés; Joseph Andras; Éditeur Actes Sud; ISBN 978-2-330-06322-1. Prix Goncourt du premier roman 2016 (refusé par l'auteur)
Qui se souvient de Fernand Iveton*, ouvrier, communiste, rallié au FLN, guillotiné à Alger, en 1957. Et qui se souvient du nom de celui qui était alors ministre de la Justice?
L'affaire Iveton, un silence français
Une vieille dame est morte, le dimanche 10 mai 1998, à Arcueil. Selon ses volontés, elle a emporté avec elle, dans la tombe, le portrait de l'homme qui fut l'amour de sa vie. Elle s'appelait Hélène Iveton.
Son mari, Fernand Iveton, fut guillotiné à Alger, dans la cour de la prison Barberousse, le 11 février 1957. Qui se souvient de Fernand Iveton? Le ministre de la Justice s'appelait alors François Mitterrand.
Ouvrier, communiste, se considérant comme algérien, Fernand Iveton avait rallié le FLN, alors que la guerre faisait rage en Algérie. En novembre 1956, il avait décidé de procéder au sabotage d'un tuyau dans l'usine à gaz où il travaillait, au moyen d'une bombe. Des précautions avaient été prises pour que l'explosion n'occasionne pas de victime mais uniquement des dégâts matériels. Arrêté le 14 novembre 1956, avant même qu'il ait pu installer la bombe, il fut d'abord torturé par des policiers, comme cela était alors la règle: décharges électriques sur le corps, supplice de l'eau.
En exécution des pouvoirs spéciaux votés par l'Assemblée nationale, en mars 1956, à la demande du président du Conseil, le socialiste Guy Mollet, et des décrets d'application qui suivirent, il comparut dix jours plus tard devant un tribunal militaire présidé par un magistrat volontaire. Il n'y eut aucune instruction préalable à l'affaire. Deux jours avant le procès, deux avocats furent commis d'office. La direction du Parti communiste français ayant d'abord interdit à l'avocat communiste Gaston Amblard de défendre Iveton, celui-ci fut abandonné à cette parodie de justice.
Condamné à mort par le tribunal militaire d'Alger, son recours en grâce, plaidé notamment par l'avocat communiste Joé Nordmann, fut rejeté par le président de la République d'alors, René Coty. Celui-ci se contenta de raconter aux avocats l'anecdote suivante: en 1917, alors qu'il était jeune officier, il avait vu fusiller deux jeunes soldats français. Alors que l'un d'eux était conduit au poteau d'exécution, le général lui avait dit: «Toi aussi, mon petit, tu meurs pour la France.»
Fernand Iveton devait être guillotiné pour l'exemple. Il mourut en criant «Vive l'Algérie!», en compagnie de Mohamed Ouenouri et de Mohamed Lakhnèche. Avant d'être exécutés, les trois hommes s'embrassèrent.
J'ai écrit un livre, paru en 1986, sur cette affaire. François Mitterrand, président de la République, n'avait pas donné suite à ma demande d'entrevue (1). Le dossier de recours en grâce, m'avait-on dit, avait disparu des archives du ministère de la Justice.
Le 24 mars 1994, trois journalistes furent reçus par le président de la République. En 1956, en tant que ministre de la Justice, il était vice-président du Conseil supérieur de la magistrature, qui examinait les recours en grâce et procédait à un vote. Comme ils lui demandaient: «Qu'avez-vous voté sur le dossier Iveton?», François Mitterrand leur avait répondu: «Je ne peux pas vous le dire (2)».
Or, comme beaucoup d'éléments me l'avaient déjà fortement laissé supposer, François Mitterrand avait voté la mort de Fernand Iveton. C'est ce que Jean-Claude Périer, secrétaire du CSM de 1956 à 1959, révéla aux trois journalistes.
En 1965, François Mitterrand devenait candidat unique de la gauche à l'élection présidentielle. Le silence s'étendait sur son action durant la guerre d'Algérie, comme ministre de l'Intérieur d'abord, puis comme ministre de la Justice.
Cette histoire-là reste à écrire.
(1) Pour l'exemple (l'affaire Fernand Iveton), préface de Pierre Vidal-Naquet, l'Harmattan, 1986.
(2) La Main droite de Dieu, Emmanuel Faux, Thomas Legrand, Gilles Perez, le Seuil, 1994.
