Sortir en parallèle du charbon et du nucléaire…

Bernard Tardieu


Sortir en parallèle du charbon et du nucléaire… est une idée que certains hommes politiques répètent volontiers, en particulier en Allemagne, mais aussi en France. C’est une tendance récente d’estimer qu’il y a une valeur morale à « sortir » d’une pratique dont les conséquences sont perçues négativement.
Si cette pratique est jugée aujourd’hui négativement, au moins par une partie de la population, elle ne l’était pas lorsqu’elle a été adoptée dans un passé parfois récent. C’est le cas d’une part de l’usage du charbon, la plus ancienne source d’énergie fossile à l’échelle industrielle, et d’autre part de l’usage de la réaction nucléaire pour remplacer ce charbon dont la France manquait. Dans les deux cas, il s’agit de produire de la chaleur pour produire de la vapeur d’eau, faire tourner des turbines à vapeur et produire de l’électricité.
Le développement de l’hydroélectricité, puis du nucléaire étaient les solutions choisies par notre pays pour sortir du charbon, non pas, à l’époque de ce choix, pour limiter nos émissions de gaz à effet de serre, mais pour assurer notre indépendance en matière de production électrique.
La raison du choix de la France était claire et explicite. Les nombreux pays qui disposent de grandes réserves de charbon ou de lignite ont fait très majoritairement le choix de produire de l’électricité avec du charbon, souvent associé à de la production nucléaire.
Il n’y a pas de parallèle entre la sortie du charbon et la sortie du nucléaire. Elles n’ont rien en commun.

La sortie du charbon… correspond aux engagements de l’accord de Paris sur la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Ces engagements sont contraignants pour les États membres de l’Union européenne. L’accord entre ces États membres, difficile à obtenir, a été signé au printemps 2018.
L’Europe s’est voulue exemplaire dans l’application de l’accord de Paris bien qu’elle ne soit pas un émetteur majeur de gaz à effet de serre. Le non-respect de ses engagements a des externalités pour toute la planète et pas seulement pour les pays qui ne tiennent pas leurs engagements. Ces externalités, ce sont les conséquences multiples des modifications du climat.
Certes, tous les territoires, tous les pays ne seront pas perdants dans les modifications climatiques. La production céréalière de la Russie ou du Kazakhstan a déjà augmenté, les circulations maritimes arctiques avantagent les pays du Nord. Mais beaucoup de pays souffriront de ces changements de climats qui pénaliseront les conditions de vie ou de production agricole et énergétique ou exigeront des adaptations auxquelles ces pays ne pourront pas faire face. Ces externalités ne sont ni prévisibles, ni facilement mesurables dans le présent, ni contrôlables dans leur évolution. Elles sont globales et durables. C’est un sujet de solidarité de l’humanité présente et future.
Le système européen d’échange de permis d’émission EU ETS présente aujourd’hui un fonctionnement institutionnel irréprochable et devrait être un outil majeur de la politique européenne. Le prix a été longtemps tellement bas (5 € la tonne de CO2) qu’il n’avait aucun impact sur les choix d’investissement. Depuis le début de 2018, il est en croissance régulière avec un prix de 20 € la tonne en août 2018. Il faudrait un prix d’environ 40 € par tonne de CO2 pour infléchir le système de production d’électricité du charbon vers le gaz. Les industriels allemands ou polonais ne sont eux pas favorables à une croissance de ce prix du CO2.

La sortie du nucléaire civil… est un choix politique et sociétal que peuvent faire librement des pays, des territoires et des peuples. Certains pays font le choix de développer la production électrique nucléaire car celle-ci n’émet pas de gaz à effet de serre. Ce n’était pas l’argument qui a conduit à inventer, puis à développer la production nucléaire, mais c’est devenu un des arguments pour en promouvoir l’usage. Les externalités négatives du nucléaire sont quant à elles assez bien connues après les accidents de Tchernobyl et de Fukushima. Elles sont terribles pour les territoires concernés. Cependant, elles concernent des zones de surfaces limitées qui font l’objet de mesures et de contrôles précis et constants, sur place et à distance. Ces accidents ont été extrêmement douloureux pour les territoires exposés mais ce n’est pas un saut dans l’inconnu pour la planète. Le choix de la production d’électricité grâce à l’énergie nucléaire constitue un choix politique éthiquement défendable qui n’engage pas l’avenir de notre planète. Notons que certaines centrales sont proches d’une frontière entre deux pays qui partageaient le même objectif et ne le partagent plus. Cette situation peut avoir un impact sur la durée de vie et sur l’avenir de ces centrales.

