« Elan signifie une recherche de la rapidité au détriment de la qualité », Alexandre Gady, président de Sites et Monuments
La future loi Elan représente-t-elle un danger pour le patrimoine ? A la veille de la possible conclusion du débat parlementaire sur ce texte, « Le Moniteur » permet à des points de vue divergents de s’exprimer. Aujourd’hui, le président de l’Association Sites et Monuments, Alexandre Gady.
La discussion parlementaire sur la loi Évolution du Logement, de l’aménagement et du numérique (loi Elan), pourrait trouver son aboutissement cette semaine. Vingt-huit députés et sénateurs ont en effet rendez-vous ce mercredi 19 septembre 2018 pour discuter des derniers points en suspens à l’occasion de la Commission mixte paritaire (CMP). Mais en ce qui concerne le rôle des architectes des bâtiments de France (ABF), députés comme sénateurs ont d’ores et déjà acté la limitation de la portée de leurs avis dans certains cas. La disposition a engendré des réactions nombreuses, souvent très virulentes.
« Le Moniteur » a décidé d’ouvrir ses colonnes aux différents points de vue. Après le député LREM Mickaël Nogal qui a coordonné le travail de la majorité lors de l'examen du texte à l’Assemblée nationale, c’est au tour de l’historien de l’art et de l’architecture Alexandre Gady, de prendre la parole. Le président de l’association de protection du patrimoine Sites et Monuments, fustige un projet de loi qui favorise, selon lui, une relance de la construction « par la laideur et la facilité ».
« L’encre des décrets de la loi LCAP était à peine sèche… »
« En juillet 2016, la loi LCAP (Liberté de création, architecture et patrimoine) était votée après trois ans de réflexions : elle constituait une révision et une adaptation des lois existantes en matière d’architecture et de protection du patrimoine, tout en offrant quelques avancées démocratiques. A la réserve d’un silence gênant sur les éoliennes, ce texte avait été salué comme une réelle amélioration.
Or, l’encre de ses décrets d’application est à peine sèche qu’une nouvelle loi, dite « Elan », portée par Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, vient toucher à des points sensibles de l’édifice législatif et réglementaire, que l’on croyait pourtant stabilisés : l’avis conforme de l’architecte des bâtiments de France (ABF) est à nouveau attaqué, et supprimé dans deux cas précis, le logement insalubre et les antennes relais, en site protégé ; la loi Littoral est menacée par l’interprétation d’un article sur la construction dans les hameaux ; le rôle de l’architecte est réduit, notamment dans le cadre des concours pour les logements sociaux ; l’économie des PME du bâtiment est menacée par de nouvelles dispositions financières.... Enfin, le texte propose encore une réduction des recours des citoyens.
Instabilité législative et réglementaire, articles très proches des demandes des lobbys du BTP, … le vieux monde bouge encore. Les protestations des associations de défense du patrimoine, auxquelles se sont jointes celles de l’ordre des architectes et de diverses associations professionnelles, ne se sont pas fait attendre, mais en vain. La médiatisation d’un tel combat, peu populaire et surtout technique, est venue de Stéphane Bern, chargé d’une mission patrimoine par l’Élysée, qui a courageusement et publiquement critiqué ce projet de loi devant le président de la République le 31 mai dernier, avant de battre la campagne depuis quinze jours à l’occasion du Loto du patrimoine. Sorte de Nicolas Hulot du patrimoine, Stéphane Bern a en effet dénoncé, dans un cruel parallèle, l’inutilité des efforts qu’il déploie bénévolement afin de sauver plusieurs monuments si une loi modifie des règles qui, demain, s’appliqueront sur tout le territoire.
« Des fonctionnaires que plus personne ne soutient »
Chargé de la police des lois du patrimoine, le corps des ABF cristallise à nouveau les attaques, et a même fait l’objet d’insultes à caractère diffamatoire du ministre lui-même en séance. Chacun y va de son anecdote personnelle contre ces fonctionnaires, que plus personne ne soutient vraiment, pas même Françoise Nyssen, la ministre de la Culture, absente du débat parlementaire – il est vrai qu’elle semble habituée à faire des travaux chez elle sans permission de l’ ABF...
Leur « avis conforme », qui s’impose aux décideurs publics et privés, dans les abords d’un monument (loi de 1943), dans les sites patrimoniaux remarquables (SPR) et dans les sites classés (loi de 1930), gêne d’évidence. Justifié par l’importance de la mission de préservation du patrimoine que la Nation lui a confié, ce pouvoir régalien irrite certains élus et promoteurs, que la décentralisation a fait rois : un « avis simple », donc que l’on n’a pas à suivre, reste l’horizon indépassable de certains décideurs… au mépris d’une évidence : beaucoup d’élus travaillent main dans la main avec leur ABF, parce qu’on est toujours plus intelligent à plusieurs.
« 200 000 avis par an, dont 0,1 % donne lieu à un refus»
Les coups portés au patrimoine et à l’architecture par la loi Elan visent à faciliter la construction de logements, notamment sociaux, en faisant de fait du BTP un maître d’œuvre sans architecte et sans contrainte. Quand le bâtiment va… Dans un pays où l’on parle sans cesse de « blocages » et de retards, sait-on que les 145 architectes des bâtiments de France traitent 200 000 avis par an, dont 0,1 % donne lieu à un refus ? Ce chiffre montre l’importance du dialogue en amont. Le nombre des projets améliorés grâce à eux, se compte à l’inverse en milliers. C’est grâce à leur expertise, mais surtout à la possibilité de dire non que la négociation concrète peut avoir lieu entre les acteurs de la construction. Supprimer l’avis conforme ne revient donc pas à empêcher les refus, suivant un raisonnement simpliste, mais à renoncer à la possibilité d’une amélioration. Il faut d’évidence mieux former les ABF, ne pas les laisser seuls, plus recruter pour étoffer un corps qui s’étiole depuis plusieurs années, enfin renforcer les UDAP (unité départementale d’architecture et du patrimoine), dont la position sur le territoire est un bon échelon pour fabriquer harmonieusement le cadre de vie de tous.
Ainsi, le texte de la loi Elan est mauvais pour l’art de bâtir, mauvais pour le patrimoine et mauvais pour la vie démocratique. Il défait des équilibres et des logiques, au profit d’une relance par l’enlaidissement et la facilité. Les 28 parlementaires, qui vont bientôt mettre au point le texte final de la loi Elan, doivent se ressaisir, et remettre l’architecture, ancienne et moderne, à sa véritable place : au centre de la cité. »
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