Mais pourquoi l'intelligentsia est-elle omnibulée par la dette d'EDF?

François Dos Santos
Agent EDF

  L'obsession de la dette d'EDF est un symptôme de la financiarisation mais aussi de l'incapacité à penser long terme. En ayant peur d'investir en raison de la dette, on met en danger l'avenir énergétique de la France. Pourtant, un coup de rétroviseur est utile.
Le nucléaire, comme d'autres type d'actifs d'ailleurs, aéroports, réseaux, autoroutes..., est un investissement initial important, qui s'amortit sur toute la durée de vie de l'actif, qui est très longue. Schématiquement, cela ressemble à ça :


  La réalité, c'est que toute entreprise qui investit dans ce type d'actif a un endettement qui croit très vite les premières années. D'ailleurs, il suffit de regarder les comptes historiques d'EDF pour s'en rendre compte. Source : rapport bataille, 1998.



  À la fin des années 1980, la dette était de 230 mds de francs, environ 55 mds d'euros. Pourtant, fin 1999, elle n'était plus que de... 17,4 mds d'euros. C'est cohérent avec le cycle évoqué ci dessus.



  Pourtant, dans les années 80, on trouvait déjà des articles de presse et des rapports qui s'alarmaient de la dette. Par exemple, Le Monde du 30 juin 1984. L''histoire a, assurément, donné tort à ces oiseaux de mauvaise augure.


  Durant un séminaire à l' Ecole de Paris du management (2000),  Marcel Boiteux, ancien DG puis Président d'EDF, revenait sur cette lecture court-termiste du sujet endettement ; pour lui, la lecture efficace pour pouvoir qualifier l'endettement était celle sur toute une durée de vie.


  Et dans le même temps, les prix de l'électricité en € constant n'ont fait que baisser à partir du milieu des années 1980. On peut même se demander s'ils n'ont pas trop baissé car au moment de la reprise des investissements (fin 2000), il n'y a pas eu de hausse.


  En effet, si l'on projette les investissements d'EDF dans l'avenir, deux "bosses" sont à prévoir. C'est cohérent avec le  premier graphique : modernisation étant le "major refurbishment", "rénovation importante".


  C'est beaucoup, certes, mais cela va générer des revenus. Il ne faut pas regarder que le CAPEX mais aussi le revenu généré par l'investissement. Si le coût cash du nucléaire "après modernisation" est de 35€/MWh mais que le prix de vente est de 45€/MWh, la valeur créée, en fonctionnant dix ans de plus, est de l'ordre de..40 mds. Il y a 2 différences fondamentales entre le passé et la situation actuelle :
1. Des acquisitions sur 2007-2009 faisant passer la dette de 17 à 44 milliards. Ex :British Energy, 11 mds, CENG, 2,5 mds, SPE Luminus,1,3 mds. La dette n'a plus tout a fait la même origine.
2. Le prix de l'électricité n'est plus administré mais dépend d'une bourse dont les prix sont très volatiles. Le même produit vaut du simple au double selon les périodes. Impossible d'investir sans visibilité. (source : Opera énergie)
  D'ailleurs la relation prix de marché et l'Excédent brut d’exploitation* (EBE) d'EDF est évidente. Les années où les prix sont bas, l' EBE France diminue. Car les variations des prix ont une amplitude plus large que celle des coûts. Et si l' EBE baisse, l'autofinancement se dégrade et la dette augmente.
   Résumons : un acteur économique rationnel ne construit plus rien et n'investit plus dans ce type de contexte. Et c'est à peu près ce qu'il se passe, tous les secteurs soumis à la bourse n'investissent plus. EDF est singulier dans le secteur.
* L’excédent brut d’exploitation correspond à la ressource d’exploitation dégagée par l’entreprise sur une période d’activité. Il s’agit de la part de la valeur ajoutée produite qui revient à l’entreprise et aux apporteurs de capitaux. L’excédent brut d’exploitation est un élément important à apprécier lors de l’analyse d’un compte de résultat.
L’excédent brut d’exploitation est un indicateur que l’on peut retrouver dans les comptes annuels et dans le prévisionnel financier, il est généralement mis en évidence avec les soldes intermédiaires de gestion.
Source : https://www.lecoindesentrepreneurs.fr/excedent-brut-d-exploitation/


  L'électricité. Ce marché très étrange où il y a une bourse qui ne sert à rien. La quasi totalité des investissements dans le secteur reposent sur des tarifs administrés ou des contrats long terme.

  Ce problème sur les prix se retrouve aussi sur les tarifs aux clients. Il est fixé à partir d'une formule de calcul qui ne tient pas compte des coûts ni de la situation économique d'EDF. A l'inverse de ce qui se déroulait dans le passé, où une négociation Etat-EDF, définissait une régulation à long terme et une visibilité.
En résumé :
- Le nucléaire, comme d'autres activités, dont les ENR, est très capitalistique ;
- Ces activités se financent péniblement sur la bourse ;
- Les ENR fonctionnent car elles ont le net avantage d'une garantie de prix, ce qui revient à être subventionnées ;
- Il faut penser sur toute la durée de vie de l'actif quand on veut qualifier un investissement, et pas pousser des cris d'orfraie dès qu'apparait le mot "milliards";
- EDF a déjà eu dans le passé un investissement bien plus élevé et s'est désendetté, tout en baissant ses tarifs.
- EDF a apporté une valeur économique au pays avec une électricité à bas coût : un avantage pour le pouvoir d'achat des particuliers et la compétitivité des industries.
- La plupart des ONG et partis politiques racontent n'importe quoi sur EDF dès qu'il s'agit d'argent.

  J'espère que la France sortira de cette spirale décliniste où elle a peur de tout. Au fond, dire qu'EDF est en difficulté est facile, mais qui va investir, qui va prendre des risques, qui va assurer la sécurité d' approvisionnement du Pays?
php



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