La Star'Ac au pouvoir !

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Descartes
25/05/2017

Certains parmi mes lecteurs se souviendront sûrement du bruit et de la fureur qui avait accompagné le lancement de la première émission de télé-réalité française, « Loft Story ». Il s’agissait d’enfermer un groupe de jeunes – la parité étant strictement respectée – sous l’œil de caméras qui retransmettaient dans nos foyers 24/24 les faits et gestes des membres de cette petite communauté. Comme d’habitude chez nous, cela donna lieu à des empoignades entre doctes sociologues et pensifs penseurs, dont les conclusions allaient de « c’est le dernier clou dans le cercueil de notre culture » à « c’est le mode de communication de l’avenir ». Conclusions qui, à la réflexion, n’ont rien de contradictoire.

Je me souviens surtout qu’après l’émission elle-même, on a fait des émissions pour expliquer comment celle-ci fonctionnait. Le secret, nous disaient les organisateurs eux mêmes, n’est pas une scénarisation qui serait assez vite perceptible par les spectateurs. Non, le succès de ce type d’émission dépend totalement des choix de casting. Il faut constituer une collectivité – la parité étant rigoureusement respectée - donc les membres cochent un certain nombre de cases. Il faut le bellâtre et la bimbo, l’hystérique énervant mais attachant, le cas social qui fera pleurer dans les chaumières avec son enfance malheureuse, le manipulateur calculateur que tout le monde adore détester, le « monsieur/madame tout le monde » dans lequel le spectateur peut se reconnaître. Une fois le casting réussi, la dynamique humaine fait le reste… avec l’aide des gadgets inventés par la production pour relancer périodiquement les recompositions d’alliances.
L’exercice de désignation du premier gouvernement de la présidence Macron m’a rappelé furieusement cet épisode. Comme pour le « Loft », la scénarisation se réduit à un catalogue de bonnes ( ?) intentions, genre « libérer les énergies » ou « relancer l’Europe ». Mais ce qui est important, c’est le casting. Et comme pour le « loft » - la parité étant rigoureusement respectée - il faut cocher des cases. Il faut le centriste, le pilier de la gauche, l’espoir de la droite, l’écologiste médiatique, le jeune « issu de la diversité », le professeur compétent, le ministre débutant, l’entrepreneur et le cadre de grand groupe, le parisien et le provincial. Le but n’est pas, comme on pouvait le penser naguère, de constituer un groupe cohérent et solidaire pour porter les différents éléments d’une politique globale. Le but, c’est de fabriquer une collectivité dans laquelle chaque français retrouve un élément d’identification et dont il aura – ou du moins la production l’espère – l’envie de suivre les aventures. Premier vote d’élimination, dans trois semaines.

Depuis son élection, Emmanuel Macron a commencé à donner des indications des principes qui vont régir son quinquennat. Certains signes sont, il faut l’admettre, positifs : lorsqu’il parle d’une « présidence jupitérienne », lorsqu’il manifeste la volonté de rendre sa parole rare et de maîtriser strictement sa communication, il renoue implicitement avec la logique originale de la Vème République. On ne peut que se féliciter, après Sarkozy, qui peinait à prendre de la hauteur, et Hollande qui n’a même pas essayé, rêvant d’une impossible « normalité », d’avoir un président qui prend la mesure de sa fonction. Certains ont critiqué la « marche solitaire » de Macron le soir de son élection. Ce n’est pas mon cas : c’était peut-être grandiloquent, peut-être un peu archaïque. Mais ce choix de mise en scène mettait en relief la solitude tragique d’un véritable Chef d’État.

Le problème, c’est que si dans sa prise de fonction Macron semblait vouloir revenir aux principes de la Vème République, la formation de son gouvernement nous ramène plutôt aux logiques de la IVème. Édouard Philippe n’est pas celui qui « détermine et conduit la politique de la nation » - selon la formule constitutionnelle – et qui s’entoure d’un gouvernement pour la mettre en œuvre. Notre Premier ministre n’est « premier » que dans l’ordre protocolaire. Il est moins un chef qui conduit et arbitre qu’un coordonnateur qui négocie des équilibres avec des « féodaux » bien plus puissants et introduits auprès du président que lui. Comment peser face à un Bayrou, un Collomb ou un Le Drian, puissants « barons » qui discutent directement avec le Roi et qui – on l’a vu avec l’épisode Bayrou sur les investitures – peuvent même s’offrir le luxe de lui imposer un rapport de forces ? Si on ajoute à ces contraintes celle imposée par la logique de communication du « Loft », notre premier ministre n’est pas sorti de l’auberge.

