La grande peste de Langres au XVIIe siècle, épisode IV

Précédemment
https://augustinmassin.blogspot.com/2020/10/la-grande-peste-de-langres-au-xviie.html
https://augustinmassin.blogspot.com/2020/10/la-grande-peste-de-langres-au-xviie_19.html
https://augustinmassin.blogspot.com/2020/10/la-grande-peste-de-langres-au-xviie_29.html

Des sentinelles doivent à chaque issue de la ville surveiller les fuyards étrangers qui s'y présentent et ne les recevoir qu'au vu d'un passeport dument légalisé par les autorités de leur lieu d'origine et constatant qu'ils sont indemnes de toute affection suspecte ; faute de quoi, ils sont impitoyablement refusés, et s'ils insistent, "arquebusés" sans autre forme de procès! À Langres, on ne badinait pas. Des archers, d'autre part, étaient chargés de courir sus aux chiens et aux chats, fortement soupçonnés de propager l'épidémie, et de les détruire sans merci.
  Pour assurer tous ces services, vous pensez bien qu'il fallait de l'argent et beaucoup. Il est nécessaire, en effet, d'aviser à l'entretien des malades indigents et des mendiants de la ville au nombre imposant de sept cents. Aussi bien, les trois Corps de la Cité : l' Évêque, Mgr Sébastien Zamet (33), représenté par son grand-vicaire, l'abbé Baudot, le Chapitre, par l'abbé Piétrequin, viennent-ils se joindre au Maire et à ses échevins pour voter, le 9 novembre, au Bureau des Pauvres, ancêtre de notre Bureau de Bienfaisance, une somme de 300 livres tournois à prendre sur leurs caisses respectives (34).
  Toutes ces mesures administratives, sanitaires et financières étant prises, tout semblait humainement paré. Il n'y avait plus pour les Langrois qu'à attendre les assauts de l’imminent fléau, lequel vous allez le voir, allait de jour en en jour s'affirmer avec une incroyable violence.
  Les délibérations du Corps de Ville, dans leur laconisme officiel de communiqués, reflètent l'angoisse grandissante qui en marque les étapes.
  La somme de 300 livres votée le 9 novembre se trouve bien vite épuisée. Le 24 décembre, le Maire se voit obligé de prier l' Évêque et le Chapitre de contribuer de tout leur pouvoir à la subsistance des pauvres malades. Mgr Zamet, le fils du riche financier de Lucques, le premier directeur de Port-Royal, ne laisse pas que de se rendre à cette invite. En digne prédécesseur d'un Belsunce [ François-Xavier de Belsunce, Évêque de la ville de Marseille durant la peste de 1720], il veut aller lui-même aux "loges de santé" pour assister les victimes.



  Sébastien Zamet tenant la constitution des Sœurs de Sainte-Marthe, Jean Tassel, XVIIe siècle.

Il s'y rend, en effet, "mais comme il fut arrivé à la porte, on lui refusa l'entrée par ordre du Magistrat qui avait été averti de son dessein. Alors, continue son historien, se voiant dans l'impuissance de secourir de sa personne, il le fit de ses moiens et le fit avec tant de profusion, ne consultant que ses entrailles pastorales et non par ses coffres qui furent bientôt épuisés, qu'après les pestes il se trouva engagé de 42.000 livres" (35).
  Le 14 avril 1636, le Clergé donne 612 livres et le Maire taxe les habitants individuellement, suivant leurs capacités. L'histoire, toutefois, ne dit pas si le rôle de ces contributions avait été rendu public et affiché au mur extérieur de la Maison de Ville!
  En mai, l'épidémie s'accroissait toujours et sa virulence! Je trouve cet exemple, entre mille, que le 24 mai, la famille Vigneron, marchand, la mère et ses deux enfants sont emportés en quelques heures. Quelques jours après, c'est une sentinelle que l'on trouve morte dans son échauguette de pierre [guérite où petite pièce carrée, polygonale ou cylindrique, le plus souvent construite en encorbellement et dotée de mâchicoulis et de meurtrières, destinée à abriter un guetteur et à lui permettre d'avoir un champ de vision complet sur le secteur] (36). Contrairement aux règlements de la Santé, il a fallu, en attendant la construction de nouvelles "loges", entasser les malades à St-Laurent, à la chapelle St-Nicolas, dont le passage menant de la rue Minot à la rue Diderot rappelle l'emplacement, et même à Saint-Amâtre, aujourd'hui Hôtel du Cheval Blanc, dans la grande chapelle près du clocher, dite chapelle de Castille (37).
  Les arrêtés municipaux deviennent alors plus sévères. Il est interdit d'aller jouer aux quilles près des Corps de garde. Le 19 mai, il est interdit aux mendiants de mendier, aux avocats de plaider, ce qui prouve qu'en ces temps-là les audiences étaient déjà suivies. Défense aux chanoines de se réunir à la Cathédrale pour réciter leur office. Le Collège, qui vient d'émigrer au prieuré de St-Gengoulph, l' Arsenal actuel, le Collège est fermé "au grand détriment de la jeunesse". Tous les rouages de la Cité se trouvaient paralysés.
  Le 22 septembre, le Maire expose que le nombre des malades pauvres est tellement augmenté que la dépense s'élevant jusque-là à 60 et 80 livres par semaine était passée à 600 livres et qu'il jugeait nécessaire de contracter un emprunt de 6.000 livres! Mais le Conseil n'est pas d'avis de recourir à cet expédient et préfère surélever la taxe, la doubler, la tripler, la quadrupler, etc., si besoin est.
  La présence des étrangers en ville pouvant faire craindre une gêne incontestable pour le ravitaillement, on défend aux boulangers de vendre du pain à d'autres qu'aux indigènes. Cette prohibition entrainait naturellement l'expulsion des réfugiés, laquelle fut rendue définitive et irrévocable le 6 novembre suivant.
  Si du moins toutes ces mesures avaient amené une détente quelconque! Mais non! Loges et hôpitaux se remplissent et regorgent. Le 11 décembre, ordre est donné à Messieurs du Chapitre de faire transporter les malades étrangers internés, avant l'arrêté d'éviction, aux chapelles St-Nicolas et de Castille, dans la chapelle de Baume, annexe de St-Laurent, que mon cher Maître et Président, M.le Chanoine Marcel, le Vignier du XXe siècle, a si bien étudiée et décrite pour la joie de ses lecteurs (38).
  Avec une nouvelle année 1637, on espérait en l'accalmie de l'orage qui menaçait de tourner au cataclysme. Vains espoirs! On redouble les soins de propreté urbaine et de voirie. Tout le monde valide est mis à contribution : le 16 février, le nouveau Maire, Jean le Tondeur, ordonne aux dizainiers [chef de quartier] d'assembler tous les domestiques des deux sexes pour nettoyer et enlever les ordures amoncelées entre les portes de St-Didier et du Marché (39).
  Cette année-là, l'été fut particulièrement chaud et cette température excessive semble exacerber le fléau. Au mois de juillet, il y avait en ville 240 maisons "gâtées et infectées". Depuis Blanchefontaine jusqu'à St-Sauveur, on comptait 200 loges de santé! On en avait également établi 60 à l'est de la ville. "En ce temps-là, continue notre chroniqueur, j'ai compté 82 personnes tant grandes que petites mortes dans la rue du Petit-Cloître, pendant l'espace de six semaines." Le 26 août, dans la seule paroisse St-Pierre, c'est-à-dire dans la partie nord de la Cité, depuis la place Chambeau, Diderot, aux remparts de Longe-Porte, 12 personnes moururent, et le 6 septembre, sur l'ensemble des trois paroisses St-Pierre, St-Martin et St-Amâtre, on enregistre 46 décès! (40)

