Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode I
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode II
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode III
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode IV
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode V
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode VI
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode VII
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode VIII
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode IX
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode X
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode XI
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode XII
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode XIII
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode XIV
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode XV
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode XVI
Haute-Marne : il était une fois la ville de Fayl-Billot et des villages du canton, Épisode XVII
Claude-Jules Briffaut est né à Vicq, le 25 août 1830. Ordonné prêtre à Langres le 3 mars 1855, il fut nommé vicaire à Fayl-Billot le 16 mars de la même année et occupa cette fonction jusqu'au 1er septembre 1866, date à laquelle il devint curé de Pierrefaites-Montesson. Le 17 février il fut nommé curé de Bussières-les-Belmont. Sous une apparence sévère, il se dévoua toute sa vie pour les pauvres et les malheureux, allant même jusqu'à créer un hôpital. La paralysie qui le frappa deux ans avant sa mort, survenue le 7 avril 1897, à Bussières-les-Belmont, lui interdit ensuite toute activité, à son plus grand désarroi.
Il se mit en chemin vers la fin de 1669, et gagna le royaume de Valence, résolu d'y passer le reste de ses jours. Les circonstances ne lui permirent pas de s'y établir. Peu de temps auparavant, un Français avait tué un grand d' Espagne, et tous les Français étaient devenus si odieux aux Espagnols, qu'ils n'en pouvaient souffrir aucun sur leur terre. Jean-Jacques revint donc au diocèse de Langres. Cette fois il choisit pour le lieu de sa retraite l'ermitage de Saint-Pérégrin dans la paroisse de Poinson, et M. Gontier, grand-vicaire, l'en mit en possession par des lettres datées de 1670.
Avant de jeter les fondements spirituels de son ermitage, il construisit l'édifice matériel. Il répara de ses propres mains tous les vieux bâtiments qui tombaient en ruine, et en éleva de nouveaux. Il sépara par une grande cour l'appartement des ermites de celui des novices ; car plusieurs jeunes gens se mirent sous sa direction. Il ne leur permettait point de relations avec le monde. Quand quelqu'un demandait à les voir, il répondait : "Vous voulez voir nos frères, mais nos frères ne veulent pas vous voir ; vous voulez leur parler, mais ils ne vous répondront rien ; ils sont morts, ils sont muets ; je leur ai coupé la langue et les deux pieds ; je ne leur ai laissé que les deux bras pour travailler." Il était expressément défendu aux femmes et aux filles d'entrer dans l'ermitage, sous quelque prétexte que ce fût.
Quand quelques jeunes hommes se présentaient à lui pour être reçus au noviciat, il leur demandait cinq choses, savoir :
- s'ils n'avaient point été repris de justice, et s'il n' y avait point contre eux le décret de prise de corps [Sous l’Ancien régime, jugement rendu en matière criminelle qui ordonne l’arrestation d’un accusé; équivalent aujourd'hui au mandat d'arrêt.] ;
- s'ils n'étaient point enrôlés dans les armées du roi ou déserteurs ;
- s'ils n'étaient point mariés, ou si étant veufs s'ils n'avaient point d'enfants qui eussent besoin d'eux pour gagner leur vie ;
- s'ils n'étaient point chargés de dettes, car dans ce cas il les obligeait à rester dans le monde pour les payer ;
- enfin s'ils n'avaient point quelques maladies incurables ou contagieuses.
Quand aux qualités du corps, il exigeait que ceux qui se présentaient fussent jeunes, robustes, d'une forte complexion, accoutumés au travail et non sujets aux maladies.
Pour les qualités de l'âme, il voulait qu'ils eussent l'esprit solide, gai, ouvert, plein de candeur, simple et exempt d'inconstance et de légèreté, qu'ils aimassent la retraite et le silence.