Un autre signe inquiétant apparaît dans l’intitulé et le découpage des différents ministères. Il y a bien entendu les coups de « com » style ce ministère « de l’Europe et des affaires étrangères », dans lequel une presse extatique voit « le signe que l’Europe n’est plus l’étranger ». On aurait envie de rappeler à ces plumitifs que ce ministère avait reçu sous des précédents gouvernements des appellations du type « ministère des affaires étrangères et européennes », qui avaient déjà la même signification. Rien ne fait autant de nouveautés qu’une mauvaise mémoire… Mais le plus sérieux n’est pas là. Le plus sérieux, c’est la disparition des activités productives du champ symbolique. Les mots « industrie », « production », « énergie » ne figurent plus dans l’intitulé d’aucun ministère. Même les euphémismes qui les avaient quelquefois remplacés dans le passé (comme « redressement productif ») ont disparu. C’est un signe qui ne trompe pas : celui d’une parfaite continuité avec les régimes précédents, qui ont progressivement fait disparaître le mot « industrie » du paysage administratif, par exemple, en renommant la vénérable « Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services » (DGCIS) en « Direction générale des entreprises ».(DGE), les « Directions régionales de l’industrie, la recherche et l’environnement » (DRIRE) en « Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement » (DREAL). Non seulement l’industrie disparaît de nos territoires, mais elle disparaît aussi de la scène politico-administrative, comme si le sujet était mineur qui ne mérite même pas qu’on le mentionne. Quant à la politique énergétique, mais aussi celle des transports et du logement, elles ont été amalgamée au ministère de l’environnement depuis 2007, et disparaissent dix ans plus tard de l’intitulé de leur ministère de tutelle, actant ainsi une situation où le conflit entre les exigences des lobbies soi-disant « écologistes » et le poids des réalités rend impossible la définition d’une politique cohérente et ambitieuse.

Un autre signe inquiétant est l’insistance particulière sur le fait que plusieurs ministres sont germanophones. En principe, cela ne devrait rien changer : une règle ancienne veut qu’un ministre ne parle jamais, dans une négociation internationale, une langue qui ne serait pas la sienne. En effet, discuter en allemand avec un Allemand, en anglais avec un Anglais, en russe avec un Russe c’est se mettre en position d’infériorité, puisque on échange dans une langue que votre interlocuteur domine infiniment mieux que vous. L’utilisation d’un interprète rétablit l’égalité, chacun des interlocuteurs devant passer par ce même canal pour communique avec l’autre. Par ailleurs, cette insistance sur l’importance de la germanophonie pour « relancer l’Europe » montre à quel point les gens qui nous gouvernent ont internalisé le fait que l’Allemagne dirige l’Europe, et donc que toute initiative européenne passe nécessairement par elle. Du temps de l’empire américain, nos ministres se flattaient de parler anglais. Sommes nous passés dans l’ère de l’empire allemand ?

Ce gouvernement a-t-il des chances d’obtenir une majorité parlementaire qui lui permettrait de se survivre ? Oui, probablement. La campagne présidentielle puis les ralliements œcuméniques suscités par le nouveau président ont fini par bien montrer que les concepts de « gauche » et « droite » n’avaient plus de sens dans le champ politique. Que la différence entre « gauche de gouvernement » et la « droite de gouvernement » est de même nature que celle qui existe entre deux supermarchés : chacun cherche à être leader sur le marché, mais au fond ils vendent le même produit. Si Darmanin peut conduire une politique avec Le Drian, Si Bayrou, Le Maire, Collomb et Hulot peuvent ensemble conduire la même politique, pourquoi voter pour les uns plutôt que pour les autres ? En quoi une politique conduite par une majorité LR ou PS serait très différente de celle proposée aujourd’hui par Macron ? Avec le FN limité par le « plafond de verre » et par ses querelles internes, la « gauche radicale » pourrait avoir un boulevard devant elle… si seulement elle était capable d’articuler un projet crédible et populaire au lieu de se ranger derrière un gourou dans une logique sectaire.

Cela étant dit, obtenir une majorité à l’Assemblée nationale c’est une chose, la discipliner ensuite pour s’assurer que les députés votent dans le sens voulu par le gouvernement c’en est une autre, très différente. On retrouve dans la sélection des candidats aux législatives le même mélange d’opportunisme politique et de télé-réalité qu’on retrouve dans la composition du gouvernement. Il en résultera une Assemblée nationale profondément renouvelée, mais dans laquelle beaucoup de députés n’auront guère l’habitude d’une discipline de parti. On verra débouler une masse de jeunes ambitieux dont l’ambition n’est même pas tempérée par la fidélité à une organisation. Et cela pose un problème sérieux pour la qualité du travail législatif. Il faut noter qu’un député isolé, qui n’est pas encadré par un parti politique, est bien plus sensible aux sirènes des lobbies qu’ils soient locaux ou nationaux. L’indiscipline de la majorité socialiste sous le quinquennat Hollande s’est traduite par une production de textes déséquilibrés, excessivement longs et souvent contradictoires du fait de l’addition à la dernière minute de dispositions voulues par tel ou tel lobby. Ainsi, par exemple, la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte est entrée à l’Assemblée avec 66 articles, elle en avait plus de deux cents à sa sortie. La « loi Macron » était promise à une inflation similaire, qui n’a été bloquée que par l’usage du 49-3. A moins que le renouvellement ne soit qu’une illusion. En effet, si les macronistes montrent fièrement des listes bourrées de personnalités de la « société civile », il y a fort à parier que la distribution des circonscriptions « gagnables » est, elle, beaucoup plus classiquement arrangée…

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