"Dans les coulisses de Greenpeace" – Philippe Lequenne

Jean-Marc Jancovici

Lequenne Philippe, Dans les coulisses de Greenpeace, éditions L’Harmattan, 1997
(205 pages, 20€)


Philippe Lequenne (que j’ai rencontré) est actuellement enseignant, et a été directeur de Greenpeace France de 1988 à 1991, puis président des Amis de la Terre de 1991 à 1996.

Greenpeace a-t-il pour vocation la défense de l’environnement ? Le présupposé d’une motivation louable (« je veux sauver la planète ») implique-t-elle que la vérité est respectée ? Voilà une question que l’auteur de ce livre s’est indiscutablement posée à lui-même après son passage à la tête de Greenpeace France, et qu’il invite ses lecteurs – et les journalistes – à se poser un peu plus. « Dans les coulisses de Greenpeace » n’est pas, contrairement à ce que le lecteur pensera peut-être, une veste qui se retourne, et un ancien militant s’éloignant de la cause environnementale, au contraire. L’auteur tente juste d’expliquer pourquoi, pour bien défendre l’environnement il faut peut-être, paradoxalement, s’éloigner de Greenpeace.
Trois idées force reviennent en permanence dans ce livre :
  • Greenpeace est avant tout une agence de communication, non un lieu d’analyse rationnelle des enjeux environnementaux,
  • Greenpeace communique souvent sur la base d’une vision manichéenne et simpliste du monde qui n’est pas conforme à la réalité des choses (l’exemple du chlore est particulièrement intéressant de ce point de vue), et ne procède à aucune hiérarchisation des enjeux (lutter contre le nucléaire n’est pas le résultat d’une analyse rationnelle qui conclurait qu’il s’agit là de la première menace pour l’humanité, mais le résultat des conditions de naissance de l’organisation),
  • le fonctionnement de Greenpeace ressemble fortement à celui d’une entreprise : la première contrainte est de maximiser les ressources financières, et donc Greenpeace fait avant tout ce qui plaît à ses donateurs, non avant tout ce qui fait sens au vu des données scientifiques (c’est finalement une autre manière d’exprimer la conclusion de l’alinéa précédent).

Au risque de susciter l’incompréhension chez nombre de « défenseurs de l’environnement », mon expérience est que Philippe Lequenne… a parfaitement raison de faire ces constats, même si de l’eau a coulé sous les ponts depuis 1991, date à laquelle il a quitté cette ONG (qui n’est pas une association classique, soit dit en passant : Greenpeace n’a pas de membres, mais des donateurs, qui ne se réunissent pas en assemblée et ne choisissent pas les dirigeants, ce que l’auteur regrette également).
Greenpeace est-il nuisible pour autant ? Oui et non, et cela dépend non de Greenpeace… mais des journalistes qui relaient son discours. Si ces derniers savent transformer les affirmations de Greenpeace en questions (il y a de la radioactivité quelque part : mais y en a-t-il plus que d’habitude ? y en a-t-il plus que ce qui dérange le corps humain, ou les lombrics ? Il y a du chlore dans le PVC : en quoi est-ce plus gênant que le reste ? Utiliser du PVC permet-il ou non de faire considérablement baisser un autre problème ? etc) alors le rôle de Greenpeace est utile, comme aiguillon (il en faut) et invitation à se poser des questions.
Mais si Greenpeace doit être confondu avec un labo de recherche, tout ce qui en sort ayant le statut de vérité d’évangile pour la seule raison que la motivation affichée est noble, alors son rôle est plutôt négatif. Et c’est bien parce que les deux effets coexistent qu’il est difficile de proposer une conclusion tranchée sur cette organisation, que du reste l’auteur se garde bien de donner.
Il est intéressant de noter que le propos de Philippe Lequenne n’est finalement pas très éloigné de celui de… Crichton ! Tous les deux disent que les militants exagèrent volontiers, sans que leur sincérité ne soit nécessairement en cause, ne rendent pas compte du fonctionnement du monde mais de leur vision du monde, décident facilement où se situe le bonheur des peuples sans leur demander leur avis, idéalisent la nature même quand elle produit le paludisme ou les tsunamis, etc. Ce livre conforte une évidence, et il faut rendre grâce à l’auteur de l’avoir écrit, même s’il ose critiquer une organisation qui revendique de concourir au bonheur des hommes : si vous voulez comprendre comment fonctionne le monde, ce n’est pas chez les défenseurs de l’environnement qu’il faut commencer par s’informer.
En pareil cas, mieux vaut commencer par lire la littérature scientifique ou sa vulgarisation, ce qui permettra ensuite de faire le tri dans les mouvements militants, qui ne sont bien sûr pas à mettre tous sur un pied d’égalité, bien que nombre de journalistes entretiennent le sentiment inverse en usant et abusant du terme « les écologistes » pour désigner indifféremment les Verts, les membres ou donateurs de France Nature Environnement, de Sortir du Nucléaire, d’une association locale luttant contre un projet d’autoroute (ou d’éolienne !), d’une autre œuvrant pour l’extension d’une aire marine protégée, des scientifiques s’alarmant de la baisse des stocks de poissons, ou encore les promoteurs – fussent-ils ingénieurs des Mines – d’une fiscalité croissante sur l’énergie. S’interdire d’utiliser cette appellation générique « d’écologistes » et désigner nommément les organismes concernés et les buts poursuivis rendrait assurément service au débat public.


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