Jamais il ne demandait à un postulant s'il avait de l'argent. "Tout le trésor que nous vous demandons, disait-il, c'est le trésor de l' Évangile qui est caché dans le fond de votre coeur, c'est-à-dire un grand désir de votre perfection ; servez bien Dieu, et rien ne vous manquera."
Si quelqu'un lui représentait qu'il n'avait rien à donner, pourvu qu'il eut les qualités requises, il lui disait en l'embrassant : " Vous, soyez le bien-venu, mon cher-frère ; si vous n'avez rien, nous n'avons rien non plus ; nous nous accorderons bien ensemble."
Si quelqu'un voulait donner quelque chose en entrant, il l'acceptait en disant : "C'est pour vous et non pour moi que je prends cet argent, mon cher frère ; nous l'emploierons à vous bâtir une cellule et à vous achetez un habit et des livres."
En quatre ou cinq ans, il reçut plus de soixante novices, parmi lesquels étaient les frères Macaire, Arsène et Dorothée, qui demeurèrent longtemps avec lui.
Ils avaient tous pour vêtement une robe descendant jusqu'aux talons et une ceinture de cuir à laquelle était suspendue un chapelet. Leur capuce était carré, fait en pointe, et le spéculaire de même longueur que la robe était attaché par dessus avec un manteau descendant jusqu'aux genoux. Le tout était de laine naturellement brune. Ils allaient pieds nus avec des sandales, et ne portaient un chapeau que quand ils faisaient voyage.
Mais plusieurs vagabonds, vêtus à peu près de la même manière, connaissant la grande estime qu'on avait dans le monde pour les ermites de Saint-Pérégrin, parcouraient les villages du diocèse et faisaient des quêtes sous leur nom, afin d'obtenir par là plus de blé et d'argent. Comme ils menaient ensuite une vie scandaleuse, ils causaient une étrange confusion à frère Jean-Jacques. En voici un exemple : M. Le marquis d'Ancre, seigneur de Laferté, avait entendu maintes fois M. Amyot, curé de Bussières et homme d'un grand mérite, dire toute sorte de bien de notre solitaire, et sur son récit, il souhaitait fort le connaître. Un jour, un soi-disant ermite contrefit si bien l'air et les manières du Père, en allant à la quête chez le marquis, qu'il lui fit croire que c'était lui, de sorte qu'il en reçut beaucoup d'honnêtetés, et une grosse aumône. Ce misérable, ravi d'avoir réussi dans son hypocrisie, alla loger dans un cabaret du village de Laferté, où il dépensa à boire pendant deux ou trois jours la meilleure partie de sa quête. Par hasard, une servante du marquis vint un soir demander quelque chose à l'hôtellerie. Elle y rencontra l'ermite plein de vin et en fut fort scandalisée. Elle alla dire cette aventure à son maître, qui, outré de dépit d'avoir été ainsi attrapé, se rendit promptement à l' hôtellerie pour châtier cet insolent ; mais il avait déjà pris la fuite. Le lendemain, le marquis adressa des reproches au curé et lui dit qu'une autre fois il ne croirait pas si facilement aux saints qu'il canonisait ; que peu s'en était fallu qu'il n'eût maltraité son ermite à coups de bâton : puis il raconta l'histoire. "Vous m'auriez fait grand plaisir de le battre, répliqua M. Amyot ; je suis sûr que frère jean-jacques n'en aurait rien senti." Celui-ci ayant appris cette insigne fourberie, en fut pénétré de douleur. Il alla aussitôt trouver le marquis pour le désabuser et lui dit en l'abordant :
" J'ai appris, Monsieur, qu'un bélitre (69) a pris mon nom et mon habit pour vous surprendre ; je viens vous montrer mon visage et vous faire voir que je n'ai jamais été en votre paroisse." Le marquis ayant reconnu l'imposture du faux ermite, fut bientôt persuadé de la vertu du véritable. Après quelques moments d'entretien, il s'efforça de vainement le retenir chez lui. Quand il fut parti, il fit porter trois charges de blé à son ermitage.