* Fernand Iveton doit son nom, souvent orthographié par erreur « Yveton », à l'administration française. Ce patronyme avait été inventé pour son père, Pascal, recueilli par l’Assistance publique d'Alger et qui, militant communiste et syndicaliste, employé à Gaz d'Algérie fut révoqué par le régime de Vichy (...) https://fr.wikipedia.org/wiki/Fernand_Iveton
L'affaire Iveton, un silence français
Une vieille dame est morte, le dimanche 10 mai 1998, à Arcueil. Selon ses volontés, elle a emporté avec elle, dans la tombe, le portrait de l'homme qui fut l'amour de sa vie. Elle s'appelait Hélène Iveton.
Son mari, Fernand Iveton, fut guillotiné à Alger, dans la cour de la prison Barberousse, le 11 février 1957. Qui se souvient de Fernand Iveton? Le ministre de la Justice s'appelait alors François Mitterrand.
Ouvrier, communiste, se considérant comme algérien, Fernand Iveton avait rallié le FLN, alors que la guerre faisait rage en Algérie. En novembre 1956, il avait décidé de procéder au sabotage d'un tuyau dans l'usine à gaz où il travaillait, au moyen d'une bombe. Des précautions avaient été prises pour que l'explosion n'occasionne pas de victime mais uniquement des dégâts matériels. Arrêté le 14 novembre 1956, avant même qu'il ait pu installer la bombe, il fut d'abord torturé par des policiers, comme cela était alors la règle: décharges électriques sur le corps, supplice de l'eau.
En exécution des pouvoirs spéciaux votés par l'Assemblée nationale, en mars 1956, à la demande du président du Conseil, le socialiste Guy Mollet, et des décrets d'application qui suivirent, il comparut dix jours plus tard devant un tribunal militaire présidé par un magistrat volontaire. Il n'y eut aucune instruction préalable à l'affaire. Deux jours avant le procès, deux avocats furent commis d'office. La direction du Parti communiste français ayant d'abord interdit à l'avocat communiste Gaston Amblard de défendre Iveton, celui-ci fut abandonné à cette parodie de justice.
Condamné à mort par le tribunal militaire d'Alger, son recours en grâce, plaidé notamment par l'avocat communiste Joé Nordmann, fut rejeté par le président de la République d'alors, René Coty. Celui-ci se contenta de raconter aux avocats l'anecdote suivante: en 1917, alors qu'il était jeune officier, il avait vu fusiller deux jeunes soldats français. Alors que l'un d'eux était conduit au poteau d'exécution, le général lui avait dit: «Toi aussi, mon petit, tu meurs pour la France.»
Fernand Iveton devait être guillotiné pour l'exemple. Il mourut en criant «Vive l'Algérie!», en compagnie de Mohamed Ouenouri et de Mohamed Lakhnèche. Avant d'être exécutés, les trois hommes s'embrassèrent.
J'ai écrit un livre, paru en 1986, sur cette affaire. François Mitterrand, président de la République, n'avait pas donné suite à ma demande d'entrevue (1). Le dossier de recours en grâce, m'avait-on dit, avait disparu des archives du ministère de la Justice.
Le 24 mars 1994, trois journalistes furent reçus par le président de la République. En 1956, en tant que ministre de la Justice, il était vice-président du Conseil supérieur de la magistrature, qui examinait les recours en grâce et procédait à un vote. Comme ils lui demandaient: «Qu'avez-vous voté sur le dossier Iveton?», François Mitterrand leur avait répondu: «Je ne peux pas vous le dire (2)».
Or, comme beaucoup d'éléments me l'avaient déjà fortement laissé supposer, François Mitterrand avait voté la mort de Fernand Iveton. C'est ce que Jean-Claude Périer, secrétaire du CSM de 1956 à 1959, révéla aux trois journalistes.
En 1965, François Mitterrand devenait candidat unique de la gauche à l'élection présidentielle. Le silence s'étendait sur son action durant la guerre d'Algérie, comme ministre de l'Intérieur d'abord, puis comme ministre de la Justice.
Cette histoire-là reste à écrire.
(1) Pour l'exemple (l'affaire Fernand Iveton), préface de Pierre Vidal-Naquet, l'Harmattan, 1986.
(2) La Main droite de Dieu, Emmanuel Faux, Thomas Legrand, Gilles Perez, le Seuil, 1994.
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