Allemagne : l' Energiewende a-t-elle vraiment pour priorité de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre (GES)?

Tristan Karmin

   En préambule, un coup de gueule contre cette catégorisation : "pro-nucléaire = cornucopiens* "; "anti-nucléaire = décroissantiste".
   Insensée, absurde! Le recours au nucléaire n'est pas davantage un truc de croissantiste/décroissantiste ou de gauche ou de droite. Même chose chez les opposants au nucléaire; vous avez des dingues de la fuite en avant, de l'excès et de la croissance sous prétexte que l'énergie renouvelable serait "gratuite et illimitée" ! C'est infiniment stupide de vouloir ainsi schématiser d'un côté, les "pro-nucléaires = pro-croissance" et de l'autre, les "anti-nucléaires = décroissantiste". Faut, par exemple, n'avoir jamais entendu les propos de Jean-Marc Jancovici, pro-nucléaire et favorable à la décroissance** et ne s'être jamais penché sur cas allemand, leader de l'anti-nucléarisme et pro-croissance. J'irai même plus loin dans la caricature : "pro-nucléaire cornucopien technocrate et destructeur de l'environnement" versus "anti-nucléaire décroissantiste qui retourne à la nature".
  En résumé,  la réflexion sur les technologies et les moyens de production méritent bien mieux que ces guerres de chapelle gauche / droite ou croissance / décroissance, exprimées à coups de raccourcis.   
Dans une démocratie, c'est bien plus sain... À bon entendeur!?
* personne économiste, futurologue par exemple, qui estime que les innovations technologiques, le progrès technologique, permettront à l'humanité de subvenir éternellement à ses besoins matériels, eux-mêmes considérés comme sources de progrès et de développement.
**Son raisonnement est que la décroissance est une fatalité par épuisement des ressources fossiles, mais qu'il vaut mieux la provoquer au plus tôt pour en avoir le contrôle et pour protéger le climat, plutôt que de juste subir.


Allemagne, présent et avenir de l' Energiewende
  Ce pays est le leader de la cause anti-nucléaire, dont les vassaux se nomment Autriche et Luxembourg.
1. L'évolution des émissions de GES comparé à la France
  Pour cette partie, lire :
https://augustinmassin.blogspot.com/2020/07/lutter-contre-le-rechauffement.html
2. Les changements futurs
  Le site http://energy-charts.de du Fraunhofer Institute, permet de suivre en quasi temps réel le mix électrique allemand, et fournit une foultitude de données plus macro sur leur parc électrique.
  Et, depuis peu, il présente aussi l'évolution du parc électrique dans ce qui est le scénario de référence de l'Institut. Avec les objectifs suivants :
- Sortie du nucléaire en 2022
- Sortie du charbon en 2038
- Neutralité carbone du système électrique en 2050.
  Le site présente d'autres scénarios, dont l'un à acceptabilité sociale réduite, et l'autre à neutralité carbone de tout le système énergétique, par exemple. Mais, je ne vais parler que du scénario "Reference", qui correspond aux thèmes choisi. 

  Voilà en une image ce qu'on peut en tirer.


  Le parc électrique allemand s'est vu multiplié par deux entre 2000 et 2020.Il est question de le doubler à nouveau d'ici 2030 et d'ici 2045. Ne parlez pas de sobriété ou de décroissance : les surcapacités vont être exponentielles pour compenser... l'intermittence.
  Et malgré tout, la base pilotable va être augmentée, alimentée au bois et carburants issus du Power-to-Gas (PtG), les "convertisseurs" se répartissant entre PtG et batteries. Mais voyons plus en détail.
  Commençons par ce qui n'est pas présenté par le Fraunhofer à savoir nucléaire, biomasse, hydraulique, fioul. À défaut, j'ai fait des hypothèses assez simples :
- fermeture du nucléaire au rythme annoncé,
- maintien constant de biomasse et hydraulique,
- réduction linéaire du fioul vers 0 en 2035.
  De toute façon, pour ces trois moyens de production, on parle de quelques GW sur un parc de plusieurs centaines, donc mes possibles erreurs ne changeront pas la donne. Et ça donne ça :
  Comprenez bien que je vais vous présenter des graphiques qui indiquent non pas le parc, mais sa variation annuelle. Par exemple, une réduction du parc nucléaire/biomasse/hydro/fioul de 10,5 GW en 2011. Rien de sorcier sur le graphe suivant:
- une vague de fermetures de centrales nucléaires en 2011,
- une compétition se dessine entre biomasse en hausse et nucléaire en baisse,
- une autre vague de fermeture de centrales en 2021 et 2022. 
- la baisse du fioul jusqu'en 2035, et plus rien.


  Passons au charbon, qui n'a, évidemment, pas vraiment diminué ces dernières années. Et qui devrait réduire de moitié, progressivement, d'ici 2034. Et l'autre moitié en 2035. Ça va être sympa à gérer en termes de social, ça, avec un paquet d'emplois à évaporer d'un coup.