Plusieurs faits de cette nature, déterminèrent Jean-Jacques à changer la couleur de son habit. Monseigneur de Simiane de Gordes, évêque de Langres, jugea cette réforme si nécessaire, qu'il commanda à tous les ermites de son diocèse de prendre le blanc à l'exemple des religieux du désert de sainte Sabine. Son ordonnance faites à Varennes, le 16 septembre 1687, fut mise à exécution à Saint-Pérégrin quelques années avant d'être publiée.
Saint Bruno en prière dans le désert. 1638. Nicolas Mignard, 1606-1668, Avignon, Musée Calvet.
La manière dont le Père donnait l'habit à ses novices, était simple, mais édifiante. Quand le jour assigné pour la vêture était arrivé, il faisait demander à genoux l'habit au postulant, puis il récitait avec les frères le Veni Creator. Ensuite, il prenait le crucifix, le lui donnait à baiser, et le revêtant de la tunique, il lui disait : " Je vous donne, mon frère, cet habit, de l' autorité de Monseigneur notre Évêque, mais souvenez-vous qu'on ne vous le laissera qu'autant que vous serez fidèle à la pratique des règles de la vie solitaire." Après l'avoir vêtu, il l'embrassait et changeait son nom du monde en celui de quelque saint anachorète. " En vous donnant, disait-il, un nom nouveau, je ne vous ôte pas celui de votre baptême, vous devez toujours avoir une grande dévotion au saint que l' Eglise vous a donné pour patron ; vous prendrez celui-ci pour coadjuteur de l'autre, afin que tous deux ensemble vous conduisent dans les voies parfaites de la vie chrétienne. " Après cela, il lui coupait les cheveux ; c'était une marque de la juridiction qu'il avait sur lui. Il ne voulait pas que ses religieux fissent des vœux ni simples ni solennels. Si, le jour qu'il avait pris pour la vêture d'un novice, il se trouvait quelque étranger à l'ermitage, il en différait la cérémonie jusqu'au lendemain ; il ne permettait jamais aux personnes du dehors d'y assister. Sa maxime était qu'il ne faut pas commencer la vie érémitique par le commerce avec les gens du monde ; que rien n'est si capable de distraire un jeune homme qui renonce au siècle, que la vue des séculiers ; qu'il faut s'éloigner des occasions de parler aux créatures, quand le créateur nous fait la grâce de nous conduire, suivant sa promesse, dans la solitude pour parler à notre coeur.
Dans cette petite communauté le temps était distribué avec une précision admirable. Tous les services de la journée étaient fixés par un règlement que l'on observait avec la plus grande exactitude. Les religieux se levaient, en hiver, à quatre heures, et en été, au point du jour ; Jean-Jacques disait qu'il serait honteux pour un ermite que le soleil fut levé avant lui. Immédiatement après, ils allaient ensemble dans leur chapelle, faire la prière vocale et mentale qui durait cinq quarts d'heure, puis ils récitaient l'office de la Sainte Vierge, et entendaient la messe, s'ils avaient un prêtre pour la leur dire. Cela fait, ils allaient au travail. À dix heures, le déjeuner en commun, pendant lequel on faisait la lecture de quelque bon livre. Après ce repas, il y avait un quart d'heure de récréation dans le jardin. À onze heures, les frères reprenaient le travail, qui devait être interrompu depuis une heure jusqu'à une heure et demie par la lecture de la vie du saint du jour ou d'un autre livre de piété. À quatre heures et demie, ils récitaient les Vêpres et les Complies. À cinq heures, ils faisaient encore une demi-heure de méditation. À cinq heures et demie, le souper ou la collation, la lecture et la récréation comme au matin. Après cela, frère Jean-Jacques faisait une conférence, tantôt sur les vérités chrétiennes, tantôt sur les maximes des saints anachorètes. Dans ses entretiens familiers, il faisait parler ses novices, leur demandait leurs sentiments on leur faisait répéter ce qu'il avait dit. À huit heures, ils disaient le chapelet, faisaient l'examen de conscience, la prière du soir et la lecture du sujet de la méditation pour le lendemain. Ensuite chacun se retirait en silence dans sa cellule pour être couché à neuf heures au plus tard.