Certains diront… qu’il faut sortir de toutes ces technologies thermiques centralisées car l’avenir est aux énergies renouvelables décentralisées. Pour les territoires dotés de fortes ressources hydrauliques (comme beaucoup de pays montagneux ou en zone tropicale), l’argument se défend car ces dernières permettent le stockage de l’eau, donc d’électricité, dans des réservoirs. L’électricité peut être produite dans la quantité voulue au moment souhaité au cours de l’année et ainsi adosser les énergies intermittentes. En Norvège, 96% de l’électricité est produite par l’énergie hydraulique, ce qui permet à ce pays de soutenir la production renouvelable intermittente du Danemark et du nord de l’Allemagne. L’intégration des énergies intermittentes est ainsi grandement facilitée dans les pays riches en hydroélectricité comme la Suisse, l’Autriche, dans toute l’Amérique latine et dans beaucoup de pays d’Afrique tropicale et d’Asie… Nos voisins allemands ont déjà dépensé 500 milliards d’euros de subventions en 20 ans pour développer les énergies éolienne et solaire photovoltaïque…Mais en l’absence d’énergie hydroélectrique, peut-on compter uniquement sur la production électrique des fermes éoliennes et des technologies de production solaire pour assurer le fonctionnement d’un réseau électrique d’un grand continent développé comme l’Europe ?
Aujourd’hui, dans l’état des techniques actuelles, l’impact de ces choix sur les émissions de gaz à effet de serre est limité. La pointe de demande électrique est de 80 GW de puissance appelée en Allemagne, soit un peu moins qu’en France malgré la consommation industrielle plus élevée car le chauffage électrique est peu fréquent outre-Rhin. La puissance installée en éolien et photovoltaïque est égale à près de 100 GW. Mais du fait de la production réelle, qui dépend de l’ensoleillement et du vent, la part de ces énergies renouvelables n’est que de 33 % dans la production électrique annuelle de l’Allemagne. Le charbon, le lignite et le nucléaire assurent encore la majorité de la production nationale.
Lorsqu’il y a du vent ou du soleil, les centrales thermiques sont arrêtées mais elles doivent redémarrer dès que le vent ou le soleil baissent. Elles fonctionnent moins longtemps donc elles émettent moins de CO2 (dans le cas des centrales utilisant du combustible fossile) et elles sont moins rentables, mais leurs présences demeurent indispensables. Les émissions de CO2 liées à la production d’électricité en Allemagne sont très légèrement décroissantes, d’environ 3% par rapport à 2005. L’arrêt de 8,3 GW de puissance nucléaire en 2011 (la moitié du parc allemand) n’a pratiquement pas été compensé en matière d’émissions de CO2 par la mise en service de 100 GW de production renouvelable intermittente, soit 12 fois plus.

Alors certains diront qu’il faut développer les interconnexions pour bénéficier du foisonnement des énergies renouvelables intermittentes. Le principe du foisonnement tient à l’espoir qu’il y ait toujours du vent et du soleil quelque part sur le territoire connecté au réseau électrique. Il suffit donc de renforcer le réseau électrique européen pour relier mieux les régions d’Europe entre elles. Mais d’une part, les épisodes climatiques sont souvent assez homogènes sur la totalité de l’Europe et, d’autre part, l’installation des lignes à haute tension rencontre de fortes oppositions tout le long de leur trajet sans parler du coût d’installation et de la consommation de cuivre et d’acier. L’un et l’autre sont à attribuer aux ENR intermittentes seules. Le stockage massif saisonnier de l’électricité ne sera pas résolu de sitôt. Le stockage de la chaleur est plus simple à réaliser et il n’y a pourtant pas de solution économique pour transférer la chaleur de l’été en hiver. Pour assurer la continuité de la fourniture en hiver durant les périodes peu ventées (généralement les plus froides), il faudra continuer de solliciter des énergies disponibles à la demande, quel que soit le développement des puissances éoliennes et photovoltaïques installées.

Faute de disposer de suffisamment d’hydraulique, le recours au charbon, au gaz ou au nucléaire demeurera une contrainte pour longtemps. Le nucléaire est une réponse possible, le gaz en est une autre, moins bonne en matière d’émission de gaz à effet de serre mais qui s’améliorera avec l’augmentation de la part de biogaz. Les solutions de captage et de stockage du CO2 ne sont pas perçues favorablement par les habitants, elles nécessitent des caractéristiques géologiques particulières et peu fréquentes, en Chine par exemple, et le modèle économique est peu convaincant aujourd’hui.

Il faut donc sortir du charbon au nom de la solidarité de l’humanité. La production d’électricité issue du nucléaire est quant à elle un choix de société que chaque communauté est libre de choisir...

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