  Ça sera probablement une raison de repousser un peu la fermeture de quelques centrales, comme ça l'a été en France, pour les centrales à charbon ou nucléaire. J'espère seulement qu'on parlera de deux ou trois tranches, pas de 20 GW...
  Maintenant, passons aux choses "rigolotes", les EnR, totem de la sobriété ! Et en premier lieu l'éolien terrestre... Et c'est du lourd ! Il faut mettre rapidement fin à l'essoufflement observé depuis 2017, et repartir de plus belle jusqu'à rattraper les records historiques et les dépasser ! Fini la fluctuation entre 1 et 5 GW par an de nouvelles installations.


  La volonté est que, dès 2027, une cadence fixe de construction à plus de... 6 GW/an, et, en même temps, le renouvellement du parc ancien ! Il va falloir faire mieux que les meilleures années passées, et soutenir ce rythme : Good Luck, Have Fun [ Bonne chance, amusez-vous bien]. Mais le meilleur reste à venir...
  L'éolien offshore. Avec des ambitions du même genre : chaque année à compter de 2028, faire mieux que tout ce qui aura été fait jusqu'alors. Entre 2 et 3 GW par an à construire.



   Là où ça devient complètement excessif, c'est avec... le photovoltaïque. Un record d'installation maintenu pendant 3 ans à presque 8 GW/an, mais avec  à l’arrivée, une moyenne probablement moitié plus basse... Et bien qu'à cela ne tienne, la projection est de 10 à 15 GW/an supplémentaires, soutenus !



  Je pense qu'il serait intéressant de convertir tout cela en surfaces consommées de toiture et de terres ; le site en source donne la répartition entre les deux. En attendant, essayez d'imaginer la puissance installée cumulée que ça va représenter... On arrive enfin au meilleur. Prêts ?
Roulement de tambour! Oui, vous n'avez pas la berlue. Il est ainsi question de construire plusieurs GW de centrales à gaz supplémentaires par an, pour assurer un back-up pilotable, etc, vous connaissez la chanson.


  Évidemment, promis juré, le gaz naturel sera progressivement remplacé par du biométhane ou de l'hydrogène. Rappelons-nous que l'ambition est zéro émissions nettes en 2050. Suffit de développer les bonnes technologies.
  Et en attendant, tant pis pour le climat et la lutte contre les émissions de CO2 et de CH4 attendra. Oui mais, c'est toujours mieux que le risque nucléaire, pas vrai ? Et si la production de CH4 ou d'H2 en Power-to-Gas est trop chère et bien, tant pis pour les consommateurs.
  De toute façon, après avoir "financé" un parc dont la puissance installée dépassera de 5X au minimum la puissance crête appelée sur le réseau, les consommateurs allemands seront-il à ça près ?
  Peut-être que leur priorité sera ailleurs? Par exemple, de lutter contre le déploiement, sur toute la surface du pays, de centaines de milliers d'éoliennes? Et qu'ils n'auront pas le temps de s'intéresser au climat ou à leur portefeuille.
  Quant à imaginer que l'industrialisation du Power-to-Gas échoue... Mieux vaut ne pas y penser. Le résultat, tout agrégé, il est là.


Là où il y a 20 ans, le parc, de 100 GW, était essentiellement pilotable, demain, ce sera un parc de 400 GW de photovoltaïque (+350), 250 GW d'éolien terrestre offshore (+200), 150 GW de gaz garanti-sans-GES (+120).
  En comptant sur les électrolyseurs, les batteries, la méthanisation, l'écrêtement et les interconnexions aux frontières pour équilibrer cette énorme surcapacité et une demande qui devra en partie s'y adapter.
  On est pile dans la définition de la fuite en avant techniciste ; se lancer à fond dans un scénario en espérant que les verrous auront sauté avant qu'on se heurte au mur, avec des surcapacités qui font beaucoup plus "culture de l'abondance" que "sobriété".
  Donc aussi absurde que la catégorisation « pro-nucléaire = productiviste croissantiste », est la catégorisation « anti-nucléaire = sobre décroissantiste ». D'ailleurs, je vous invite à réfléchir à ça : pourquoi le nucléaire serait synonyme d'abondance ?
  Rien n'interdit de l'utiliser au juste besoin, voire en-dessous des besoins, comme c'est le cas de la quasi-totalité des systèmes électriques qui utilisent du nucléaire dans le monde, ou bien, d'essayer d'en faire une corne d'abondance : c'est un choix de société avant tout.
  Là où, comme d'habitude, l'usage des EnR va être piloté par des contraintes physiques... Dont la première demeurera l'intermittence et donc le besoin de compenser par d'énormes surcapacités et/ou des moyens de stockage de masse qui restent à développer.
Sauf à, cas extrême, se contenter des EnR avec leurs problèmes, sans chercher à les résoudre : auquel cas on n'assure même plus le "juste besoin", et c'est plus propice à la précarité et l'effondrement qu'à la sobriété et la décroissance.
Bref, nous voilà revenu à mon coup de gueule du début.

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https://www.challenges.fr/energie-et-environnement/allemagne-la-gueule-de-bois-de-la-transition-energetique_655346

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