 "Depuis Blanchefontaine jusqu'à St-Sauveur, on comptait 200 loges de santé!" @ geoportail.gouv.fr


  Dans une telle désolation, on devine que les Langrois, plus que jamais, invoquaient le Ciel et lui adressaient des prières publiques plus ferventes. Le 12 juillet, ils avaient fait, dans toute la ville, une procession comme à la Fête-Dieu "avec grande humilité et dévotion, chacun la larme à l’œil et demandant pardon!" Au retour, écrit toujours le curé d' Hortes, on allait réciter les Litanies de la Vierge au-devant de la statue de "Notre-Dame la Blanche (41)", ce bijou de l'art du XIVe siècle que vous connaissez bien et qui se trouvait alors située au milieu de la nef de la Cathédrale. Et tous les soirs, devant l'image vénérée, eurent lieu les mêmes cérémonies et les mêmes supplications.



   Statue de Notre-Dame la Blanche Albâtre par Evrard d'Orléans, 1341.https://www.patrimoine-histoire.fr/P_ChampagneA/Langres/Langres-Saint-Mammes.htm

   C'est que vraiment, à cette époque néfaste, le potentiel nerveux de nos ancêtres devaient être sousmis à une rude épreuve!


À suivre...

Docteur Michel Brocard, La grande peste de Langres au XVIIe siècle, conférence prononcée le 20 avril 1926, pp.17-21. Langres. AU MUSÉE, 1926.

33. Il fut le 94e évêque de Langres de 1615 à 1655.

34. Délibération du 9 nov. 1635.

35. Le P. Bourée : La vie de Madame de Courcelle de Pourlan, avec un abrégé de la vie de Messire Sébastien Zamet, conseiller du Roy en ses conseils d' Etat et Privé, Évêque, duc de Langres et Pair de France, etc. À Lyon, chez Jean Certe, rue Mercière, à la Trinité, 1699, p. 471-473, et Louis-N. Prunel : Sébastien Zamet, évêque-duc de Langres, pair de France, sa vie et ses œuvres, Paris, A. Picard, 1912, p. 284 et secq.

36. Inv. Somm. I. 413.

37. Délib. municipale du 11 décembre 1636.

38. Chanoine Marcel : Une excursion archéologique dans la campagne langroise. Le plateau de Baume, Son cimetière gallo-romain, Son ancienne chapelle, Son ermitage. Langres, Imp. Champenoise, 1920.

39. Mâcheret, op. cit., I, p.82.

40. Ibid., p.83.

41. Ibid., p.75. 

php


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

HAUTE-MARNE, VOISEY : LA MRAE RECOMMANDE DE NE PAS AUTORISER LE PROJET D'USINE ÉOLIENNE, DIT LES " GRANDES BORNES "

Précédemment La MRAe : Mission régionale d'autorité environnementale   Les Missions Régionales d'Autorité environnementale, MRAe, on...