Outre les conférences que frère Jean-Jacques faisait chaque jour à ses novices par manière de récréation, il en donnait une plus sérieuse et plus longue tous les vendredis. Il parlait ordinairement de l'obligation qu'ont les ermites d'imiter la vie des saints solitaires. Et, comme il possédait presque tous les livres qui avaient rapport à cette matière et qu'il avait une mémoire admirable, il en racontait les plus beaux traits d'une manière si vive et si touchante qu'il faisait une grande impression sur le coeur de ses frères.
À Saint-Pérégrin, l'on ne se contentait pas des jeûnes prescrits par l' Eglise. On jeûnait encore tous les vendredis, l' Avent, la veille de toutes les fêtes de Notre-Seigneur, de Notre-Dame, des Apôtres et de plusieurs saints anachorètes, comme de saint Antoine, de saint Paul, de saint Hilarion, et de saint Pacôme. Frère Jean-Jacques honorait particulièrement ce dernier, et, à son imitation, il voulait toujours être portier de la maison ; il ne donnait cette charge à personne. En sa qualité de supérieur, il désirait savoir qui entrait dans son ermitage et qui en sortait.
Il s'appliqua de tout son pouvoir à occuper ceux qui étaient sous sa direction. Il leur fit apprendre des métiers, qui ne troublaient pas le repos et la paix de la solitude. Ses religieux faisaient des bas, des calottes, des bonnets de laine, de l' estame, des sangles, des housses, des paniers et des corbeilles d'osier, qui étaient très-délicatement travaillées (70), des images de la sainte Vierge, des crucifix, etc. Tous les jeudis un frère allait vendre une partie de ces ouvrages au marché de Fayl-Billot, d'où il rapportait à l'ermitage les provisions nécessaires pour la semaine ; ils donnaient les autres aux personnes qui leur faisaient visite. Ils ne sortaient guère que pour aller à la paroisse entendre la messe, les fêtes et dimanches.
"En vous donnant l'habit, disait le Père à ses novices, je vous ai coupé les cheveux ; mais je ne vous ai pas coupé les bras. Il ne faut plus avoir de volonté propre. Il faut travailler : je ne veux point de fainéants." Quand l'un d'eux avait laissé un outil dans le jardin ou hors de la chambre du travail, lorsqu'il était prêt à se mettre à table, il lui disait : "J'ai tantôt trouvé tel outil dans le jardin : il est seul, allez lui tenir compagnie, vous dînerez demain et vous souperez ce soir." Il fallait que le frère demeurât en la place où il avait laissé cet outil, jusqu'à ce que le Père lui dît d'en sortir. " Nous sommes pauvres, ajoutait-il ; il faut, mes frères, que nos outils soient rangés, de peur qu'ils ne se gâtent, ou que nous ne perdions du temps à les chercher." C'est ainsi qu'il accoutumait ses ermites à l'ordre et au travail.
À suivre...
L'abbé Briffaut, Histoire de la ville de FAYL-BILLOT et notices sur les villages du canton, 1860, pp.
278-284, Monographies des villes et villages de France, Le Livre d'histoire-Lorisse, Paris 2012.
69. De l'allemand Bettler, gueux, mendiant. Ici ce mot se prend dans le sens de coquin.
70. La fabrique dont Fayl-Billot est le centre, semble ne pas remonter au-delà de cette époque. Nous trouvons des vanniers en 1668 pour la première fois. Il y a lieu de croire que ce sont les ermites de frère Jean-Jacques qui ont appris aux habitants à cultiver et employer l'osier.
php
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire