Arnaud Jouve
16-09-2018
Des pylônes électriques qui transportent l'électricité d'une centrale nucléaire du Cap.
© REUTERS/Mike Hutchings
Dix Etats africains ont annoncé clairement leurs intentions de se doter de centrales nucléaires. A l’horizon 2025, au moins cinq pays africains en seront équipés, en plus de l’Afrique du Sud, seul pays du continent à disposer d’une centrale dotée de deux réacteurs. Pour l’Agence internationale de l’énergie nucléaire (AIEA), aujourd’hui plus du tiers des pays candidats à l’énergie nucléaire sont africains. Pour parvenir à faire face à leurs besoins énergétiques croissants, plusieurs pays souhaitent recourir à l’atome. De plus, le continent dispose d’importantes réserves d’uranium très convoitées et l’Afrique est devenue un nouvel eldorado pour les promoteurs de cette technologie coûteuse. Une ruée vers l’énergie nucléaire encouragée par la Chine, la Russie et la France.
L’énergie est un enjeu crucial pour l’Afrique. Avec une population grandissante, des énormes besoins de développement économique, d’infrastructures, d’équipements industriels et autres, tous les pays du continent sont confrontés à une demande croissante d’électricité, ne serait-ce que pour attirer les investisseurs.
Or, bien que cette production d’énergie puisse provenir de différentes technologies comme le développement des centrales thermiques, solaires, éoliennes ou hydroélectriques, le nucléaire reste aux yeux de certains une option séduisante. Pour les promoteurs de l'énergie atomique, cette technologie a la capacité de couvrir rapidement les besoins d’un pays avec une production de 2 000 à 3 000 MW pour deux réacteurs, mais c’est aussi un symbole fort de puissance et de modernité. Être capable de posséder une centrale nucléaire, c’est faire la démonstration de sa bonne santé économique, de sa stabilité et de son niveau de développement. Mais à quel prix ?
Les premiers pas du nucléaire en Afrique
L’histoire du nucléaire en Afrique est plus ancienne qu’elle n'y paraît. Outre le fait qu’il y a 2 milliards d’années (avant l’apparition de l’homme) des réacteurs nucléaires naturels auraient fonctionné dans le sous-sol de la province du Haut-Ogooué sur le site de la mine d’uranium d’ Oklo dans l’actuel Gabon, le premier réacteur nucléaire* d’Afrique (produit par l’homme) a vu le jour au Congo dans les années 1950.
Sur l’initiative du gouvernement belge, un réacteur nucléaire, nommée TRICO I, d’une puissance de 10 à 50 kW, a été construit au Congo Belge, à l’université de Lovanium à Léopoldville (Kinshasa) entre 1954 et 1967 pour la recherche, l’enseignement et la production d’isotopes à usages médicaux et agricoles. TRICO I a été arrêté en 1970 et a été remplacé par le nouveau « Centre régional d’études nucléaires » (CREN) de la République démocratique du Congo par un autre réacteur plus puissant TRICO II, de 1 MW, qui deviendra opérationnel en 1977.
Le contrôle de la comptabilité des matières nucléaires du réacteur fait l’objet depuis d’une inspection annuelle de l’AIEA. L’Agence initie en 1988 un projet de coopération technique portant sur la fourniture d’équipements et d’éléments de combustible de rechange, mais l’embargo décrété par les Etats–Unis contre le régime de Mobutu empêchera de procéder aux livraisons demandées par l’AIEA**.
Le réacteur, faute d’entretien et de remplacement de ces éléments de combustible défaillants, va connaître une mort lente, malgré les efforts désespérés des techniciens locaux qui tentent avec une absence totale de budget (d’après l’AIEA) de continuer à entretenir leur réacteur, en espérant un jour des financements pour relancer leur projet.
Deux barres de combustible sont volées sur le site dans les années 70. Une sera retrouvée dans les mains de trafiquants mafieux en Italie, l’autre reste introuvable. Aujourd’hui, le site vétuste et dangereux, qui abriterait toujours des éléments de combustible dans le cœur du réacteur, sous le contrôle d’un pupitre de commandes totalement défaillant, se trouve dans un bâtiment de l’université, construit sur une colline très érodée par le ruissellement des eaux de pluies tropicales, qui entament son périmètre. A la demande du gouvernement de la RDC, un atelier organisé par l’AIEA s’est déroulé sur place début mai pour évaluer les conditions de redémarrage du réacteur à l’arrêt depuis 2004.
Le siège de l'AIEA à Vienne. © AFP
L’expérience sud-africaine
Au fil des décennies, plusieurs pays africains ont annoncé leur volonté de se lancer dans des programmes nucléaires et quelques-uns (Libye, Algérie, RDC, Maroc, Nigéria) se sont dotés de réacteurs qui servent surtout à la recherche médicale. Certain comme l’Algérie, qui avaient affiché dans un premier temps une ambition d’armement nucléaire, ont renoncé à leurs projets et se sont tournés vers une application civile. C’est aussi le cas de l’Afrique du Sud, seul pays à disposer actuellement d’une centrale nucléaire sur le continent.
L’Afrique du Sud, dans un premier temps, a développé un programme militaire secret très avancé dans lequel elle a pu construire entre 1982 et 1989 six bombes atomiques aériennes de 15 kt et 20 kt et s’apprêtait à en faire une septième lorsque le pays a renoncé totalement à son programme militaire, avant l’arrivée au pouvoir du Congrès national africain (ANC), en ratifiant le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).
Dans un deuxième temps, le pays s’est doté d’une centrale nucléaire (de Koeberg) équipée de deux réacteurs atomiques, toujours en fonctionnement, pour compléter ses besoins en électricité, fournie à 90 % par de polluantes centrales à charbon. Pour se dégager du charbon, l’ex-président Jacob Zuma avait lancé un projet de développement du parc nucléaire sud-africain qui avait fait polémique. Il projetait de construire six à huit nouveaux réacteurs d’une capacité totale de 9 600 MW qui d’après le journal Le Monde auraient coûté près de « 1000 milliards de rands (environ 70 milliards d’euros) (...) La Russie, la France, la Corée du Sud et les Etats-Unis s’étaient déjà mis sur les rangs ».
Mais ce projet de relance du parc nucléaire a été depuis mis entre parenthèse au profit des énergies renouvelables. Le ministre de l’Énergie Jeff Radebe a annoncé le 27 août : « Nous allons lancer une étude pour déterminer s’il nous faudra plus de nucléaire après 2030… Mais jusque-là, nous n’envisageons pas d’augmenter notre capacité de production d’électricité nucléaire ».
La ruée vers l’énergie nucléaire
Malgré les coûts exorbitants, les risques sécuritaires, environnementaux, et tous les problèmes à surmonter pour obtenir cette technologie, à l’heure où de nombreux pays se désengagent, en Afrique, le nucléaire fait rêver. Des pays comme l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’Égypte, le Ghana, le Kenya, l’Ouganda, la Zambie, le Niger, le Nigeria et le Soudan ont exprimé leurs intentions de parvenir à produire de l’énergie nucléaire (certains disposent déjà de réacteurs de recherches et souhaitent passer à la production).
Pour Mikhail Chudakov, le directeur général adjoint et chef du département de l’énergie nucléaire à l’AIEA, « l’Afrique a soif d’énergie et l’énergie nucléaire pourrait faire partie de la solution pour un nombre croissant de pays ». Selon différentes études, le continent doit installer environ 160 GW à l’horizon 2025 et davantage en 2050 quand sa population passera à 2 milliards d’habitants (1,3 milliards actuellement). En Afrique subsaharienne par exemple, 57 % de la population n’a pas accès à l’électricité. L’énergie est vitale pour le développement, tout le monde en convient et même si l’énergie nucléaire est la pire des solutions, elle fait l’objet d’une promotion internationale sans égal.
Un employé de la mine d'uranium à ciel ouvert exploitée par Areva dans le désert de l' Aïr au Niger. © (Photo : AFP)
En plus du formidable marché potentiel que représente l’Afrique pour les promoteurs du nucléaire, le continent possède 20 % des réserves mondiales d’uranium. Trente-quatre pays en possèdent dans leurs sous-sols (les mines sont principalement situées en Afrique du Sud, au Malawi, en Namibie et au Niger). Le Niger par exemple, l’un des pays les moins électrifiés de la planète, dispose de la 4e plus grosse réserve mondiale d’uranium. Un minerai très recherché par tous les pays nucléarisés.
La mine d'uranium à ciel ouvert de Tamgak à Arlit, exploitée par la Somaïr, une filiale d'Areva. © Reuters/Joe Penney
Le nucléaire en Afrique : un nouvel Eldorado
Pour faire aboutir ses ambitions nucléaires, l’Afrique cherche des compétences et des moyens à l’étranger auprès de pays nucléarisés que le continent intéresse pour de multiples raisons (économiques, géostratégiques…). Le secteur de l’énergie en Afrique connaîtra une importante montée en puissance, le continent deviendra une zone d’influence cruciale pour le développement nucléaire et c’est une opportunité commerciale qui intéresse les pays occidentaux comme la France, déjà très présente sur le continent, notamment via des accords d’accès aux mines d’uranium. Mais la concurrence est déjà rude avec l’arrivée, depuis une dizaine d’années, de la Russie et de la Chine qui se partagent déjà la part du lion.
En 2015, l’Égypte a officiellement annoncé que la Russie construisait une première centrale nucléaire de 1 000 MW à El-Dabaa, dans le désert libyque pour 4 milliards de dollars et qu'elle sera opérationnelle à l’horizon 2025, en même temps qu’une autre centrale construite également par l’entreprise russe Rosatom au Nigeria. Sans compter un autre projet russe de construction de centrale au Soudan.
De son côté, la Chine qui a annoncé ce mois-ci que la China General Nuclear power Corporation commençait l’exploitation de la mine d’uranium de Husab en Namibie, a signé un accord avec l’Ouganda pour la construction d’une centrale de 2 000 MW et construit la première centrale nucléaire du Kenya. Un rêve de maîtrise qui reste toujours à démontrer.
" L'indignation est un commencement. Une manière de se lever et de se mettre en route. On s'indigne, on s'insurge, et puis on voit. " BENSAÏD Daniel
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